Tout se passe comme si le plus grand ennemi de l’AKP (le parti islamo-justicialiste de Recep Tayyip Erdogan) n’était autre que l’AKP lui-même. Lorsque lesIslamistes turcs se sont rassemblés sous le sigle du Parti du Développement et de la Justice (AKP), en 2001 et ont changé de pavillon pour se présenter comme de simples démocrates conservateurs bon teint, ils ne savaient pas qu’ils devraient s’organiser rapidement pour des élections parlementaires précoces, à peine plus d’un an plus tard. 

Ils l’ont fait, et avec succès. Mais ils ne pouvaient probablement pas imaginer qu’en l’espace de 14 ans, ils devraient remporter 7 élections successives – trois parlementaires, trois locales et une Présidentielle – en plus de deux victoires au réféendum et qu’ils se dirigent tout droit vers une dixième victoire, le 7 juin, soit dans moins de trois mois. 

Pour le moment, l’AKP n’est réellement mis au défi que par une opposition qui demeure relativement faible, constituée de Sicaux-Démocrates, de Nationalistes et des Kurdes. Un récent sondage d’opinion, publié en mars par la Société de Recherche Gezici, traduit la popularité de l’AKP (à son niveau le plus bas de tous les sondages jusqu’à présent), à 39,3%, suivi des Sociaux-Démocrates à 29, 6%, des Nationalistes à 17, 7% et des Kurdes à 11%. 

Il ne s’agit vraiment pas de scores confortables pour l’AKP, mais ils ne signalent pas, non plus, de désastre en perspective. Il semble, néanmoins, que le plus grand adversaire de l’AKP n’est autre que l’AKP lui-même. 

erdogan

Après que le chef incontesté du parti, Recep Tayyip Erdogan, ait confié son fauteuil de Premier Ministre à Ahmet Davutoglu (alors Ministre des Affaires étrangères), et qu’iol ait attient le sommet de la pyramide en s’asseyant sur le siège de Président, l’été dernier, l’ordre des chose semblait lisse et soyeux et les gros bonnets du parti paraissent plus unis que jamais. 

Puis, une lutte de pouvoir interne d’abord silencieuse, s’est mise à monter crescendo, entre les hommes du président et ceux du premier ministre. Les initiés de l’intérieur de l’appareil ont spéculé sur des fissures qui se creusaient en silence. Mais ces fractures ne sont devenues vriament publiques qu’à la fin de la dernière semaine de mars. 

Un responsable de premier ordre, au gouvernement, n’a eu de cesse de réitérer ses critiques acerbes de la dernière « intervention » du Président Recep Tayyip Erdogan. Le 20 mars, Erdogan a déclaré brutalement qu’il n’approuvait pas du tout la formation d’une commission d’observation -mise en place par le Premier Ministre Ahmet Davutoglu et le Parti Démocratique du Peuple, pro-Kurde (HDP) – pour faire partie intégrante de ce que l’on désigne publiquement comme le « Processus de paix avec les Kurdes », une initiative qu’Erdogan en personne, a lancée en 2012,, pour mettre un terme à trois décennies de conflit armé, avec les Kurdes rebelles du pays. Cela pouvait apparaître comme un désagrément minime. Il n’en était rien. 

En réponse au Président, son allié politique de longue haleine et poids-lourd au sein du parti, le Vice-Premier Ministre Bulent Arinc, a déclaré que les paroles d’Erdogan étaient « uniquement du registre émotionnel et personnel ». Il a ajouté que « la responsabilité appartient au gouvernement et on peut envisager que sa délcaration ne reflète que sa vision purement personnelle ». On peut considérer qu’on avait presque là l’effet d’une bombe à Ankara : c’était la toute première critique directement adressée à Erdogan, comme un défi cinglant et elle provenait de l’un des plus grands alliés politiques d’Erdogan, signalant clairement que le fossé se creuse entre Erdogan et Davutoglu. 

Le 22 mars, Arinc déclarait : « Nous aimons notre Président, nous connaissons son pouvoir et nous sommes bien conscients des services qu’il rendra, mais, s’il vous plaît, arrêtons de faire comme s’il (d’oublier qu’il y avait) n’y avait pas de gouvernement dans ce pays ». 

Dans cette remarque, la partie de la déclaration » nous-aimons- notre-président » est purement cosmétique. Celle qui dit : « Il- y- a- bien- un- gouvernement-dans- ce -pays » représente un défi sérieux au pouvoir personnel d’Erdogan. Et c’est bien là que tout l’enfer s’est déchaîné. Le 23 mars, la « guerre civile » au sein de l’AKP est devenue tout-à-fait publique. 

Le Maire AKP d’Ankara, Melih Gokcek, allié féroce d’Erdogan a appelé Davutoglu à exiger la démission d’Arinc. « Nous ne voulons plus de toi! » a écrit Gokcek sur son compte Twitter. 

Arinc a répliqué en faisant monter les enchères d’un cran, dans la guerre civile de l’AKP : un tel appel à sa démission se situe bien au-delà de l’autorité de Gokcek et ce dernier ne se l’est autorisé que dans le seul but de garantir un ticket au nom de l’AKP à la candidature parlementaire de son fils [en tentant de briller aux yeux d’Erdogan, qui contrôle toujours le parti]. 

Le Vice- Premier Ministre Bulent Arinc s’exprime lors d’une conférence de presse , à la suite de la demande de sa démission, réclamée par le  Maire d’Ankara  , 23 Mars 2015. (Image source: Bugun Haber video screenshot)

Nul doute qu’Erdogan devra intervenir à un certain point, et autant le président que le premier ministre savent pertinemment qu’un tel déballage public, s’apparentant à une guerre ouverte, entre les gors poissons du parti, juste avant des élections cruciales, aura tout sauf un impact favorable sur la popularité du parti. 

Les tensions peuvent bien donner l’impression d’être désamorcées après quelques chamailleries supplémentaires. Mais cela ne signifiera pas qu’au sein même du parti la paix aura été restaurée et que tout ne serait plus que miel et sucre. Il y a bien une guerre interne. Et cette guerre s’amplifie en perçant le silence qui l’entoure. 

Un éditorialiste turc très en vue, connu pour êtreproche de l’administration de l’AKP, a mis en garde que ces luttes internes pourraient bien finir par dissiper le « charme » discret du parti. 

Dans un commentaire inhabituel,  Abdulkadir Selvi, éditorialiste pour Yeni Safak, la « Pravda » de l’AKP,  écrit : « L’AKP repose sur « une formule magique ». Les masses préfèrent l’AKP, parce qu’il est le symbole de la stabilité. Actuellement, ce charme est en train de se dissiper… Depuis qu’il a pris le pouvoir, le 14 octobre 2001, l’AKP n’a jamais été le théâtre d’une telle lutte intestine, telle qu’elle s’est donnée libre cours, durant ces trois derniers mois ». 

Il se peut que le « charme » discret de l’AKP se soit ou ne se soit pas totalement éventé. Mais il est devenu évident que l’AKP est devenu bien trop puissant, durant ces dernières années, en s’accaparant tous les pouvoirs et ne muselant toute opposition et c’est bien pourquoi il n’y a plus que lui-même pour infliger une défaite à l’AKP… 

Par Burak Bekdil
29 mars 2015 at 3:00 am

http://www.gatestoneinstitute.org/5448/turkey-is-the-akp-spell-reversing

Burak Bekdil, basé à Ankara, est un éditorialiste Turc pour le quotidien Hürriyet Daily et chercheur principal au Middle East Forum.

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