« UNE INITIATIVE MILITAIRE EN CE MOMENT serait peu logique aussi bien POUR LE CAIRE QUE POUR DAMAS ».
Cette déclaration est tirée d’un rapport de la CIA qui vient d’être déclassifié. Une déclaration que la CIA serait heureuse de pouvoir effacer de ce rapport.
Une surprise qui vient de là où on ne s’y attend pas, c’est une chose : ça arrive. Mais être confronté à une réalité et persister à la nier, est pour le moins embarrassant, surtout si c’est le fait de professionnels qui sont censés être au service de l’homme le plus important au monde.
6 octobre 1973: «La tension le long des frontières d’Israël avec l’Egypte et la Syrie a été renforcée par un pont aérien soviétique qui en est à son deuxième jour. Ni les Israéliens ni les Arabes semblent décidés à ouvrir les hostilités, mais avec cette atmosphère qui règne, le risque d’affrontements est plus grand que d’habitude. … Tant les Israéliens que les Arabes, sont de plus en plus préoccupés par leurs activités militaires respectives, mais aucune des deux parties ne semble vouloir ouvrir les hostilités « .
Voici ce que la CIA, le service de renseignement des Etats-Unis écrivait dans son rapport, quelques heures, peut-être même quelques minutes (compte tenu du décalage horaire entre Washington et Jérusalem) avant le début de l’attaque égypto-syrienne sur le Sinaï et les hauteurs du Golan, deux des territoires qu’Israël avait depuis Juin 1967.
Il y a plusieurs erreurs de jugement dans un seul paragraphe à relever : premièrement, le lien de causalité entre le pont aérien soviétique et la tension accrue. En fait, il s’agissait du contraire : en raison de la tension, les soviétique comprenant que la Syrie et l’Egypte étaient sur le point d’agir, le pont aérien servait à évacuer les familles du personnel soviétiques du Caire et de Damas; deuxième erreur d’appréciation de taille, celle indiquant qu’aucune des parties ne semblait sur le point d’ouvrir les hostilités ( estimation correcte côté israélien, mais erronée pour les Arabes); et enfin la troisième erreur de jugement, était d’attribuaner le «risque d’affrontements » à l’atmosphère, plutôt qu’à un plan secrètement élaboré qui allait vers sa mise en œuvre.
Peut-être que la CIA supposait, ce Yom Kippour fatal au matin, que les Soviétiques avaient bêtement peur de l’imminence d’une guerre. Ou bien que leurs déjà très mauvaises relations avec le président égyptien Anouar el-Sadate avait empiré, et que cette « tension » n’était en fait qu’une excuse évoquée par les soviétiques pour pouvoir en profiter et réduire leur présence en Egypte, sans trop froisser Sadate.
Le rapport poursuit: «Une initiative militaire en ce moment aurait peu de sens pour le Caire ou Damas. Un autre round d’hostilités ruinerait les laborieux efforts de Sadate pour dynamiser l’économie de l’Egypte et irait à l’encontre de ses tentatives d’amener les Etats riches en pétrole les moins militants, à constituer un front arabe uni. Quant au Président Syrien [Hafez] Assad il semble prudemment se préparer à parer une éventuelle seconde frappe d’Israël plutôt que de chercher à se venger de sa récente perte de 13 MIGs dont les combattants israéliens se sont emparés. Les émissions de radio Damas reflètent les craintes syriennes. «
L’échec du renseignement de l’administration Nixon avant la guerre de Kippour est légendaire. Il a fait couler beaucoup d’encre au sein des commissions d’enquête qui ont produit des milliers de documents les quatre décennies après la guerre. Mais un important épisode de cette histoire a été révélé jeudi tirée de la collection de huit ans D-Briefing journaliers de la présidence de 8 ans de Richard Nixon ainsi que de celle de Gerald Ford, de Janvier 1969 à Janvier 1977.
La CIA et la Bibliothèque Nixon en ont publié des versions censurées de tous les comptes rendus quotidiens (APB) de la CIA pour ces présidents. Israël n’y tient pas le rôle principal. C’est le Vietnam, la Chine, les Soviétiques et l’OTAN, ainsi que Cuba qui sont au centre des préoccupations. Pour autant l’état hébreu est assez important pour occuper les pensées de Nixon et de Ford ainsi que celles de leurs chefs de renseignement respectifs, Richard Helms et James R. Schlesinger sous Nixon, William Colby et George H.W. Buisson, sous Ford.
Les comptes rendus ont pour but de trier les millions d’articles et de rapport compilés par les divers organes de renseignement d’Amérique produits par les espions, les satellites, les écoutes téléphoniques, le décodage qui sont étudiés par les chercheurs et les évaluateurs. Un résumé est ensuite donné au décideur ultime, qui n’a pas toujours le temps de lire cette matière première. C’est pourquoi au final, ce qui est important c’est surtout ce qui boue à la surface.
Le grand secret de la CIA c’est qu’il n’en n’avait aucun. Il disposait de très peu de matière première provenant de sources secrètes. La plupart des informations contenues dans les rapports provenaient de télégrammes, de discours des ambassadeurs et d’articles de journaux. Beaucoup en Israël ont été séduits par la légende de la CIA qui serait comme une pieuvre tentaculaire avec des antennes partout. A l’époque, les Israéliens croyaient qu’un espion américain de tout premier plan, opérait en Israël. Or, selon les compte rendus qui étaient donnés au président – et si on ne lui en fait pas à quoi sert le renseignement ? – la CIA n’avait pas de source fiable sur le terrain, et ne comportait que des ragots adopté sans vérification un jour et réfutés le lendemain.
Dans le compte rendu du 6 Octobre, est titré : « émissions de radio de Damas ». Le titre prouve une absence cruelle de contact direct avec une source ayant un accès à Assad. Le compte rendu est précédé séances d’information de cette semaine. Le 1er Octobre, l’ensemble du compte rendu a été censuré, mais son titre – Israël / Syrie / Jordanie – évoquait son contenu : l’avertissement du roi Hussein de Jordanie et ses chefs du renseignement (qui avait de bonnes sources syriennes) comme quoi l’intervention de l’armée syrienne était imminente. C’est d’ailleurs cet avertissement que le Premier ministre israélien Golda Meir a entendu de la bouche même du roi Hussein lors de leur réunion à Glilot le 25 septembre, et qui a fait sursauter le secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger saut qui a demandé à Colby d’obtenir au plus vite plus de détails du Mossad et du renseignement militaire israelien.
Avec tout le respect dû à la CIA, Colby – de même que le chef du renseignement militaire Eli Ze’ira – était un officier supérieur, mais subalterne par rapport à Nixon, Kissinger et Schlesinger. Meir et le ministre de la Défense Moshe Dayan en savaient certainement plus que Ze’ira, sur la politique et les politiciens. Et Nixon et Kissinger, qui avaient eu des entretiens secrets, en savaient plus que Colby. Ils s’attendaient à un avertissement sans équivoque de sa part à propos de la crise, et ne récoltaient que de vagues allégations basiques.
Suite au compte rendu du 1er Octobre et un autre du même crû du jour suivant, l’attention de la CIA s’est émoussée pour se réveiller à nouveau en fin de semaine. Le Vendredi 5 Octobre, le principal point évoqué dans le compte rendu c’est la démission du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. (les Américains croyaient que cette fois c’était sérieux).
Le deuxième point concerne les relations d’Israël avec l’Autriche, suite de l’attaque terroriste d’un train plein de juifs soviétiques et la menace qui pesait sur le camp de transit de Schoenau. (A sa rencontre avec la commission des affaires étrangères et de la Défense de la Knesset un jour plus tôt, Meir avait traité cet événement plus sérieusement que celui de l’Egypte et de la Syrie.)
Seul le troisième point évoqué lors de cette la séance d’information de la CIA dit : « les exercices militaires en cours en Egypte sont de plus grande envergure et plus réalistes que les précédents, mais les Israéliens ne sont pas nerveux. »
La tendance à créditer l’attitude affichée par ceux qui étaient censés être le plus concernés par la situation géopolitique est claire. Elle transparaît aussi dans le briefing de Yom Kippour même: «L’attitude des Israéliens a apparemment changé considérablement depuis lundi, vu qu’eux aussi avaient estimé l’activité en Egypte comme normale et celle de la Syrie comme essentiellement défensive. Car les craintes des Syriens pourraient conduire à une mobilisation, ce qui pourrait alarmer et galvaniser les Israéliens. Un tel cycle d’actions réactions pourrait augmenter le risque d’affrontements militaires alors qu’aucune des deux parties ne le souhaite au départ « .
Selon les comptes rendu, au cours de la guerre elle-même, les rapports démontrent que la CIA n’a pas excellé dans l’analyse et la compréhension de la situation. S’il n’y avait pas les sources de Kissinger, y compris celles de l’ambassadeur israélien aux États-Unis Simcha Dinitz, l’administration américaine n’aurait eu à sa disposition que le flou des informations disponibles pour tout lecteur lambda.
Les agents de la CIA n’étaient pas synchronisés avec les évènements et sont passées à côté des évènements clés qui ont eu lieu des deux côtés. Dans le compte rendu du 8 Octobre par exemple, bien que soit signalé l’humeur sombre des dirigeants israéliens), il n’est aucunement fait mention de la panique qui régnait à la tête de la direction israélienne, Moshe Dayan et certains officiers de l’armée prêts à adopter, à l’aube du 9 Octobre, des mesures extrêmes. Et il n’est aucunement fait mention non plus de la décision de Meir, sur le conseil personnel de David Elazar, chef des Forces de défense, d’essayer de conclure un cessez-le-feu avec les Egyptiens sur la rive orientale du canal de Suez, en fait, qui recommandait de se rendre au président égyptien Anouar el-Sadate.
Sur cette question, sujette à controverse entre le renseignement militaire (le Mossad et le service de renseignement de l’Israël Air Force) et de la CIA, les Américains ont dû concéder plus tard que les Israéliens avaient raison: les missiles Scud sol-sol avaient bien été déployés par les Soviétiques en Egypte. Le 31 Août 1973, il a été expliqué à Nixon que le Scud était « à peu près comparable au missile Jericho développé par les Israéliens, » mais que la probabilités qu’ils soient arrivés en Egypte étaient faibles.
Tous les « systèmes de collecte» de renseignements étaient en état d’alerte, mais les « essais pour photographier Nikolayev [le port russe d’où étaient expédiées le matériel militaires vers le Moyen-Orient] début Août, pour déterminer si oui ou non l’équipement était encore à bon port n’avaient rien donné à cause des nuages, » avait-il était dit à Nixon. Avant le cessez-le-feu, les opérateurs soviétiques ont effectivement tiré ces Scuds de faible portée sur le gros des forces israéliennes.
Les milliers d’éditions de rapports de l’APB, permettent de découvrir combien la CIA a rarement été capable de prédire l’évolution intérieure en Israël. Deux jours après que Nixon ait prêté serment, le 20 Janvier 1969, un rapport du renseignement américain dit de l’homme politique israélien Levi Eshkol, Premier ministre : « Nous pensons qu’Eshkol va rester au pouvoir jusqu’en 1970, au moins ». Il dit aussi que Yigal Allon craignait des liens plus étroits entre Eshkol et Dayan, ce dernier étant beaucoup plus dur en ce qui concerne les Arabes. Or, Eshkol, qui était malade, est mort d’une crise cardiaque un mois plus tard, et les évaluateurs ont dû remettre leur compteur à zéro.
Rapport du 27 Février 1969 : « Allon en tant que Premier ministre par intérim est clairement une mesure palliative. … Au cours des derniers mois, il n’a pas été dans les bonnes grâces de la vieille garde du Parti travailliste. « (Dans un rapport précédent, il était rapporté qu’Eshkol était en colère à propos d’une réunion qu’Allon avait organisée avec le président Lyndon B. Johnson après qu’Allon soit devenu adjoint du premier ministre.)
« La vieille garde … pourrait se voir contrainte de se tourner vers un homme plus populaire plus jeune pour diriger le parti … et ce serait probablement Dayan, qui est sans aucun doute l’homme le plus populaire en Israël aujourd’hui. C’est probablement le seul qui pourrait amener Israël à une solution de compromis sans produire de bouleversement politique majeur. « Pas un mot sur Golda Meir.
Le 18 Août 1973, le rapport de l’APB affirme que le Parti travailliste israélien a essayé de « satisfaire les demandes du ministre de la Défense Dayan en faveur d’un programme de développement israélien plus actif dans les territoires occupés» et qu’il était favorable à ce que le gouvernement prenne des mesures pour inciter les hommes d’affaires israéliens à investir dans les territoires, en raison de l’absence de perspectives de paix. Selon ce rapport, Dayan menaçait de bloquer le parti si Golda Meir, Pinchas Sapir et Abba Eban ne répondaient pas à ses exigences, mais il était apparemment prêt à faire des compromis.
Puis, une évaluation plus à jour est parvenue à Nixon: « Un programme plus actif dans les territoires occupés serait également pour plaire au Parti national religieux, partenaire traditionnel de la coalition du Parti travailliste, et saperait la politique annexionniste jusquauboutiste du bloc de droite de l’opposition Gahal « .
Après la guerre d’Octobre, tandis que la CIA copiait un câble venant de Beyrouth exprimant la volonté de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite et du Koweït de faire la paix avec Israël, l’attaché militaire américain à Tel Aviv commettait une erreur d’appréciation de la situation tablant que «les dirigeants de l’armée israélienne ne l’accepteraient pas et préfèreraient une reprise de la guerre « (Dayan et Elazar voulaient en effet la guerre, mais ils ont été retenus par Israël Tal, le vice-chef d’état-major de Tsahal).
Un rapport plus précis de CIA tiré de la collection des briefings présidentiels, sous la rubrique «Israël-Ouganda, » a été complètement censuré, ne laissant que la carte de la trajectoire de vol de Tel Aviv à l’aéroport d’Entebbe avec ces mots «2.200 milles terrestres / 3.500 kilomètres. « Il a été remis au Président Ford le 3 Juillet 1976, quelques heures avant que l’avion de sauvetage israélien atterrisse en Ouganda. La CIA avait eu vent de quelque chose concernant la préparation de cette opération, émanant de l’armée israélienne et peut-être aussi du Kenya. Si seulement elle avait été aussi efficace en ce qui concerne l’Egypte et la Syrie en Octobre 1973.
Par Amir Oren
Haaretz
28 août 2016
Mais la CIA se tronpe tous les ans dans ses rapports. Ils ne sont pas capable de prévoir les problèmes majeurs que posera l’islam dans les années à venir, ce que les petites gens savent.
Et dans les thrillers, la CIA embauche de jeunes analystes sortis d’universités prestigieuses… C’est à mourir de rire.
C’est pour cela que le peuple américain apprécie Trump, il comprend les choses simplement