A l’occasion de la commémoration du 11 Novembre 1918, marquant la fin de la Première Guerre mondiale, je vous propose de relire l’analyse historique suggestive du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia sur l’Union Sacrée entre les religions durant la Grande Guerre.

Quelques repères historiques

En 1914, la France compte 185 000 juifs (soit 0.5% de la population totale de 39 millions d’habitants).
Se sentant totalement intégrés à la République, et soucieux de récupérer les provinces perdues en 1870 (40 000 juifs vivaient en Alsace et en Moselle à ce moment là), les juifs vont massivement participer à l’effort de guerre.

Partisans de l’Union sacrée, 16 000 juifs français partiront sur le front (auxquels il faut ajouter 14 000 juifs venus d’Algérie sur un total de 65 000, et 8 000 juifs étrangers vivant en France sur un total de 30 000).
Au total, ce sont environ 38 000 juifs qui s’engageront dans l’armée française, dont 12 000 engagés volontaires.
 
Les actes héroïques ne manquent pas. Les juifs payent « l’impôt du sang ».
6 800 juifs de France mourront sur le front, soit 17% du nombre de juifs mobilisés (une proportion similaire à la moyenne nationale), dont 5 000 juifs français.
6 rabbins français seront tués, soit 13% du corps rabbinique.

Quelques juifs célèbres durant la Grande Guerre
 
Le Capitaine Dreyfus, son fils, et les 3 fils de son frère ainé, Jacques Dreyfus : 2 d’entre eux seront tués, et le 3ème, l’un des aviateurs les plus décorés de la grande guerre, mourra à Auschwitz.
Marc Bloch, fusillé pour faits de résistance en 1944.
René Cassin, gravement blessé sur le front.
Et bien sûr, Jacob Kaplan, le futur Grand Rabbin de France, symbole à lui-seul de cet engagement des juifs Français, et dont le Grand Rabbin de France Haim Korsia a consacré une très belle et très complète biographie en 2006.

Jacob Kaplan à 19 ans en 1914 et il est élève du Séminaire. Il sera combattant alors qu’il s’engageait sur la voie du rabbinat.
Mobilisé le 20 décembre 1914, il déclara « Je ne veux pas être aumônier, mais combattre avec mes camarades ». Il fera toute la guerre dans le 411ème régiment d’infanterie.
Ses états de service durant les quatre ans de guerre seront remarquables. Il connaitra les tranchées, les combats, les hivers froids, les bombardements, la bataille de Verdun pendant 16 mois.
Il sera blessé par un éclat d’obus dans les tranchées de Champagne en 1916 et retournera au combat juste après.
Cela lui vaudra d’être décoré de la Croix de guerre et de figurer dans le « Livre des défenseurs de Verdun ».
Il retournera au Séminaire juste après la guerre en 1919.

Et parmi ces rabbins engagés sur le front, comment ne pas évoquer la mort au champ de bataille du rabbin Abraham Bloch le 29 août 1914 en tendant un crucifix à un soldat chrétien agonisant, devenant l’image mythique du patriotisme juif dans la France républicaine. Je salue la présence avec nous du petit-fils du rabbin Bloch, Paul Netter, qui interviendra au cours de ce colloque.

En mai 1916, le Président de la République, Raymond Poincaré, participera à l’office célébré dans la Grande synagogue de la Victoire à Paris, à la mémoire des combattants juifs morts au champ d’honneur. Les murs de cette synagogue portent encore aujourd’hui les longues listes de ces morts pour la France, sur des plaques apposées en 1923.

Il faut aussi souligner que les combattants juifs seront soutenus à l’arrière par un travail sans relâche de la communauté, en particulier les deux seules institutions juives de l’époque, le Consistoire Israélite et l’Alliance Israélite Universelle.

En août 1914, le Consistoire organise l’aumônerie militaire.
En 1915, il publie la « Tefila du soldat » qui sera distribuée sur le front.

Les juifs pendant la grande guerre

Les sermons rabbiniques associent l’idéal religieux et l’idéal républicain, l’histoire du peuple juif et l’histoire de la nation.
Et notons également que jamais, dans l’histoire du judaïsme français, la femme n’aura été autant mise en valeur, avec un rôle clé d’organisation et de motivation.
Mais le grand paradoxe de cet engagement sans précédent pour la nation, c’est qu’il n’effacera pas, loin s’en faut, l’antisémitisme présent de longue date.
En France, malgré la réhabilitation d’Alfred Dreyfus en 1906, l’antisémitisme n’a pas disparu au sein de l’armée, ni dans la société. Il se renforce même à nouveau à partir de 1917.
En Allemagne, l’antisémitisme ne cessera d’augmenter tout au long de la guerre, sur fond de détérioration de la situation économique et d’une victoire qui ne vient pas. On cherche le coupable. Et une fois, de plus on le trouve dans le juif.

Haïm Korsia est Grand Rabbin de France depuis le 22 juin 2014, aumônier général israélite des Armées et administrateur du Souvenir Français, il a officié à Reims de 1988 à 2001.

Docteur en histoire contemporaine, titulaire d’un MBA de la Reims Management School, il a publié de nombreux ouvrages, dont une biographie du Grand Rabbin Jacob Kaplan en 2006, Être Juif et Français: Jacob Kaplan, le Rabbin de la République, aux Éditions Privé.


Le 29 août 1914, à Taintrux, dans les Vosges, le front est incertain. Une pluie d’obus s’abat sur les soldats et nombre d’entre eux sont frappés.

C’est là que se trouve le grand rabbin Abraham Bloch, aumônier israélite. Né à Paris en 1859, rabbin de Remiremont (Vosges), d’Alger, puis de Lyon, il s’engage dans l’aumônerie aux armées pour défendre la France et les valeurs républicaines qu’elle incarne.

Un soldat tombe, mortellement touché, et voit le grand rabbin, portant la soutane comme beaucoup d’aumôniers. Il le prend pour un prêtre catholique, et lui demande un crucifix. Pour répondre à l’ultime désir du soldat, le grand rabbin Bloch court chercher une croix dans le village le plus proche et le présente au moribond. C’est alors qu’un nouvel obus les frappe tous deux et les réunit dans la même mort.

Ce 29 août, un soldat tombe, mortellement touché, et voit le grand rabbin, portant la soutane comme beaucoup d’aumôniers. Il le prend pour un prêtre catholique, et lui demande un crucifix. Pour répondre à l’ultime désir du soldat, le grand rabbin Bloch court chercher une croix dans le village le plus proche et le présente au moribond. C’est alors qu’un nouvel obus les frappe tous deux et les réunit dans la même mort, assistés du père jésuite Jamin. Maurice Barrès, loin d’être un philosémite reconnu, en parle dans son livre Les Diverses Familles spirituelles de France comme d’un acte «plein de tendresse humaine».

Une stèle honore ce geste extrême de fraternité, à 6 kilomètres de Saint-Dié dans les Vosges: «Ici, le 29 août 1914, le grand rabbin Abraham Bloch, aumônier aux armées françaises, a été tué, après avoir porté la croix du Christ, à un soldat catholique mourant. Inauguré le 2 septembre 1934 par M. G. Rivollet, ministre des pensions.»

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Une autre plaque à la mémoire du grand rabbin Bloch est apposée à l’entrée du séminaire israélite de France, symbole et message à tous les futurs rabbins qu’ils seront au service de tous, par-delà leur communauté, car tous frères.

 

 

Le grand rabbin Jacob Kaplan, mort il y a tout juste vingt ans, était convaincu que la grande réconciliation entre les religions de France s’était scellée dans la boue et les larmes des tranchées.

C’était il y a cent ans, mais c’est de cette notion de don de soi pour que l’autre vive, dont nous aurions tant besoin aujourd’hui! Il ne s’agit pas pour le judaïsme contemporain de tirer quoi que ce soit de ce sacrifice, comme du sacrifice de tous ceux qui sont morts pour la France en professant la foi d’Israël, mais de rappeler notre Histoire, et combien cet acte et tous les autres nous obligent, tout comme ils engagent notre pays à rester fidèle au rêve de ceux qui ne sont plus.

Face aux quatre immenses plaques situées dans la grande synagogue de Paris et rappelant le sacrifice des membres connus de la communauté juive de Paris au cours de la Grande Guerre, figure un texte particulièrement émouvant: «A la mémoire de Charles Péguy, mort pour la France le 5 septembre 1914». Et la pierre garde le message de Charlotte, son épouse: «J’aimerais que le nom de mon mari Charles Péguy soit joint à ceux des israélites qui ont donné comme lui leur vie pour la France». Lui qui incarnait la profondeur de l’âme française savait où étaient, parmi les citoyens, ceux qui aspiraient à une France de l’idéal. C’est peut-être ce qui nous est si difficile à vivre aujourd’hui: ce décalage entre la France idéale et celle de toutes les contingences et de tous les dénis.

Ne doit-on se réconcilier que dans la souffrance et les difficultés, dans les tranchées et dans la guerre ? Il nous faut retrouver cette confiance en notre destin commun qui nous poussera chacun à conserver sa foi, ses convictions politiques, sociétales, éthiques, tout en nous ouvrant à l’autre.

Le grand rabbin Jacob Kaplan, mort il y a tout juste vingt ans, était convaincu que la grande réconciliation entre les religions de France s’était scellée dans la boue et les larmes des tranchées. Lui-même, avant d’être grand rabbin de France (1955-1981), grand-croix de la Légion d’honneur et membre de l’Institut, était un survivant du 411e régiment, où il avait servi durant toute la première guerre mondiale.

Ne doit-on se réconcilier que dans la souffrance et les difficultés, dans les tranchées et dans la guerre? Il nous faut retrouver cette confiance en notre destin commun qui nous poussera chacun à conserver sa foi, ses convictions politiques, sociétales, éthiques, tout en nous ouvrant à l’autre. Nous aurons ainsi la certitude qu’elles enrichissent la société dans laquelle nous vivons, le monde que nous bâtissons.

Beaucoup de nos concitoyens ont des gestes de respect envers les croyants d’un autre culte, démontrant leur foi laïque en l’homme, base essentielle de leur foi en Dieu. Ce faisant, ils construisent au quotidien une France qui est belle. Mais combien s’enferment et se replient sur des espaces restreints et cloisonnés?

Cent ans après le geste sublime du grand rabbin Abraham Bloch, nous avons plus que jamais besoin de son message d’amour du prochain et de respect de la foi de qui ne prie pas comme nous, mais adresse sa prière au même Dieu, son rappel de ce qu’est la vocation du creuset français et son rêve d’une France «unie dans la diversité».

Nous serons avec tous ceux qui croient en la France et qui espèrent en l’Homme à Taintrux, ce 29 août au matin, afin de réaffirmer que le grand rabbin Abraham Bloch est toujours un modèle pour nous d’engagement, de foi et de don de soi.

Le plus bel hommage à rendre au grand rabbin Abraham Bloch est de réaffirmer aujourd’hui par nos actes que par son engagement total, il était une part du génie de la France.

C’est pourquoi nous serons avec tous ceux qui croient en la France et qui espèrent en l’Homme à Taintrux, ce 29 août au matin, afin de réaffirmer que le grand rabbin Abraham Bloch est toujours un modèle pour nous d’engagement, de foi et de don de soi.

Et si nous ne pouvons pas être présents, poursuivons son action et partageons son élan de manière moderne et actuelle en publiant un message sur les réseaux sociaux: «Plus de minute de silence, mais une minute pour la France. Tous ensemble et non pas différents. Jamais indifférents à l’autre. C’est la France qu’on défend, c’est la France qu’on aime «.

Haim KORSIA

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Un ancien combattant français juif blessé de la Grande Guerre et amputé, pose fièrement aux côtés de ses enfants.

Sa fillette a sur sa robe l’étoile jaune que le régime collaborationniste de Vichy l’oblige à porter.

Quant à lui, à la place de l’étoile jaune, il arbore fièrement ses médailles.

Son fils n’a pas encore, et n’aura plus jamais l’âge, de porter cet insigne distinctif.

Il envoie cette photo avec un courrier à l’attention du Maréchal Pétain.

Peine perdue.

Pas de réponse.

Rien ne les sauvera.

Pascale Davidovicz

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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