Au G20, l’Europe, l’Inde et les États-Unis veulent contrer la Chine avec leurs propres «routes de la soie»
Des voies ferrées et des câbles reliant l’Inde à l’Union européenne en passant par les pays du Golfe. Les enjeux du projet de corridor présenté à New Delhi.
Un corridor reliant l’Inde à l’Europe via le Moyen-Orient, équipé d’une liaison ferroviaire, d’un câble transcontinental haut débit et d’un futur gazoduc à hydrogène. Un tel projet rappelle furieusement les «Nouvelles routes de la soie» lancées il y a tout juste dix ans par le président chinois Xi Jinping.
L’Inde, l’Union européenne (UE), les États-Unis, en marge du sommet du G20 organisé ce week-end à New Delhi, ont officiellement annoncé ce samedi le lancement d’un «corridor économique Inde – Moyen-Orient – Europe». Ce «corridor est bien plus qu’une simple voie ferrée ou un câble, c’est un pont vert et numérique» qui reliera «les continents et les civilisations», a déclaré Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, à New Delhi.
Ce projet pour lequel aucun montant d’investissements n’a encore été communiqué, s’inscrit dans le cadre d’une initiative lancée l’an dernier au sommet du G20 de Bali avec le président américain Joe Biden, baptisée le Partenariat pour une infrastructure et un investissement global (PGII, en anglais). L’Europe participe à ce PGII à travers son propre plan, Global Gateway, qui vise à financer des infrastructures dans les pays émergents et en développement à hauteur de 300 milliards d’euros, entre 2021 et 2027. Il s’agit de promouvoir des projets plus responsables sur les plans financier, social et écologique que les projets chinois, en Afrique notamment.
Emmanuel Macron qui participait à cette réunion de présentation du corridor aux côtés d’autres homologues de plusieurs pays du G20 a indiqué que la France était disposée à participer au projet. Il a rappelé à cette occasion l’expertise des grandes entreprises tricolores en matière d’infrastructures. Si un système de transport d’hydrogène était un jour construit pour acheminer ce gaz d’avenir du Golfe vers l’Europe, Marseille, déjà destination prévue pour le futur «hydrogénoduc» H2Med en provenance d’Espagne, aurait vocation à l’être pour le tube venant du Moyen-Orient, indique une source française.
Le nouveau corridor passera par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Jordanie et Israël. L’Arabie saoudite, représentée à New Delhi par le prince héritier Mohammed ben Salman, entretient des liens étroits avec la Chine, devenue son principal acheteur de pétrole. Mais elle semble ne pas vouloir se lier les mains avec une alliance exclusive. Et sa relation historique avec les États-Unis, si elle s’est refroidie, n’est certainement pas enterrée. Les Américains s’appuient sur cette stratégie d’infrastructure dans leur dessein de réconcilier Israël et les pétromonarchies du Golfe. Pour l’Union européenne, le rapprochement avec les puissances arabes du Golfe est une réponse apportée à la guerre en Ukraine, indique-t-on à la Commission. Pas question de laisser les liens entre Moscou et Riyad se resserrer sans réagir.
Même si ce n’est pas évoqué officiellement, le Corridor Inde-Europe apparaît clairement comme une contre-offensive aux «Nouvelles routes de la soie» chinoises, rebaptisées «L’initiative de la ceinture et de la route» (BRI, anglais). Ce projet dans lequel Pékin a prévu d’investir des centaines de milliards de dollars pour «connecter» 150 pays en Eurasie et en Afrique a dès ses débuts été considéré avec méfiance à New Delhi. «Nous avons été les premiers à dire que les Routes de la soie étaient aussi à usage militaire et useraient de coercition financière», commente un diplomate indien. «Nous avons dénoncé l’opacité des conditions de prêts, nous avons alerté sur le risque de fardeau impossible de la dette». «L’euphorie des débuts s’est émoussée; l’expérience du Sri Lanka a fait peur, beaucoup de pays se rendent compte qu’ils ont accumulé des dettes insupportables et risquent de devoir céder des actifs stratégiques», à leur créancier chinois, poursuit cet officiel indien.
Selon la Commission européenne, l’objectif du corridor est d’accélérer de 40% le trajet de marchandises entre l’Inde et l’Europe. Reste à présent à traduire cette volonté politique en chantiers réels.
JForum avec Fabrice Nodé-Langlois www.lefigaro.fr
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