À Écaquelon, les deux jeunes filles juives déportées restent dans les mémoires
Marcelle Szpiro et Thérèse Rajngewere, jeunes filles juives déportées en 1943 sont encore dans les mémoires, dix ans après la pose d’une plaque leur rendant hommage à Écaquelon.
Elles s’appelaient Marcelle Szpiro et Thérèse Rajngewere. Depuis dix ans, ces deux jeunes filles de confession juive sont honorées à Écaquelon (Eure), petite commune située près de Montfort-sur-Risle. Sur un mur extérieur de l’école du village, une plaque en marbre leur est dédiée. Sa sobriété ne laisse pourtant pas indifférent.
Au moment de la lire, on peut sentir un frisson nous parcourir l’échine : « Le 22 octobre 1943, Thérèse Rajngewere, 12 ans et Marcelle Szpiro, 9 ans. Jeunes juives de nationalité française. Hébergées à Écaquelon depuis 1939. Élèves de cette école ont été arrêtées. Déportées par le convoi 62 du 20 novembre 1943 à Auschwitz, elles ont été assassinées dès leur arrivée. N’OUBLIONS JAMAIS. »
Une tragique histoire qui reste, aujourd’hui encore, dans toutes les mémoires dans le village eurois.
Une histoire restée enfouie
Pourtant, ce souvenir est longtemps resté enfoui. Christiane Dupont, maire d’Écaquelon entre 2009 et 2020, le sait bien. Arrivée dans la commune en 1979, cette retraitée de l’éducation nationale se souvient avoir entendu à quelques occasions « des anciens parler de cette histoire ». Mais le sujet restait tabou.
C’est aux alentours des années 2010 que le dossier prend un tournant. À la mairie, les élus reçoivent un courrier de Serge Klarsfeld, président de l’association Fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF). Il indique être en contact avec le frère de Marcelle, également cousin de Thérèse (les deux jeunes filles étaient cousines).
Bain de jouvence avant réouverture pour le musée de la Résistance près de Pont-Audemer
Peu de temps après, c’est un certain Marc Betton, professeur d’histoire et géographie au lycée Louis-Modeste Leroy à Évreux, qui prend contact avec la mairie. Il entreprend un travail de recherches sur Marcelle et Thérèse après avoir trouvé leurs fiches de renseignements d’époque. Débute alors pour le professeur et la maire un « long combat » pour retrouver des archives et des témoignages afin de faire reconnaître officiellement les fillettes assassinées, et ainsi honorer leur mémoire.
Des témoignages poignants
Christiane Dupont se souvient de témoignages chargés en émotions : « Je me souviens avoir discuté avec une ancienne élève, amie de Thérèse. Elle se souvenait d’une jeune fille souriante et agréable, très douée à l’école. Elle est partie un midi avec sa cousine pour le déjeuner en lui disant ‘à tout à l’heure’, mais elle n’est jamais revenue… » Les éléments apportés par les anciens instituteurs du village sont aussi édifiants.
Personne ne l’avait vu venir.
Christiane Dupont Ancienne maire d’Écaquelon
« A priori, elles n’ont pas été dénoncées. Les Allemands auraient réussi à remonter jusqu’à elles après une perquisition au domicile de leurs parents, à Paris. »
Juliette Poret, qui a accueilli les deux petites filles juives à Écaquelon. ©Archives L’Éveil de Pont-Audemer
Le jour où elles ont été enlevées, Marcelle et Thérèse se rendaient chez Juliette Poret. Cette nourrice bien connue à Écaquelon hébergeait les fillettes depuis 1939 après que leurs parents aient préféré les éloigner de la capitale, sentant le vent tourner. Pendant quatre ans, elles ont fait partie intégrante du village. Leur nourrice ne s’est jamais remise de leur disparition.
Juliette Poret a été enterrée avec leurs deux photos.
Christiane Dupont Ancienne maire d’Écaquelon
Même si elle n’a pas été officiellement reconnue parmi « les Justes de France », Juliette Poret a reçu un bel hommage à Écaquelon. La rue dans laquelle elle vivait porte son nom.
La rue dans laquelle étaient hébergées les deux jeunes filles a été rebaptisée au nom de leur nourrice, Juliette Poret. ©Yann Rivallan
Cérémonie spéciale en fin d’année
C’est finalement en 2013 que la plaque commémorative pour Marcelle Szpiro et Thérèse Rajngewere est apposée. Dix ans après, le souvenir de ces deux jeunes filles brutalement assassinées par le régime nazi est intact. Chaque année, la commune se remémore cette histoire, notamment lors de la Journée nationale du souvenir de la déportation. Mais cette année 2023 revêt un caractère particulier avec les dix ans de la pose de cette plaque.
À cette occasion, le conseil municipal devrait organiser une cérémonie « aux alentours du mois de novembre 2023 », informe Alain Leboucher, adjoint au maire. Pas de date précise pour le moment, mais Christiane Dupont note une date symbolique qui pourrait convenir : le 20 novembre. Il s’agit « de la date anniversaire de leur assassinat à Auschwitz », précise l’ancienne édile. L’occasion de poursuivre le devoir de mémoire et de dénoncer la barbarie, à une époque « où la guerre fait encore rage aux portes de l’Europe. La preuve que les hommes n’ont toujours pas compris », conclut avec émotion Christiane Dupont.
JForum avec Yann Rivallan actu.fr/normandie/
La plaque commémorative pour les deux jeunes filles juives déportées est encore bien en place sur le mur de l’école d’Écaquelon (Eure). ©Yann Rivallan