« Être juif marocain en 2022 », par Michael SICSU

Michaël Sicsu est né en 1981 à Agadir dans une famille juive originaire de Tanger. Cadre commercial en France, il revient dans la capitale du Souss en 2006 et depuis, il a restaurateur puis gestionnaire de fortune. Il sillonne désormais chaque recoin du Royaume pour en découvrir les richesses. Ses cultures hispanique, juive, berbère, pied-noir en s’agrégeant, ont forgé une mosaïque qui transparaît à travers son œuvre, faite d’une mélange de curiosité spirituelle et porteuse d’une mémoire bimillénaire. Il a écrit l’ouvrage « Une histoire juive du Maroc » et s’exprime ici sur le média La Tribune (Maroc)
Après deux années de réflexions et d’études, Sa Majesté le Roi Mohammed VI entérine la Troisième réorganisation des instances représentatives juives marocaines en 104 ans.
Ces mesures, présentées par le chevronné ministre de l’Intérieur Abdelouafi Laftit (X-Ponts) semblent coller à la fois à la réalité démographique des juifs marocains, à leurs attentes, à leur dissémination dans l’espace, à la nouvelle réalité géopolitique née dans le sillage de la normalisation avec Israël, porteur de tant de défis et promesses.
Jusqu’ici, le cadre légal appliqué était le Dahir du 7 Mai 1945 (24 Joumada I 1364) datant du protectorat et de la seconde guerre mondiale (Sultan Mohammed V), lui- même abrogeant celui du 22 Mai 1918 (11 Chaabane 1336) portant le sceau de son père, le Sultan Moulay Youssef.
Cette refonte s’appuie sur trois organes distincts touchant autant de cœurs de cibles et répondant à des exigences actuelles, Mohammed VI étant, chacun le sait, un Roi éminemment contemporain et pragmatique.
Un Organe « interne » : Le « Conseil national de la communauté juive marocaine », chargé de « la gestion des affaires de la communauté et la sauvegarde du patrimoine et du rayonnement culturel et cultuel du judaïsme et de ses valeurs marocaines authentiques ».
Il faut reconnaître que tout semblait figé : la communauté juive marocaine de part cette absence de cadre légal désormais résolu, ne pouvait prétendre officiellement se mettre à jour comme le stipule l’article 12 de la Constitution de 2011, qui en préambule reconnaissait – fait unique dans le monde arabo musulman – que le Royaume était enrichi de son affluent hébraïque.
Factuellement, la situation est claire : en soixante-six ans (depuis l’indépendance), les juifs marocains n’ont eu que trois représentants : Le Dr Leon BENZAQUEN, ministre des PTT du 1 er gouvernement indépendant, David AMAR, ex-président de l’ONA, Serge BERDUGO, ex-ministre du tourisme et ambassadeur itinérant de Sa Majesté.
Les membres des comités élus il y a bientôt 40 ans sont dans leur majorité décédés, et les comités des principales villes n’avaient jusque-là pour beaucoup ni contre-pouvoir, ni autorité morale, ni légitimité démocratique, sinon par le fait du prince et des cooptations de complaisance ou par filiation.
Bien que la population actuelle se soit réduite comme peau de chagrin à Tanger, Tétouan, Meknès, Fès et Rabat (Casablanca, Marrakech et Agadir tirant encore leur épingle du jeu pour diverses spécificités régionales et sectorielles) la vie juive continue d’être active et de « faire le job ».
A titre d’exemple, La synagogue d’Agadir connait une résurrection grâce aux groupes de touristes israéliens, aux séjours « Casher » organisés dans les hôtels mais aussi grâce à la venue régulière et soutenue de juifs de France d’origine algérienne ou tunisienne, préférant de loin le Royaume à leurs pays d’origine comme destination de villégiature.
Le nombre important de mariages et bar-mitzva dans les régions de Taghazout et d’Agadir est un levier économique prometteur qui outre des rentrées de devises, permet de créer du lien social entre marocains de toutes confessions et les conditions d’un cercle vertueux.
De plus, il existe encore dans chacune de ces villes des forces impliquées et dynamiques désirant répondre présent à ce nouveau défi, à ce cadeau institutionnel que Sa Majesté nous offre.
Enfin, cet organe devra à mon sens, en collaboration avec l’ONMT, donner priorité à la captation des juifs américains, nos « voisins d’en face » – 10 millions d’âmes – friands de cet Orient fantasmé, et à fort pouvoir d’achat. Rappelons que New-York est moins éloignée de Marrakech que de Los Angeles.
Un Organe « externe » : la Commission des juifs marocains de l’étranger qui « œuvrera à consolider les liens des juifs marocains établis à l’étranger avec leur pays d’origine, à renforcer leur rayonnement cultuel et culturel et à défendre les intérêts suprêmes du royaume ».
Comme le disait feu S.M Hassan II, « Quand un juif marocain s’expatrie, le Maroc perd un citoyen mais gagne un ambassadeur ». Force est de constater qu’en 2022, de nombreuses voix juives marocaines portent à l’étranger, que ce soit au sein de grandes instances internationales que d’organismes juifs américains ou européens, sensibles au message apaisé, clair, serein et fluide que le Royaume entretien urbi et orbi, c’est-à-dire avec ses juifs résidents comme avec le monde Juif en général.
La Fondation du judaïsme marocain – qui « a pour missions de promouvoir et veiller au patrimoine immatériel judéo-marocain, de sauvegarder ses traditions et de préserver ses spécificités »
Là encore, le vivier de la mémoire juive marocaine est à trouver hors de nos frontières, à Bruxelles, Madrid, Jérusalem, Cambridge, New-York ou Paris. Il a puisé sa richesse dans la mélancolie de l’exil et du déracinement. Le danger serait à mon sens de s’appuyer par facilité sur la normalisation pour puiser du contenu chez les Marocains d’Israël, ou la culture judéo-arabe ou judéo-amazighe – donc principalement toshavim* Juifs autochtones) – ne représente qu’un infime spectre de la culture juive marocaine.
La Culture Sepharade, issus des ‘’Megorashims’’ exilés d’Espagne en 1492, qui nous a donné les plus beaux airs arabo andalous, les plus belles synagogues de la zone Nord, une gastronomie, une liturgie si riche et dont les descendants rayonnent de Caracas à Madrid, de Panama à Miami, d’Istanbul à la Costa del Sol, aura un rôle majeur à jouer dans cette mémoire retrouvée.
Enfin, comme je me plais à le répéter sur les réseaux ou lors de mes conférences à l’étranger, Il est temps de faire comprendre au Monde entier (et que le Monde entier l’accepte) que le Maroc est porteur d’un message universel, que sa voix dans le concert des nations est spécifique et singulière.
De la même manière que les USA véhiculent un message de liberté, ou que la France, pays des droits de l’homme a offert au monde l’égalité, soyons le pays de la solidarité, du dialogue interreligieux et interethnique. Montrons au Monde de façon encore plus large que dans nos rues, loin des caméras, de façon tout à fait apaisée et naturelle, juifs et musulmans rient, chantent ensemble, échangent, déjeunent, étudient, voyagent, commercent. Envoyons ces signaux positifs et nous percevrons les fruits de ce que nous sommes au quotidien. Un peuple singulier, digne, et qui tient son destin entre ses mains !

par La Tribune

S.M. Mohammed VI visite «Bayt Dakira». Essaouira, le 15 janvier 2020.

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