L’attentat qui a coûté la vie au commandant militaire du Hezbollah en Syrie, Moustafa Badreddine, dans la nuit de jeudi à vendredi, soulève des questions quant à l’identité de ses auteurs, même si le « parti de Dieu » a accusé hier les « groupes takfiris » d’être à l’origine de l’explosion – déclenchée par des « tirs d’artillerie », selon le communiqué officiel du parti….

Doutes et spéculations

Le Hezbollah a annoncé vendredi matin la mort de son chef.  Contrairement à l’accoutumée, et pour la première fois de son histoire, il n’a pas directement inculpé Israël.
En parallèle, il a laissé s’écouler 24 heures avant de pointer les takfiris du doigt, faisant allusion aux formations armées sunnites extrémistes, sans toutefois nommer un groupe particulier.
Deux éléments qui ont fait planer le doute et alimenté les spéculations parmi les observateurs et simples citoyens quant à une possible implication d’autres parties dans l’opération, voire des « alliés » du terrain syrien.
 L’assassinat a eu lieu, en effet, dans une zone ultra sécurisée sous le contrôle du régime, non loin de l’aéroport de Damas, avec une forte présence des combattants du Hezbollah et des alliés iraniens, et à laquelle les rebelles ont difficilement accès.
La première position rebelle se trouve, en effet, à 7 km du lieu présumé de l’attentat, dans la Ghouta orientale.
« Il me paraît quasi-impossible que des acteurs locaux, qu’il s’agisse de takfiris ou d’autres, soient derrière cet attentat. D’abord parce qu’ils ne disposent pas des moyens techniques pour mener une telle opération, ensuite parce que la décision de liquider le chef militaire du Hezbollah ne peut être prise qu’à un plus haut niveau (…)
Enfin, la région concernée  est un périmètre militaire ultra sécurisé, non loin du Mausolée de Zeinab », souligne le politologue libanais, Lokman Slim, spécialiste de la question chiite et du Hezbollah.
Ses propos s’accordent aux précisions rapportées samedi par le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), Rami Abdel Rahmane, à l’AFP : « aucun tir d’artillerie n’a été enregistré durant les 72 heures » précédent l’annonce de la mort de Badreddine, en partance « de la Ghouta vers la zone de l’aéroport », alors que le communiqué du Hezbollah imputait l’explosion à des tirs de mortiers.


Aucune revendication islamiste

Autre argument discréditant dans une certaine mesure la version avancée par le parti chiite : aucune faction islamiste présente sur le terrain n’a officiellement revendiqué la responsabilité de l’attentat.
Or l’EI et le front Al-Nosra, parmi d’autres, ont rarement hésité à assumer publiquement ce type d’opérations, se targuant même de leurs « exploits », notamment s’ils ciblent la troupe, les bâtiments publics, voire même des personnalités et de civils proches du régime et/ou de ses alliés.
 C’était, entre autres, le cas du double-suicide à la voiture piégée perpétré par Al-Nosra en octobre 2012 contre l’un des sièges des services de sécurité de l’armée de l’air, près de Damas, puis, en décembre de la même année, d’une opération kamikaze contre le ministère de l’Intérieur.
Quant à l’EI, il a maintes fois revendiqué les opérations menées aussi bien contre le régime que le Hezbollah, dont la dernière en date fut l’attentat contre des civils à Bourj al-Barajneh, un quartier chiite de la capitale.


Responsabilité russe ?


Si Israël et les groupes islamistes sont exclus, l’un par élimination, du Hezbollah même, l’autre par déduction, la piste d’une responsabilité russe ne serait pas à exclure, selon certains analystes.
Le conflit syrien se poursuit, en effet, sur fond d’une lutte d’influence entre plusieurs acteurs, dont Moscou et Téhéran.
 Tout en se réjouissant de l’appui apporté par l’Iran pour soutenir un régime qu’elle défend bec et ongle, la Russie cherche à maintenir la haute main sur les grandes décisions et éviter que l’arc chiite qui s’étend de Téhéran jusqu’au Sud-Liban, ne gagne en épaisseur.
Ce jeu à géométrie variable est d’autant plus crucial que la crise syrienne a permis à Moscou son grand retour sur la scène internationale, notamment au Proche-Orient, depuis la chute de l’URSS en 1991.
Quant au « parrain » chiite du régime alaouite de Syrie, il a fait de cette dernière une clé de voûte de l’expansion de son pouvoir dans la région jusqu’à la frontière avec Israël.
Perdre sa position ante serait synonyme de renoncement à une politique tissée, fil après fil à partir des années 1980.
 En parallèle, le Hezbollah voit d’un mauvais œil la montée en puissance de la Russie sur l’échiquier syrien et l’appropriation par Moscou des sacrifices et des réalisations accomplies par ses propres combattants.
C’est dans ce contexte que le parti aurait décidé de poursuivre les combats, en dépit de la décision prise par la Russie le 16 mars dernier de retirer le gros de son contingent, dans une démarche – plutôt partielle et symbolique, selon le Hezbollah – visant, du moins officiellement, à paver la voie à des négociations diplomatiques plus constructives sur la Syrie.
 Voulant se démarquer de cette position, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé une semaine après l’annonce russe, sur un ton assez provocateur, que « le Hezbollah restera en Syrie jusqu’à la défaite des djihadistes (…) que les Russes partent ou restent ».


Multiples motivations

Selon Lokman Slim, Moscou pourrait ainsi être derrière l’attentat. « Les Russes veulent imposer une politique qui n’est pas nécessairement celle d’une action militaire tous azimuts, contrairement aux Iraniens, souligne-t-il.  Or pour ces derniers, tout comme pour le Hezbollah et le régime syrien, reprendre Alep constitue un moyen d’imposer un nouveau statu quo militaire et, par conséquent, de nouvelles règles d’engagement diplomatique.
Les Russes, quant à eux, n’ont pas les mêmes calculs, ni la même vision restreinte. Ils ont de multiples intérêts à travers le globe, y compris avec les Saoudiens, les Turcs, etc. et privilégient donc une solution négociée qui préserverait néanmoins la face » de leurs alliés, ajoute le politologue.
Il existerait d’autres motivations derrière une telle mission sanguinaire, liées, entre autres, à l’enlèvement au milieu des années 1980, durant la guerre du Liban, de quatre diplomates soviétiques et l’assassinat de l’un d’entre eux, Arkadi Katkov, le 2 octobre 1985.

Cette affaire avait été imputée au Hezbollah, parmi d’autres enlèvements, dont celui du sociologue français Michel Seurat.
Pour d’autres analystes, même si la version officielle avancée par le Hezbollah s’avérait totalement fondée, la piste d’une complicité, ou d’une infiltration de la part de certains membres du régime ou des services de renseignements syriens ou russes pour identifier l’entrepôt dans lequel se trouvait Moustafa Badreddine, n’est pas à écarter.

 D’autant qu’il ne s’agirait pas d’une première. L’attentat perpétré par l’Armée Syrienne Libre (ASL) le 18 juillet 2012 dans le bâtiment de la sécurité nationale, qui avait coûté la vie à plusieurs hauts responsables du régime et membres de la famille Assad – dont le beau-frère de Bachar, Assef Chawkat ainsi que le ministre de la Défense, Daoud Rajha, et grièvement blessé son frère, Maher -, aurait été exécuté par un garde du corps chargé de déclencher une bombe déposée dans la salle de réunion.

L’assassinat de Rafik Hariri en toile de fond


L’hypothèse d’une implication du régime semble, pour certains, d’autant plus plausible que Moustafa Badreddine ainsi qu’un autre commandant militaire, Imad Moughniyyé, tué en 2008, également dans un périmètre ultrasécurisé de Damas, sont accusés tous les deux d’avoir fomenté, parmi d’autres, l’assassinat en février 2005 de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et font l’objet de mandats d’arrêt émis par le Tribunal de l’ONU pour le Liban.
 Aucun responsable syrien n’a, en revanche, été inculpé par le Tribunal, la Syrie étant pourtant soupçonnée dès le départ d’avoir commandité cet assassinat. Le régime syrien craignait-il donc d’éventuels aveux embarrassants de la part des inculpés hezbollahi en cas de comparution à l’avenir devant les tribunaux concernés ?
Ces spéculations sont alimentées par la méfiance qui existerait entre le régime syrien et le « parti de Dieu », quoiqu’invisible et très peu médiatisée. Des témoignages secrets de plusieurs combattants retournés au Liban font état d’une prudence sur le terrain entre les soldats et les miliciens des deux factions. Dans certaines zones de combats ou de campements communs, la vigilance est même de mise ; au moins un milicien doit rester éveillé la nuit pour surveiller d’éventuelles activités suspectes de la part des agents syriens, selon des récits anonymes.  



Jaych al Islam et les renseignements saoudiens ?

Pour le chercheur Raphaël Lefèvre du Centre Carnegie, les soupçons portant sur une implication de la Russie et/ou du régime syrien, qu’il ne partage guère, tiennent de la théorie du complot : « La Russie n’aurait rien a gagner dans cette affaire, à part s’attirer les foudres de l’Iran dont il a besoin dans les batailles menées en Syrie (…).
Quant à Bachar el-Assad, il aurait encore moins à gagner avec l’assassinat de Badreddine, car cela montrerait que même les zones pro-régime réputées  »impénétrables » de Damas peuvent désormais être visées et ne sont plus véritablement sécurisées », souligne le chercheur.
Il se peut que Jaysh al Islam ou un autre groupe rebelle de Damas en lien avec les services saoudiens, lesquels n’ont toujours pas pardonné à Badreddine son implication présumée dans l’assassinat de Rafic Hariri (…) ait pu avoir mené l’opération ».

Le chercheur s’interroge néanmoins sur les raisons pour lesquelles Jaysh al Islam n’aurait pas revendiqué aussitôt après les faits.
 Pour Rapahël Lefèvre, la version officielle n’est pas, en tout cas, plus plausible. L’accusation des « takfiris » est un outil pour le Hezbollah, afin de « remobiliser ses partisans à un moment où la contestation interne semble monter contre l’implication du groupe dans la bataille d’Alep ». 
C’est une effet une « guerre de propagande » que mène le parti, en cherchant à imprimer dans l’inconscient de ses partisans et sympathisants une forme d’unicité entre groupes islamistes et Etat hébreu, dans l’optique de pouvoir continuer à « recruter despartisans anti-Israël ».
Cette version permet également « d’éviter des représailles contre Israël, qui pourraient s’avérer fatales si elles menaient à une escalade et à une guerre que la milice chiite n’a pas, pour l’instant, les moyens de gagner », conclut le chercheur.

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