Et si, finalement, la Chine ne dépassait pas les États-Unis?

Joe Biden et Xi Jinping lors du sommet du G20 à Bali, en Indonésie, le 14 novembre 2022. KEVIN LAMARQUE/REUTERS

ANALYSE – L’empire du Milieu, première puissance économique mondiale… Une obsession pour les États-Unis. La date du point de bascule est l’objet d’un débat renouvelé.

D’ici à la fin de la décennie, la Chine aura dépassé les États-Unis. Le PIB de l’empire du Milieu, mesuré en dollars, devrait avoir supplanté celui des États-Unis, faisant de la Chine la première puissance économique mondiale. Pour nombre d’économistes, il y a encore peu, l’affaire était entendue.

Seulement, la crise du Covid a modifié la trajectoire de la croissance chinoise. La date où les États-Unis tomberont de leur piédestal de première puissance économique mondiale, où ils sont installés depuis plus d’un siècle, sera certainement repoussée. Les faiblesses apparues dans le modèle chinois sont telles que certains experts se demandent même si, finalement, la Chine rattrapera les États-Unis un jour.

Le spectaculaire rattrapage chinois

Aux États-Unis, le rattrapage de la Chine tourne à l’obsession, tant chez les républicains que chez les démocrates. La crainte fait écho au passé. «J’étais étudiant à Yale dans les années 1970, se souvient l’économiste Kenneth Rogoff, professeur à l’université de Harvard. Le Prix Nobel américain d’économie «Paul Samuelson prédisait alors que l’URSS rattraperait les États-Unis d’ici à la fin du siècle», raconte-t-il au Figaro. Ce qui, comme on le sait, ne s’est jamais produit, bien au contraire. L’empire soviétique a craqué et, aujourd’hui, la Russie affiche un PIB du même ordre de grandeur que celui de l’Italie, dix fois moindre que celui des États-Unis.

Après la menace soviétique, il y eut un premier «péril jaune». «On disait que le Japon nous dépasserait à la fin des années 1990», rappelle encore Kenneth Rogoff. En 1995, le PIB nippon a quasiment frôlé celui des États-Unis. Mais la situation s’est retournée à la faveur de l’éclatement de la bulle financière japonaise et le pays du Soleil-Levant s’est installé dans une longue stagnation qui perdure aujourd’hui. Pendant ce temps, l’économie américaine a continué de s’envoler, passant en un quart de siècle d’un PIB de 7 640 milliards de dollars à plus de 23 000 milliards en 2021.

C’est au cours de ces décennies que la Chine s’est éveillée. Elle a entrepris des réformes économiques après la mort de Mao, à partir de 1978. En 1995, son PIB s’élevait à 734 milliards de dollars. En 2021, il dépassait 17.700 milliards. Sur la même période, Washington a triplé sa richesse nationale, tandis que Pékin multipliait la sienne par 24 et pesait au final pas loin de 80 % du PIB américain. Un bond prodigieux. En moins de deux générations, une nation de paysans pauvres s’est muée en usine du monde.

Sans aucun doute, c’est la Chine qui mène aujourd’hui la compétition avec le champion américain. Xi Jinping, à la tête du pays depuis 2013, plus solidement installé que jamais, entend bien l’amener à la première place mondiale sur le plan économique, tout en rêvant d’hégémonie militaire et culturelle. En novembre 2020, il affirmait qu’il était «tout à fait possible» que la Chine double son PIB d’ici à 2035, ce qui la mènerait alors à près de 29.000 milliards de dollars. Devant l’Amérique, qui, selon les projections retenues, n’atteindrait «que» 28.000 milliards.

Chez l’Oncle Sam, s’il est un sujet qui fait quasiment l’unanimité entre élus démocrates et républicains, c’est bien la volonté de borner la puissance de Pékin sur tous les plans, y compris économique. De Barack Obama, qui tentait de circonscrire la puissance commerciale de Pékin avec un traité transpacifique excluant la Chine, à Donald Trump, qui avait empilé les taxes à l’importation dans l’espoir de réduire le déficit commercial, jusqu’à Joe Biden, les plans se succèdent. L’Administration Biden a mis en place le Chips Act qui entend limiter l’accès des Chinois aux semi-conducteurs les plus performants, au cœur de la révolution numérique. La Maison-Blanche allonge régulièrement la liste des équipements technologiques interdits ou restreints à l’exportation vers l’empire du Milieu. Pas plus tard que lundi, le nouveau premier ministre chinois Li Qiang a dénoncé «l’encerclement» de son pays par les États-Unis.

L’alerte du Covid-19

C’est dans ce contexte de rivalité exacerbée que l’ascension inexorable de l’empire du Milieu a subi un coup de frein. Les trois années de pandémie ont rebattu les cartes. Si la Chine a échappé à la récession en 2020, sa croissance est tombée à 2,2 %, soit trois fois moins que les années précédentes, et un niveau inédit en trente ans. Surtout, là où le reste du monde rebondissait, parfois vigoureusement, la prolongation de la politique «zéro Covid» en 2021 et presque jusqu’à la fin de 2022, a étouffé l’activité. Xi Jinping a préféré sabrer l’économie (3 % de croissance en 2022 selon le FMI) et cloîtrer les habitants plutôt que risquer une explosion du nombre de malades et de morts. Phénomène qui a fini par se produire au tournant de l’année dès la levée des confinements.

Pour cette année, le FMI annonce une progression du PIB chinois de 5,2 %, tandis que Pékin vise «environ 5 %» sans être certain d’y parvenir. Li Qiang, le premier ministre nommé samedi, a d’emblée expliqué: «Ce ne sera pas facile, je le crains, et cela demandera beaucoup d’efforts.» Une croissance de 5 % serait pourtant l’une des plus faibles depuis des décennies et loin de la fourchette de 7 % à plus de 14 % de croissance annuelle atteinte entre 1991 et 2018. Après que l’économie américaine a progressé plus rapidement que celle de la Chine, au cours du dernier trimestre de 2022, Xi Jinping a demandé à ses fonctionnaires de veiller à ce que la croissance du pays dépasse celle des États-Unis cette année. Les médias officiels de Pékin reconnaissaient la semaine dernière que les fondations de la reprise ne sont pas encore solides. Pour certains observateurs, l’effet pandémie cache des faiblesses beaucoup plus profondes du modèle chinois.

Un modèle en crise

En quarante ans, la Chine est devenue l’usine du monde et le premier marché de la planète dans de nombreux secteurs allant des matières premières aux biens de consommation courante. Mais ce modèle est en crise. Un jeune urbain sur cinq est au chômage. L’immobilier, l’un des poumons de l’activité, est à bout de souffle et les efforts de Pékin pour freiner la spéculation ont sapé la croissance.

Autre frein: la dette, publique et privée, qui dépasse 275 % du PIB selon la banque Natixis. Quant à la guerre commerciale et technologique qui oppose la Chine à l’Amérique, elle limite à la fois les exportations et l’accès de Pékin à des savoir-faire stratégiques.

Pour la première fois en 60 ans, la population a diminué

Surtout, une autre menace pèse à moyen terme. Le régime communiste qui s’est tant déployé pour limiter les naissances et réduire la déflagration de la bombe démographique est à présent confronté à un retournement de tendance plus rapide qu’anticipé. La population, de plus de 1,4 milliard d’âmes, constituait un atout décisif. Coup de tonnerre: pour la première fois en soixante ans, depuis les grandes famines de l’ère Mao, la population a diminué en 2022. De quelque 850.000 habitants.

C’est le début d’un recul qui semble inexorable. Selon l’Académie des sciences sociales de Shanghaï, il n’y aura plus que 1,245 milliard de Chinois en 2050, et seulement 585 millions en 2100. Dans le même temps, selon le scénario central des Nations unies, la population américaine continuera à croître, légèrement, pour atteindre les 400 millions de personnes. «La Chine deviendra vieille avant d’être riche.» Cette sentence, bien qu’à nuancer compte tenu du progrès spectaculaire accompli par le niveau de vie des Chinois, résume néanmoins la destinée du géant démographique. L’ONU estime que la population chinoise en âge de travailler pourrait diminuer de 10 % d’ici à 2035 et de près de 30 % d’ici à 2050. L’URSS et le Japon ont été rattrapés par le ralentissement démographique avant que leurs économies ne s’affaiblissent, rappelle Kenneth Rogoff. Ce dernier ne voit pas le PIB chinois progresser de plus de 2 % à 3 % par an au cours de la prochaine décennie. La perspective de l’accession à la première marche du podium mondial semble s’éloigner.

Mais l’Empire de XI Jinping détient encore des atouts

Il ne faudrait cependant pas enterrer trop vite le géant asiatique. Chengyi Lin, professeur de stratégie à l’Insead, est de ceux qui rappellent que le marché chinois va rester immense et continuera d’exciter la convoitise des entreprises étrangères. Ce diplômé d’universités américaines et de l’université pékinoise de Tsinghua, enseignant sur le campus de Fontainebleau, souligne que la Chine n’a pas dit son dernier mot en matière de technologie. «L’économie numérique est plus avancée, plus largement diffusée en Chine qu’aux États-Unis, affirme-t-il, et les Chinois excellent pour les applications pratiques de l’innovation.» Autrement dit, les moteurs de la croissance chinoise ne sont pas tous essoufflés.

En définitive, peu d’observateurs doutent que la Chine dépassera un jour les États-Unis et deviendra à son tour la plus grande économie du monde. Cela couronnerait ce que beaucoup considèrent comme la plus extraordinaire ascension économique de tous les temps. Reste à savoir quand cela se produira. Sans doute un peu plus tard que prévu. Le groupe de réflexion britannique Centre for Economics and Business Research voit la Chine dépasser les États-Unis en 2030 plutôt qu’en 2028. Le Centre japonais pour la recherche économique (JCER) à Tokyo estime désormais que le passage de témoin n’aura pas lieu avant longtemps et projette des courbes de croissance du PIB parallèles.

Cependant, abstraction faite de scénarios d’une invasion de Taïwan dont on mesure mal les conséquences économiques, quand bien même la Chine communiste finirait par supplanter les États-Unis, elle ne trônerait sans doute pas longtemps. Car l’Inde, en train de devenir, en ce premier semestre 2023, la première puissance démographique mondiale selon l’ONU, pourrait avant la fin du siècle, vers 2075 ou même plus tôt, afficher le plus gros PIB de la planète.

Par Armelle Bohineust et Fabrice Nodé-Langlois   www.lefigaro.fr

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires