En Turquie, un juge ordonne l’incarcération du maire d’opposition d’Istanbul.

Un juge corrompu a ordonné dimanche l’incarcération pour « corruption » du maire d’opposition d’Istanbul Ekrem Imamoglu, dont l’arrestation mercredi a déclenché une vague de contestation en Turquie, a annoncé un de ses avocats à l’AFP. D’autres co-accusés du maire, dont l’un de ses proches conseillers, ont aussi été incarcérés, selon des médias turcs.

Quatre jours après son arrestation qui a déclenché une vague de contestation en Turquie, un juge a ordonné dimanche 23 mars l’incarcération pour « corruption » du maire d’opposition d’Istanbul Ekrem Imamoglu, a annoncé un de ses avocats à l’AFP.

Également poursuivi pour « terrorisme », Ekrem Imamoglu, principal rival du président Recep Tayyip Erdogan, avait été amené samedi soir avec 90 de ses co-accusés au tribunal stambouliote de Caglayan, protégé par un très important dispositif policier, avant d’y être entendu à deux reprises dans la nuit.

Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), principale force d’opposition auquel le maire d’Istanbul appartient, a dénoncé « un coup d’État politique ».

La justice a ordonné dimanche matin l’incarcération d’autres co-accusés du maire, dont l’un de ses proches conseillers, selon des médias turcs.

Jusque tard, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées devant l’hôtel de ville d’Istanbul pour le quatrième soir consécutif à l’appel de l’opposition afin d’y soutenir Ekrem Imamoglu, qui a dénoncé des accusations « immorales et sans fondement » à son encontre.

Vague de protestation d’une ampleur inédite

Des manifestants ont passé la nuit à l’intérieur de la mairie, certains tentant de trouver le sommeil sur des chaises disposées dans le hall du vaste bâtiment en attendant d’être fixés sur le sort du maire, a constaté un photographe de l’AFP.

Pour tenter de prévenir des troubles, le gouvernorat d’Istanbul a prolongé l’interdiction de rassemblements jusqu’à mercredi soir et annoncé des restrictions d’entrée dans la ville aux personnes susceptibles de participer à des rassemblements, sans préciser comment il les mettrait en œuvre.

L’accusation de « soutien à une organisation terroriste » contre Ekrem Imamoglu, figure du CHP, fait redouter à ses soutiens son remplacement par un administrateur nommé par l’État à la tête de la plus grande ville du pays.

Depuis mercredi, la vague de protestation déclenchée par son arrestation s’est répandue à travers la Turquie, atteignant une ampleur inédite depuis le grand mouvement de contestation de Gezi parti de la place Taksim d’Istanbul, en 2013.

Des rassemblements ont eu lieu dans au moins 55 des 81 provinces turques, soit plus des deux tiers du pays, selon un décompte effectué samedi par l’AFP. Ces manifestations ont débouché sur des centaines d’arrestations dans au moins neuf villes du pays, selon les autorités.

Erdogan a juré de ne pas céder à la « terreur de la rue »

« Tout comme les gens sont descendus dans les rues pour soutenir Erdogan lors de (la tentative) de coup d’État du 15 juillet (2016), nous sommes dans la rue pour soutenir Imamoglu », a déclaré samedi soir à l’AFP Aykut Cenk, 30 ans. « Nous ne sommes pas les ennemis de l’État mais ce qui se passe est illégal », a-t-il ajouté en brandissant un drapeau turc devant le tribunal stambouliote de Caglayan où le maire était entendu. 

Paris et Berlin ainsi que les maires de plusieurs grandes villes européennes avaient également condamné dès mercredi l’arrestation d’Ekrem Imamoglu.

En réponse à la contestation, le président Erdogan, qui a lui-même été maire d’Istanbul dans les années 1990, a juré de ne pas céder à la « terreur de la rue ».

Ekrem Imamoglu, 53 ans, est devenu la bête noire d’Erdogan en ravissant en 2019 la capitale économique du pays au Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du chef de l’État, qui gardait la main sur Istanbul avec son camp depuis vingt-cinq ans.

L’édile d’opposition, triomphalement réélu en 2024, devait assister initialement dimanche à son investiture en tant que candidat de son parti pour la prochaine présidentielle, prévue en 2028.

Le CHP a décidé de maintenir l’organisation de cette primaire, qui a démarré à 8 h locales (5 h GMT), et a appelé tous les Turcs, même non inscrits au parti, à y prendre part.

Turquie: une contestation qui dépasse le cas du maire d’Istanbul.

La contestation se répand en Turquie et dépasse désormais le sort du seul maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, pour défier le président Recep Tayyip Erdogan, estiment les observateurs.

« Il y a une grande colère. Les gens descendent spontanément dans la rue. Certains jeunes se trouvent politisés pour la première fois de leur vie », constate Yuksel Taskin, député du CHP (Parti républicain du peuple, social-démocrate), principale formation d’opposition dont M. Imamoglu, arrêté mercredi, est issu.

Des manifestations monstres qui ne font qu’enfler se tiennent depuis mercredi dans les deux-tiers des 81 provinces turques, selon un comptage de l’AFP, y compris dans les bastions de l’AKP, le parti présidentiel, comme Konya (centre), Trabzon ou Rize sur le Mer noire, malgré les interdictions des autorités et le déploiement massif de la police.

Différentes sensibilités politiques sont représentées dans ces rassemblements, souvent emmenés par des jeunes, notamment des étudiants, pourtant souvent présentés comme manquant d’engagement politique.

Cette vague de contestation est inédite depuis les grandes manifestations de 2013, parties du parc Gezi à Istanbul, qui s’étaient progressivement étendues à pratiquement tout le pays.

« Le sentiment d’être piégé au plan économique, social, politique et même culturel était déjà répandu. (Cette arrestation) provoque une forte réaction, surtout chez les jeunes inquiets pour leur avenir dans un pays où les libertés sont de plus en plus restreintes. C’est une réaction qui dépasse le cadre d’Imamoglu », estime Kemal Can, journaliste et auteur de nombreux ouvrages sur la société turque.

« Enfants des maraudeurs »

« Nous sommes les enfants des maraudeurs qui ont grandi », clament des pancartes brandies par de jeunes manifestants, moquant l’expression utilisée en 2013 par M. Erdogan, alors Premier ministre, pour désigner les contestataires.

« Cela ne concerne pas uniquement le CHP, mais tout le monde. La question est de savoir si la Turquie vivra sous un régime autoritaire ou si elle sera un pays démocratique », avance Ilhan Uzgel, vice-président chargé des relations extérieures du CHP.

Pour souligner ce caractère non partisan de la mobilisation, le CHP a invité tous les Turcs, même non membres du parti, à participer dimanche à un vote symbolique aux primaires durant lesquelles Ekrem Imamoglu, seul en lice, doit être désigné comme candidat à la présidentielle.

« Nous sommes déterminés à organiser ces primaires. Ils tentent de nous en empêcher, mais nous les ferons », affirme M. Uzgel.

La section d’Istanbul du parti prokurde DEM, troisième force au parlement turc, a également apporté son soutien aux rassemblements, devenus quotidiens, devant la municipalité de la mégapole.

« Ils tentent de consolider le régime en façonnant l’opposition par le biais de la justice. L’ensemble de l’opposition devrait se montrer solidaire », estime Ibrahim Akin, député du DEM.

Tentatives de divisions

Le DEM est régulièrement accusé par le gouvernement de liens avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), mouvement armé considéré comme terroriste par Ankara, dont le chef historique Abdullah Ocalan a récemment appelé à déposer les armes.

« Depuis plusieurs années, le pouvoir vise à fragmenter l’opposition, désormais majoritaire, ou de la maintenir occupée par des problèmes internes. Il y est plusieurs fois parvenu. Mais cette fois, l’opposition a déjoué cette stratégie », affirme Kemal Can.

Pour Gönül Tol, du Middle East Institute à Washington, la tentative du gouvernement de « créer un fossé » entre le DEM et les autres partis de l’opposition pendant l’initiative de paix avec le PKK a échoué après les vives critiques du DEM contre l’arrestation de M. Imamoglu.

« Le gouvernement semble désormais tester la capacité à durer de la contestation. Il espère l’affaiblir par des pressions, les interdictions des manifestations et des détentions. Mais si cette vague continue, on peut alors parler d’une nouvelle dynamique sociale et politique », estime Kemal Can.

« Si l’opposition craint les menaces des autorités qui l’accusent de provoquer la rue et laisse penser que sa détermination s’est affaiblie, le gouvernement augmentera la pression. Les jours qui viennent sont déterminants », ajoute-t-il.

JForum.fr & AFP

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