Devarim: les réprimandes de Moïse (vidéos)

La première péricope du dernier livre du Pentateuque est Devarim et elle est toujours lue avant 9 beAv (qui est le jour de Chabbat cette année). Ce shabbat devarim est d’ailleurs toujours désigné comme « shabbat Hazon » selon les premiers termes de la prophétie d’Isaïe, tout comme le shabbat après 9 beAv sera le Shabbat Nahamou qui est la haftara du prophète Isaïe encore qui commence par les mots « Nahamou nahamou Ami » (console toi mon peuple) et encore les six autres haftaroth suivantes dites de consolation.
Moïse en s’adressant au Peuple adresse des paroles de réprimande à ce peuple si exigeant bien que si avare en manifestation de reconnaissance envers le Créateur. En effet, après avoir assisté au grand déploiement de prodiges et de miracles défiant toutes les lois de la nature et de l’Univers, ce peuple « à la nuque roide » (comme on nous a souvent étiquetés), n’a-t-il pas saisi la première occasion pour prétexter qu’HaShem en réalité hait ce peuple « pour le faire mourir dans le désert » ou encore pour le « faire mourir de faim » !!! Sans crainte du ridicule !!! C’est un peu ce que l’on qualifierait de « pousser le bouchon un peu loin » !!! En effet, faut-il manquer de clairvoyance à ce point ?
HaShem leur distribue chaque jour pendant 40 ans de la manne sorte de galette qui prend le goût de ce dont on peut avoir envie au même instant ….. un puits qui déverse de l’eau claire et douce qui peut, elle aussi, prendre le goût de la boisson dont on peut avoir envie… Est-ce une marque de haine d’un dieu vis-à-vis de son peuple ????
Nous avons déjà évoqué lors de la parasha Mattot Mass’é à quel point la traversée du désert fut à tous points de vue, une suite ininterrompue de miracles sur le climat, les conditions de vie, de voyage où ils n’avaient à se soucier de rien, d’absolument rien. Cette récrimination gratuite de la part d’une partie du peuple prétextant, pour retourner en Egypte, qu’HaShem hait Son peuple n’est-elle pas honteusement fausse? Cette haine n’est-elle pas, en sens contraire, l’expression d’une hantise d’avoir à affronter l’inconnu (entrée en possession du territoire offert par le Créateur) et donc, en conséquence, une sorte de haine pour le projet divin ?
De l’avis des commentateurs, si Moïse harangue le peuple en employant le terme « eykha », c’est parce que, dorénavant, à la veille du jour où Moïse va devoir se séparer de ce peuple si rebelle, le valeureux homme adresse à ses proches des propos de tokhakha (réprimande)1. C’est sans doute la raison pour laquelle, selon certains rites, l’officiant psalmodie ce verset sur le ton des « Lamentations » de 9 beAv. Ce vocable fait son apparition dans le Pentateuque dès la Genèse où HaShem demande à Caïn où il se trouve après le meurtre d’Abel. Dans les Lamentations, eykha est traduit par hélas. Dans le discours de Moïse, ici, eykha révèle que conduire ce peuple rude et rebelle a été une tache très difficile pour Moïse et d’avoir perdu son flegme lui a coûté cette sentence de ne pas entrer dans ce pays où coulent le lait et le miel….
Rabbi Yona dans le Talmud donne un surnom à ce peuple jamais satisfait : il est « nirgan’  » c’est-à-dire que ce peuple est composé, en partie, de gens qui ne sont jamais contents, jamais satisfaits et trouvent toujours à redire, à déblatérer, toujours prêt à se trouver amoindri ou défavorisé par rapport à quelqu’un d’autre et toujours de manière injustifiée.
Ce peuple de « nirganim » trouvait toujours quelque chose qui n’était pas à leur goût au point de comparer leurs mérites à ceux de Moïse en avançant (midrashim) : « Moïse nous adresse des reproches mais lui, n’a rien d’inscrit à son actif !!! »
Le Kli Yakar remarque, après avoir revisité toute la littérature consacrée à la haine gratuite, que cette notion de « sine’ath hinam » (haine gratuite) dépasse, en gravité, et à elle seule, les 3 fautes qui ont provoqué l’exil provoqué par la destruction du Ier Temple : la ‘avoda zara (idolâtrie), le guilouy ‘arayoth (unions interdites), et la shfikhouth damim (verser le sang pour rien).
La raison en est très simple : verser le sang de son prochain, avoir des mœurs dissolues ou être voué à un culte étranger sont des actes qui sont visibles ou décelables tandis que haïr quelqu’un en son cœur ne peut être détecté ce qui fait que personne ne peut faire une remarque quelconque pour tenter de corriger son prochain et le faire ainsi revenir à de meilleures considérations.
Ainsi, continue le Kli Yakar, le Ier Temple, a-t-il été détruit par Babel (l’empire de Babylone à cause des 3 pêchés cités plus haut commis contre HaShem, alors que le deuxième Temple fut détruit par l’empire d’Edom (Rome) qui est l’emblème de la haine gratuite : celle d’Esaü contre Jacob.
De même qu’HaShem donne Canaan à Jacob, IL donne le Mont Séïr à Esaü, en récompense du fait qu’Esaü pratiquait le Kiboud Hourim (respect dû aux parents) de manière parfaite et inconditionnelle.
La parasha de Devarim reprend toute l’histoire – en quelque sorte – des territoires désignés comme possession d’Abraham et sa descendance dès la genèse de l’humanité. Ces terres que l’Eternel a désignées à Abraham depuis son départ de son pays natal appartenaient déjà à des peuples, des tribus. Cependant, HaShem, dès avant la création du monde, avait prévu toute l’histoire de cette région (et des autres régions du monde évidemment) : les Sages nous enseignent en effet que les exils ont été décrétés avant même que ne soit réellement créé le monde puisque les termes de Tohu et Bohu, ténèbres (hoshekh) et tehom (abime) sont cités dans le Pentateuque dès le deuxième verset de la Genèse puis l’ère messianique est citée en signalant qu’après ceci le souffle divin plane sur les eaux (verouah Elokim merahéfeth al pné hamayim) : Tohu représentant Babel, Bohou les Mèdes, Hoshekh pour les Grecs et Tehom pour Rome….
Et, la Torah insiste sur le fait que le Mont Séïr fut offert à Esaü en récompense du fait qu’il honorait son père plus que tout.
D’après le calendrier, il ne reste que 4 parashot avant d’entamer le mois des selihoth et de la volonté de chacun de s’amender ou de s’améliorer pour que l’effort au singulier, participe pleinement à la délivrance plurielle, à cette rédemption générale pour un mode de vie meilleur et gratifiant et plus harmonieux car l’effort d’une personne peut améliorer le sort de l’ensemble.
Caroline Elishéva REBOUH
1 Voir le texte sur la réprimande 

 

 

 

Ces cours sont dédiés à la Mémoire d’Abraham ben Yossef Z »l  qui nous a quitté le 12 Av 5733 et David Ben Esther Z »l qui a nous quittés le 12 Av 5780.

 

LA RÉPRIMANDE Ou la RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE

La réprimande ou la remontrance est un devoir énoncé dans le Lévitique de cette manière (XIX,17):
לאתשנא אתאחיך בלבבך הוכיח תוכיח אתעמיתך ולאתישא עליו חטא
Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur, réprimandes le et tu ne porteras pas sa faute.
Dans le verset qui suit celui-ci, nous recevons aussi cet enseignement :
לאתקם ולאתטר אתבני עמך ואהבת לרעך כמוך אני ה
Ne te venges pas et ne gardes aucune rancune vis-à-vis des enfants d’Israël, tu aimeras ton prochain comme toi-même Je suis l’Eternel.
Ces deux versets sont liés l’un à l’autre nous enseignent les Sages, par une idée maîtresse : l’amour du prochain. Qui est ce prochain ?
Nous disposons de plusieurs termes pour désigner celui qui est notre voisin, notre parent comme nous allons le voir tout de suite en analysant ces différences : en effet, hormis nos relations avec ces personnes, chaque terme concède une perception différente : ainsi nos frères (ou sœurs) est un terme qui inclus nos proches parents, cousins, oncles, neveux etc…., puis nos amis, nos collègues de travail ou autres, nos « copains », nos voisins. Ces différentes sortes de relations sont au nombre de sept : soit en hébreu du premier au dernier les noms suivants :
אח, ידיד, חבר, רֵעַ, קרוב, שכן ועמית
Frère, ami, copain/camarade, compagnon, le proche, voisin et le collègue
Chacun de ces termes désigne une relation plus particulière : en effet, pour le frère, les liens sont du sang, de la famille. En général, on devrait pouvoir se fier ou se confier à un frère mais cela n’est pas toujours le cas à cause des distances géographiques, parfois à cause de conflits intérieurs pourtant, les liens sont puissants, ce sont les liens du sang.
La valeur numérique du mot « ah » est très faible = 9. Dans l’énumération en guematriya de chacun de ces termes nous allons voir que selon cette énumération nous sautons de 9 à 28, puis à 210, 270, 308, 370 et enfin 520. Ceux qui ne croient pas à la guematriya prétextant que l’on peut faire dire aux chiffres ce que l’on veut pourront eux-mêmes constater que sur ce point, la guematriya nous sert de guide, nous permettant d’évaluer nos relations et de ne pas désigner une personne par une qualification qui ne convient pas. Et, ce n’est sans doute pas par hasard que le verset auquel nous avons fait référence parle du frère pour arriver au collègue couvrant ainsi 7 niveaux différents de relations. Que cela vient-il nous signifier ? C’est que notre devoir de réprimande s’applique à toutes les sortes de relations que nous pouvons avoir du plus proche au plus éloigné. Depuis celui que nous connaissons intimement parce qu’il a grandi avec nous, ou qui a été témoin du passé de notre famille jusqu’au collègue de travail que nous côtoyons chaque jour et, en fait, n’importe quelle personne puisque chacun des membres du peuple doit être considéré comme quelqu’un qui nous est cher, ou, quelqu’un que évaluerons, comme nous nous considérons nous-mêmes.
En recevant la Torah, nous nous sommes engagés à donner afin de pouvoir recevoir.
Le peuple juif est un peuple de prêtres vis-à-vis des nations, c’est-à-dire que si nous ne nous acquittons pas individuellement de notre devoir, nous ne pouvons espérer de récompense individuelle ou collective car chacun d’entre nous est un microcosme qui n’est qu’une petite facette du polygone que le peuple juif représente. Notre action vient orner par conséquent un maillon de la chaîne qu’est le peuple juif.
Le commandement nous enjoignant d’aimer notre prochain comme nous-mêmes vient nous enseigner par une simple préposition que nous devons faire un effort : nous devons aller vers notre prochain et lui réserver le même attachement que nous nous réserverions puisque le texte du commandement est :
ואהבת לרעך כמוך
La lettre lamed apposée devant le mot réakha vient nous indiquer que nous devons faire l’effort d’aller vers notre prochain…. Ce commandement nous enjoint d’aller à la rencontre de notre prochain tandis que le commandement nous enjoignant d’aimer notre Créateur utilise la préposition « ète » alef et tav car nous ne devons pas faire d’effort pour aimer notre Créateur nous devons L’aimer tout simplement comme nous aimons nos parents car Il est notre Père dans les Cieux et nos parents de chair et de sang le sont ici bas, sur terre.
Le Maharal de Prague1 nous enseigne que le mauvais penchant est omniprésent et se présente sous des formes diverses selon les circonstances et selon l’essence même de notre âme. Ce yetser harâ nous guette pour tenter de nous faire échouer. Pour ne pas tomber dans ses filets nous devons par conséquent être « éveillé ». En hébreu « éveillé » se dit « êr » ער. Ce qui signifie qu’il nous faut faire des efforts parfois très grands pour rester éveillé de manière à faire preuve d’un esprit aiguisé afin de déjouer les pièges tendus par ce mauvais penchant. Les lettres hébraïques dont on se sert âyine et resh peuvent signifier en quelque sorte les premières lettres de âyine roa = l’œil voit. Mais cela vient nous signifier aussi autre chose, ces mêmes lettres inversées, selon la façon dont elles pourront être vocalisées pourront signifier deux mots totalement opposés ainsi, la lettre resh et la lettre âyine seront soit le mot râ = mauvais ou bien, si nous vocalisons différemment le mot réâ compagnon, ami, apparaîtra. Cela n’est pas un hasard car, si nous sommes un ami vis-à-vis de la personne en question nous chercherons de toutes nos forces à éloigner le mal, le râ, de lui mais, par contre si nous ne faisons pas cela, nous serons râ, nous serons méchants ou mauvais vis-à-vis de lui car nous ne lui rendrons pas service en ne le reprenant pas sur ses actions, sur sa façon d’agir.
On peut rétorquer qu’on ne peut pas toujours intervenir peut-être à cause de la susceptibilité du « fauteur », ou bien parce qu’il s’agit de quelqu’un dont nous craignons les réactions si nous le reprenons. Eh bien, la Torah vient nous enseigner dans quel cas nous devons intervenir et de quelle façon : le verset ne nous a-t-il pas dit :
אלתשנא אתאחיך בלבבך
Quel est le sens de ces trois groupes de mots, pourquoi les deux premiers groupes sont-ils liés entre eux ceci est fait pour nous avertir que les sentiments qui sont tapis au plus profond de notre cœur ne doivent pas dégénérer en haine, nous devons agir tout d’abord sur nous-mêmes avant d’agir sur l’autre personne et cela vient nous apprendre aussi que même s’il s’agit de la personne la plus proche de soi : le frère, nous ne devons pas céder à la haine, nous ne devons pas laisser le ressentiment s’installer au plus profond de nous c’est ce que vient nous enseigner le deuxième « beith » de levavekha. On aurait pu lire belibekha = dans ton cœur mais non, il y a un deuxième beith pour nous enseigner que même si notre frère nous a blessé ou a blessé notre amour propre dans notre intimité, dans les profondeurs de notre cœur, nous ne devons pas garder de rancune contre lui, parce que la rancune « tina » avec un teth a une valeur numérique de 74 tout comme le mot « êd » = témoin. C’est-à-dire que hass vehalila, si nous gardons de la rancune contre notre prochain, ceci deviendra un témoin qui pourra témoigner négativement aussi bien contre notre prochain que contre nous.
Comment s’y prendre pour faire un reproche à quelqu’un la Torah une fois de plus va nous donner le mode d’emploi :
הוכח תוכיח
C’est tout doucement que tu vas y aller, tu vas tout d’abord te calmer toi-même, et le temps qu’il va te falloir pour arriver vers lui, tu vas pouvoir trouver le discours qu’il convient pour l’aborder gentiment, avec tact et lui faire comprendre qu’il t’a blessé, (ou qu’il a transgressé une loi divine) et que tu ne lui en veux pas mais que tu as estimé de ton devoir de lui faire remarquer la chose pour qu’il n’encoure pas de peine.
Cette démarche a pour but de réduire notre colère puis de montrer à celui qui est en face qu’il nous est cher. Et, à la fin, qu’il prenne en compte notre remarque ou pas, nous aurons fait notre devoir et notre destin qui fait de chaque individu le partenaire, l’associé, de chacun des membres du peuple, puisque nous sommes ârévim zé lezé (garants les uns des autres), nous ne partagerons pas la faute du contrevenant puisse-t-il être notre frère ou tout simplement un particulier qui est une cellule du macrocosme que représente le peuple d’Israël.
C’est pourquoi il est précisé au verset suivant :
אלתקם ואלתטר אתבני עמך
C’est-à-dire qu’il soit proche de toi comme ton frère ou seulement comme un collègue, et on encore une distance les enfants de ton peuple, même si tu sais juste que la personne est juive, qu’elle fait partie de ton peuple, alors même dans ce cas de quelqu’un qui t’es complètement étranger, tu dois lui faire remarquer sa faute, sans colère, avec douceur……….. avec amour :
ואהבת לרעך כמוך
Car s’il s’agissait de toi, tu n’apprécierais pas que l’on s’adresse à toi en public, avec colère, tu aimerais qu’on le fasse discrètement et qu’ainsi on te démontre que tu es important, que tu comptes pour tous, que tu n’es pas un simple pion sur l’échiquier.
Pourquoi le verset se termine-t-il par :
אני ה
Ceci vient montrer notre allégeance au peuple d’Israël, et que par amour pour notre Créateur, nous agissons aussi par amour pour celui qui est important pour nous en toute circonstance.
C’est parce que nous aimons notre Créateur que nous agissons comme Il nous le demande, et c’est parce que chaque être a été créé à l’image de Dieu que nous devons aimer chacun d’entre nous…. Jusqu’à ce que nous puissions oublier nos différences et montrer et enseigner aux autres ce que la Torah nous a enseigné et c’est alors que nous assumerons le rôle que nous a donné le Créateur. C’est ainsi que les nations nous percevrons et que nous montrerons à quel point nous sommes responsables non seulement vis-à-vis de nous-mêmes et des autres, mais aussi envers les Nations en nous conduisant de telle sorte que certains décrets pourraient être annulés.
Caroline Elishéva REBOUH

1– Acrostiche de Morénou HaRav Loeb ben Betsalel de Prague. Né en Pologne en 1520 et décédé à Prague dont il fut le chef spirituel en 1609. Auteur de nombreux ouvrages tels le Puits de l’exil (be’er hagola, netsah Israël, Guevouroth hashem etc….) créateur du Golem.

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