Détournements de Commémoration de la Shoah

 

Vendredi 27 janvier se déroulera la Journée Internationale pour la Mémoire de la Shoah. La commémoration de la Shoah au fil des décennies, a débouché sur de nombreuses controverses. Une petite sélection assez aléatoire des questions qui se sont posées dans sept pays illustrera certaines facettes à ce sujet.

Actuellement, un débat important se poursuit au sein du Parti AfP d’extrême-droite, en Allemagne, autant qu’au sein de la société allemande dans son ensemble. Bjorn Hoecke, le dirigeant de l’AfD dans l’Etat Fédéral de Thuringe, a déclaré que les Allemands sont « Le seul peuple au monde à avoir établi un mémorial du déshonneur au cœur même de sa capitale[1]« . Il faisait ainsi référence aux dalles de pierre qui constituent un mémorial à Berlin. Ce lieu a été inauguré en 2005 et commémore les six millions de Juifs d’Europe assassinés par l’Allemagne. L’AfD de l’Etat Fédéral de Bade-Wurtemberg veut interrompre les subventions apportées par l’Etat au profit du mémorial français du camp d’internement de Gurs, où avaient, à l’origine, été déportés les Juifs du Bade-Wurtemberg[2].

Les premiers monuments relatifs à la Shoah dans les pays anciennement occupés par les Nazis ont souvent été instaurés au sein d’environnements juifs -synagogues, institutions juives et cimetières. Souvent, il n’y avait aucun intérêt manifesté par les autorités locales, voire même parfois de l’hostilité, à les installer dans le domaine public.

Aux Pays-Bas, la situation était plutôt embarrassante. Le tout premier monument évoquant la Shoah à Amsterdam reflétait une image=déformée de l’attitude de la société hollandaise dans ces années-là. Il s’agissait d’un monument de reconnaissance envers les Non-Juifs ayant aidé des Juifs pendant la guerre et on l’a forgé en 1950. Les Juifs survivants s’étaient apparemment faits mobilisés par les autorités pour qu’ils comprennent qu’il était tout-à-fait souhaitable d’élever un tel monument[3].

Je passais devant ce monument chaque jour en chemin pour me rendre au lycée juif. J’étais, cependant, bien trop jeune pour comprendre ce qui n’allait pas avec cet établissement commémoratif, à cette époque-là.  Au cours de ces dernières années, on a donné plus d’ampleur à la publicité contre cette attitude scandaleuse des autorités.

Et même pire : les autorités d’Amsterdam se sont opposées à l’installation d’un monument à l’intention des Juifs assassinés, dans le square principal du quartier juif détruit[4]. Ce monument aurait été dédié à la majorité des Juifs néerlandais qui ont été assassinés avec l’assistance hollandaise au cours de leur arrestation, de leur transport et de leur garde.

Pour ajouter l’insulte à l’injure, un monument appelé « le Docker » a été é »rigé en 1952 dans ce même square, en mémoire des deux jours de grève de solidarité avec les Juifs persécutés par la population d’Amsterdam en février 1941. Après ces deux jours, presque tous les dockers ont abandonné les Juifs à leur sort. Quand on a érigé le « Docker », M.H Gans, alors rédacteur en chef du  NIW, l’hebdomadaire des Juifs de Hollande, a écrit : « C’est comme un monument de défense anti-aérienne sur la tombe de ceux qui ont été tués par le bombardement[5]« .

Ce n’est qu’aujourd’hui, plus de soixante-dix ans après la guerre, qu’il existe un projet d’ériger un monument à Amsterdam, avec les noms des 102.000 Juifs Hollandais et d’autres citoyens assassinés au cours de la Shoah[6]. Dans beaucoup de villes néerlandaises où des Juifs ont été tués, les monuments commémorant la Shoah ont, finalement, augmenté et d’autres sont en projet.

Lorsque les gouvernements communistes dirigeaient l’Europe de l’Est, ils n’autorisaient aucun monument spécifique dédié aux Juifs dans le domaine public. Ils considéraient qu’il ne devait y avoir aucune marque de différenciation entre ceux qui avaient été tués, même si seulement les Juifs avaient fait l’objet d’extermination.

Efraïm Zuroff, du Centre Simon Wiesenthal, mentionne qu’en Lituanie, les responsables locaux se sont opposés à l’intégration de la phrase « et de leurs complices locaux » sur un mémorial de Ponar (Paneriai), le site du meurtre de masse des Juifs de Vilnius. Par conséquent, il n’attribue ces meurtres qu’aux seuls Nazis et a préféré ignorer leurs collaborateurs lituaniens[7].

Bien que ce soit moins permanent et visible, les jours et cérémonies de commémoration sont aussi devenus des moments de discorde et ils sont souvent utilisés comme des occasions pour faire des déclarations politiques. Sous l’influence musulmane, le Conseil local de la ville britannique de Bolton n’a pas organisé de Jour de commémoration de la Shoah en 2007 et il l’a remplacé par un Jour du Souvenir du Génocide[8]. L’année suivante, il a marqué les deux événements.

On peut appeler la commémoration de la Nuit de Cristal « une commémoration préalable à la Shoah ». Ces cérémonies ont fréquemment été l’occasion de déformations. En 2010, le maire Démocrate-Chrétien de l’époque, Petra Roth, avait invité le survivant de la Shoah, Alfred Grosser à livrer un discours douteux sur la Nuit de Cristal à l’Eglise St Paul. Cet intellectuel Juif-Français né Allemand est un incitateur anti-Israélien notoire et il a maintenu que la politique israélienne est la raison fondamentale de l’antisémitisme[9].

A Helsingborg, en Suède, la communauté juive a refusé de participer à la cérémonie de commémoration de la Nuit de Cristal de 2012. Le journal local Helsingborgs Dagblad soulignait que le dirigeant de la communauté, Jussi Tyger, avait déclaré que cette commémoration était organisée par des partis d’extrême-gauche et les Musulmans, connus pour être les pires racistes envers les Juifs[10].

La communauté juive croate a annoncé qu’elle boycottera la commémoration nationale de la Shoah, cette semaine, comme façon de protester contre la minimisation par ce pays de ses crimes extrêmes durant la Shoah[11].

Un ancien dirigeant juif yougoslave,  Ivan Ceresjnes, qui vit actuellement en Israël, a souligné à quel point l’explosion de la République Fédérale de Yougoslavie, au cours de ces dernières décennies, offre un véritable cas d’école de très nombreux aspects de ces processus de destruction de la mémoire. Les Etats qui ont succédé à la Yougoslavie réécrivent leur propre histoire, au cours de laquelle leur mémoire collective est modifiée. La mémoire de la Shoah est ainsi très fragmentée, à l’istar du contexte national présent[12].

Les faits mentionnés ci-dessus offrent quelques aspects seulement des nombreuses façons dont la mémoire de la Shoah peut se trouver publiquement falsifiée. Malheureusement, on peut être sûr que d’autres exemples supplémentaires apparaîtront à l’avenir.

 

Par Manfred Gerstenfeld

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Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

 

[1] www.bbc.com/news/world-europe-38661621

[2] www.welt.de/debatte/kommentare/article161438048/Wie-Baden-Wuerttembergs-AfD-die-Erinnerung-verhindern-will.html

[3] www.volkskrant.nl/binnenland/amsterdam-vindt-eindelijk-plek-voor-holocaust-monument~a4286415/

[4] Frank van Vree, In de Schaduw van Auschwitz, Herinneringen, beelden, geschiedenis, (Groningen: Historische Uitgeverij, 1995), 94.

[5] Mozes Heiman Gans, NIW, 19 December 1952, quoted in Martin Bossenbroek, De Meelstreep: Terugkeer en Opvang na de Tweede Wereldoorlog, (Amsterdam: Bert Bakker, 2001), 342.

[6] www.volkskrant.nl/binnenland/amsterdam-vindt-eindelijk-plek-voor-holocaust-monument~a4286415/

[7] Efraim Zuroff, “Eastern Europe: Anti-Semitism in the Wake of Holocaust-Related

Issues,” Jewish Political Studies Review, Vol. 17, Nos. 1–2 (Spring 2005): 63–79.

[8] Amanda Smith, “Town Marks Genocide Memorial Day,” Bolton News, 15 July 2007

[9] www.tagesspiegel.de/politik/israel-nennt-alfred-grosser-unmoralisch/1976556.html

[10] Inget Judiskt Deltagande när Kristallnatten ska Uppmärksammas,” Helsingborgs Dagblad, November 7, 2012.

[11] www.israelnationalnews.com/News/News.aspx/223728

[12] Interview with Ivan Ceresjnes in Manfred Gerstenfeld, The Abuse of Holocaust Memory. Distortions and Responses, 207-217.

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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blum

Ce qu’explique ici, M. Gerstenfeld reflète bien la complexité vécue, jusqu’à nos jours, de la commémoration, ou non-commémoration, ou excès de commémoration de la shoah. Cet évènement, à nul autre semblable, dans l’histoire humaine, déboussole complètement les générations, jusqu’à maintenant.
Dans le 11ème, par exemple, à la Mairie, ( Ps + PCF + verts + tout ce qui existe de gauchistes), les cérémonies à la mémoire des enfants juifs déportés, ou de la Rafle du Vel d’Hiv, ou de Marcel Rajman se font, grâce à un très vieil homme juif, communiste ( ouf !), rescapé d’une délation, vraisemblablement, qui a valu au réseau Krasucki ( dont deux de mes cousins) d’être déportés. Pour Marcel Rajman, lors de l’inauguration d’un superbe buste en son honneur, square de la Roquette, il y a près de 3 ans, le Souvenir Français a décidé de ne pas déposer de gerbe, pour  » écoomiser ses deniers »!!!! ( réponse que j’ai obtenue de son président local, quand je l’ai interpellé, par mail). Heureusement, Serge Klarsfeld avait pensé aux fleurs. L’élu, économe, n’a , cependant, pas quitté d’une semelle, la haute personnalité de M. Klarsfeld.
La France n’a pas un passé de résistante. Nous le savons , maintenant: les résistants étaient une minorité, d’une infinie valeur, d’un courage sans paeil. la délation était florissante.
Aujourd’hui aussi.
N’ayant pas un passé de résistante, la France , gouvernée par ce que la majorité a élue, tente, maladroitement, de rattraper  » le coup », si j’ose dire.
En vain.
L’on nous somme donc, bêtement, criminellement, d’accueillir des migrants musulmans de toute l’Afrique ( du nord, Noire), du Pakistan à la Libye, comme si c’étaient des victimes juives qu l’on n’avait pas voulu protéger, au siècle dernier, de la barbarie nazie.
Or, ces migrants sont victimes de leurs propres guerres inter-sectaires islamiques, les mêmes que celles que les mahométans se sont toujours livrées, depuis qu’existe l’islam!
Mais la confusion mentale est telle, du sommet de l’Etat, aux plus basses couches de la population: les médias, qu’une très malsaine culpabilisation des nouvelles générations est entretenue; qu’en bénéficient nos ennemis: les djihadistes, puisqu’ils osent se prétendre les nouvelles victimes, remplaçant ainsi ceux qu’ils tentent d’exterminer, sous nos yeux, en Israël! ( et, par extension, le monde occidental judéo-chrétien).
L’inversion de l’histoire, des valeurs , est typique des entreprises totalitaires.
Nous y sommes.

andre

Je me souviens de l’article « Allemagne » qui etait, il y a bien des annees, la contribution d’Alfred Grosser a « l’Encyclopedia Universalis ». Cet article laissait l’impression etrange que l’Allemagne avait ete la premiere, et peut-etre la principale, victime de la Seconde Guerre Mondiale: cette impression etait evidemment subjective, mais tres forte.