Dans « La zone d’intérêt », Jonathan Glazer fait le portrait de la famille du commandant d’Auschwitz

Le film « La zone d’intérêt », du réalisateur britannique Jonathan Glazer, est une plongée glaçante dans la vie de famille de Rudolf Höss, le commandant du camp d’Auschwitz. Une œuvre majeure sur la mécanique de la déshumanisation.

De Shoah (1985) à La Liste de Schindler (1993), en passant par Le Fils de Saul (2015), un débat moral et artistique perdure depuis des décennies: que peut-on et doit-on montrer de l’Holocauste? Peut-on faire d’un camp d’extermination un décor de cinéma? Transformer le décès d’une déportée en climax émotionnel n’est-il pas obscène? Avec La Zone d’intérêt, en salles ce mercredi 31 janvier 2024, Jonathan Glazer (Under The Skin, Birth) propose un nouveau paradigme.

Cette œuvre monumentale, récompensée par le Grand prix du jury du dernier Festival de Cannes et nommée à de nombreux Oscars dont ceux du meilleur film et du meilleur son, repose principalement sur la suggestion. «La plupart des gens sont déjà familiarisés avec des images de l’Holocauste et elles sont bien plus choquantes que ce qu’on aurait pu recréer. On a donc utilisé ce savoir collectif, pour peindre une image dans l’esprit du public à l’aide du son», expose Johnnie Burn.

Il faut voir La zone d’intérêt. D’abord parce qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre, original sur le fond et sur la forme, Grand prix du dernier Festival de Cannes, ensuite parce qu’il pousse le spectateur dans ses retranchements. Non par la violence des images – rien n’est montré de l’univers concentrationnaire — mais bien parce qu’il le force à observer la désintégration de toute humanité, l’apogée de la banalisation du mal.

Faut-il s’infliger ça dans un monde déjà brutal ? La réponse est oui. À voir évoluer Rudolf Höss, chef très zélé du camp d’Auschwitz-Birkenau où fut pratiquée la solution finale, mais aussi sa femme et ses enfants dans leur jolie maison, on tutoie l’insoutenable. Comment l’être humain parvient-il à mettre en place une industrie du massacre et continue à vivre normalement? Car seul un mur sépare le charmant jardin de la famille Höss du camp de la mort. En levant la tête, on voit les cheminées cracher leurs infernales fumées.

La caméra, témoin de l’horreur

La caméra capte les déjeuners en famille, les glissades sur le toboggan, l’arrosage des plantes, alors que la terrifiante bande-son diffuse dans nos oreilles les cris des hommes et des chiens, les coups de fusil. Comme un témoin de l’horreur, elle met en perspective l’apparente banalité de cette vie de famille et la barbarie nazie à l’œuvre.

Ce film d’1h46 questionne notre cerveau et notre âme. Comment devient-on cet homme promu pour sa capacité à tuer et cette femme, fière de son embourgeoisement soudain? Vivant comme une reine dans sa maison cossue et portant un manteau de fourrure volé à une déportée.

Ils ont existé vraiment et le film est là pour nous dire que cette folie ne demande qu’à se réveiller si l’on n’y prend pas garde.

La Zone d’intérêt
De Jonathan Glazer
Avec Sandra Hüller, Christian Friedel, Max Beck, Ralph Herforth, Johann Karthaus, Luis Noah Witte, Anastazja Drobniak, Cecylia Pękala
Durée: 1h45
Sortie le 31 janvier 2024
JForum.fr avec  www.slate.fr et  Ouest-France
Derrière le jardin fleuri des Höss, on distingue les pas des soldats, le bruit des trains, ainsi que des cris, des coups de fouet ou des tirs. | A24 / BAC Films

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