Décès d’Ivry Gitlis, violoniste virtuose et personnalité attachante du monde classique

L’artiste, qui s’est éteint à 98 ans, était l’un des derniers à avoir traversé le XXe siècle. Il avait côtoyé les plus grands, de Georges Enesco à Jascha Heifetz.

Premier artiste israélien à se produire en URSS, fondateur de nombreux festivals, Ivry Gitlis était aussi un ardent défenseur du processus de paix israélo-palestinien.
Premier artiste israélien à se produire en URSS, fondateur de nombreux festivals, Ivry Gitlis était aussi un ardent défenseur du processus de paix israélo-palestinien. BERTRAND LANGLOIS / AFP

Il aurait eu 100 ans en 2022. Le violoniste d’origine israélienne Ivry Gitlis s’est éteint ce jour du 24 décembre 2020. Il luttait depuis plusieurs années contre des problèmes de santé. Le musicien, qui ne se départissait jamais de son violon ni de son éternel sourire en coin, aurait sans doute goûté l’ironie de disparaître le jour de Noël. Lui qui ne manquait jamais une occasion de s’amuser des incertitudes qui entouraient sa date d’anniversaire, estimée par certains biographes le 22 août, par d’autres le 25.

Chez lui, l’humour était consubstantiel à son génie. Cette liberté de ton, qui marquait immanquablement chaque fois qu’on le rencontrait, il l’aura cultivée jusqu’au bout comme un don. Tout comme il gardait encore, à 98 ans, son violon toujours à portée de main. «Même s’il ne pouvait le jouer depuis quelques mois, ce qui était le grand drame de sa vie, il était important pour lui de l’avoir toujours dans un coin de sa chambre», témoigne son élève Thomas Lefort.

Son éclectisme musical, sa carrière jalonnée d’accidents de parcours comme il aimait à les définir, et sa douce et subtile ironie n’avaient pas toujours l’unanimité dans les rangs du classique. Mais il sera resté jusqu’au bout une source d’inspiration pour les jeunes générations, comme pour les amis qu’il côtoyait, de Martha Argerich à Renaud Capuçon. Ces deux derniers lui avaient encore rendu visite il y a deux semaines. «Dès qu’il voyait d’autres musiciens, son regard s’illuminait, témoigne Renaud Capuçon. Et il aura continué à jouer presque jusqu’au bout! On s’est appelé ce matin avec Martha. Pour elle comme pour moi c’est un monde qui disparaît. Outre l’incandescence de son jeu, et le fait qu’il était l’un des seuls dont on pouvait reconnaître le jeu en deux notes, pas trois, il était l’un des tout derniers à avoir traversé le XXe siècle, et nous parlait encore ces derniers jours de Jascha Heifetz avec une précision sidérante.» Renaud Capuçon l’avait d’ailleurs invité en 2016 pour lui rendre hommage au festival de Pâques d’Aix-en-Provence. «Toutes les générations étaient réunies autour de lui, d’Anne-Sophie Mutter à Daniel Lozakovitch, et malgré son âge il jouait encore avec une énergie sidérante», poursuit-il.

C’est un artiste qui a toujours essayé de transmettre une vision de la musique qui transcendait la note et les signes sur la partition. Il nous incitait vraiment à vivre la musique intensément comme il voulait que nous vivions notre vie intensément.

Thomas Lefort

En 2018, lors de la demi-finale du concours Long-Thibaud-Crespin, son disciple Thomas Lefort, vingt-six ans aujourd’hui, nous avait longuement entretenu à son sujet. Lui aussi sera resté jusqu’au bout à ses côtés. Et c’est la voix tremblante qu’il évoquait ce 24 décembre, au téléphone, celui qui fut son mentor. «Il était plus qu’un professeur. J’étais comme son petit-fils, il a beaucoup compté tant musicalement que du point de vue personnel dans ma construction, dit-il. C’est un artiste qui a toujours essayé de transmettre une vision de la musique qui transcendait la note et les signes sur la partition. Il nous incitait vraiment à vivre la musique intensément comme il voulait que nous vivions notre vie intensément. Il était aussi très curieux et interrogatif sur la jeunesse. Se demandait si celle-ci continuerait d’être libre, de se poser les bonnes questions, et de concevoir la musique comme une expression et non comme une démonstration. Même s’il ne pouvait plus jouer, il aimait que l’on vienne jouer pour lui, et me demanda jusqu’au bout de lui amener encore des partitions de concertos.»

Vivre la musique aussi intensément que la vie. Voilà qui résume sans doute le mieux la carrière de cet instrumentiste inclassable. Né à Haïfa, alors en Palestine mandataire, il avait vu le jour dans une famille d’artisans. Son père était arrivé maçon dans le futur État d’Israël. Y était resté meunier. Gitlis aimait à se souvenir de lui le visage toujours couvert de farine. Le petit Ivry avait commencé le violon à l’âge de six ans. Un cadeau de sa famille devant son insistance. Il n’avançait aucune explication sur cette vocation précoce. Mais son talent pour l’instrument ne l’était pas moins. Quelques concerts en Palestine auront suffi avant que Bronislaw Huberman, futur patron de l’orchestre Philharmonique d’Israël, ne le repère et lui conseille de s’envoler pour l’Europe.

«Le conservatoire est fait pour conserver»

Il a dix ans lorsqu’il arrive à Marseille, après une traversée de la Méditerranée en quatrième classe qu’il n’avait jamais pu oublier. Deux ans plus tard, le conservatoire de Paris, rue de Madrid, lui ouvre ses portes. Il en ressortira au bout d’un an et demi. «Le conservatoire est fait pour conserver», avait-il assené en souriant en 2012, en guise de commentaire sur cette période dont il n’aimait guère se rappeler, dans l’imbroglio de ses souvenirs et de son appartement parisien. C’est finalement en Angleterre, pendant la Guerre, que sa carrière commencera à prendre son envol. Sous l’aile de Carl Flesch, il rencontre alors Enesco et Jacques Thibaud. Joue pour divertir les troupes britanniques. Après ses premiers récitals sur le front, la BBC le propulse sur les ondes.

Après la guerre, son retour en France est marqué par l’affaire du concours Long-Thibaud, dont il part favori en 1951, et ne ressortira qu’avec la cinquième place. Cela ne l’empêchera pas de commencer une carrière internationale qui le mène déjà jusqu’aux États-Unis, où son l’intensité de son jeu, son sens des phrasés toujours très personnel et organique, allié à un son brillant, lui valent l’admiration de son aîné Jascha Heifetz et d’une large part du public américain. En 1963, il devient aussi le premier Israélien à se produire en Union soviétique. Tout un symbole, lui rappelait-on. «J’espère avoir été plus que ça!», répondait-il du tac-au-tac.

Figure du Grand Échiquier

Ce sens de la repartie si bien caché par sa chevelure argentée aussi léonine que désordonnée, qu’annonçaient ses yeux malicieux, en faisait un candidat tout trouvé pour le petit écran, qui lui ouvrira largement les bras dans l’Hexagone, notamment grâce au Grand Échiquier de Jacques Chancel, dont il deviendra l’une des figures emblématiques. Puis au fil d’apparitions sur les plateaux au côté d’artistes aussi divers que Sheila, Michel Legrand ou Michel Berger. Une ouverture d’esprit qui le conduira aussi à collaborer avec Brian Jones, des Rolling Stones (qui voulait que Gitlis lui donne des cours), John Lennon ou Yoko Ono! Mais lui fermera aussi quelques portes dans le milieu classique conservateur. En 1968, il enfonce le clou en s’associant aux protestations des étudiants.

Mais ce que l’on retiendra, outre le soleil de son sourire, c’est sa présence incandescente au service d’un répertoire qui allait de Bach aux compositeurs d’aujourd’hui, en passant par Bartok dont il était l’un des interprètes inoubliables. «Pour moi, il était toujours sur un fil», conclut Renaud Capuçon. Un funambule des cordes, libre et anticonformiste. Un trompe-la-mort qui aura fini par lui tendre les bras… Sans doute le violon en bandoulière.

 

 

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Richard Malka

Une grande lumière s’éteint et s’il y a un paradis Ivry Gitlis sera l’éclairer.

danielka

Chalom, evidemment qu’il y a un paradis, c’est Michel Polnaref qui l’a dit !

danielka

chalom ,mon commentaire a disparu, je disais evidemment qu’il y a un paradis, c’est Michel Polnareff qui l’a chanté !