Après 8 mois de guerre; Dans les méandres des négociations

Chaque conflit laisse des cicatrices profondes dans les mémoires et les âmes. Des images poignantes, gravées à jamais, hantent l’inconscient collectif. Dans cette guerre, plusieurs d’entre elles resteront à jamais ancrées. Le petit camion abandonné à Sderot au lever du jour du 7 octobre. Les cris déchirants des femmes assiégées à Mmad. Les terribles images du journaliste d’Al-Jazeera diffusées par Manir Oz après la prise de Noh’ba par les terroristes. Les premières vidéos insoutenables des otages détenus par le Hamas. Puis celles, libératrices, des familles se retrouvant enfin, même partiellement. Les récits glaçants des libérés. Le témoignage accablant d’Amit Sosna…

Une liste, non exhaustive, qui marque les esprits au fer rouge. Cette semaine, avant même la diffusion très encadrée de la vidéo des cinq jeunes observateurs de Nahal Oz, une nouvelle séquence a filtré. Quelques secondes insoutenables montrant Ella Alykim, 8 ans, debout avec l’emblème du Hamas en arrière-plan, suppliant le Premier ministre de la libérer de sa captivité. Une vidéo tout juste localisée ces dernières semaines dans la bande de Gaza. D’autres familles ont reçu des rushes similaires, avec leurs enfants otages. La plupart préfèrent, pour l’heure, taire ces images insupportables plutôt que de nourrir davantage le voyeurisme malsain des moteurs de recherche.

On les comprend… Comme si les traumatismes psychiques indélébiles ne suffisaient pas, il faut encore subir ce matraquage numérique permanent, ces rappels systématiques de l’horreur vécue, qu’on voudrait pourtant pouvoir effacer de sa mémoire.

La vidéo d’Ella est déchirante. Une frêle petite fille forcée de se tenir devant l’objectif de ses geôliers inhumains. Un instant isolé qui, une fois de plus, submerge tout sur son passage, nous renvoie, nous parents, à nos propres enfants. Que ferions-nous si c’était les nôtres qui avaient été arrachés à notre foyer par les griffes de l’ennemi ? Comment garder alors notre calme et notre retenue ? Comment supporter ne serait-ce que l’idée de ce qu’ils endurent là-bas ? Comment assister, impuissant, à ces scènes d’horreur montrant cinq jeunes filles apeurées et en sang, traitées comme des objets, des « Sabaya » – ce mot du Coran qui désigne les « esclaves », ces mécréantes pour qui tout serait permis d’après les lois de la barbarie ?

Non, nous n’y arriverions pas. Eux non plus. Ils veulent juste que leurs proches rentrent à la maison. Maintenant. Au plus vite.

À la lumière des derniers développements, il est éclairant d’examiner ce qui a réellement changé, ou pas, dans ce douloureux dossier des négociations pour un accord de libération des otages. Beaucoup de choses anciennes en réalité, et bien peu de nouveau sous le soleil. S’il y a des avancées, elles visent surtout à « calmer la situation », comme s’il s’agissait de juguler une simple fronde gênante, et non d’apaiser la grande souffrance d’une nation meurtrie par l’échec cuisant des stratégies gouvernementales et militaires.

Revenons trois semaines en arrière. Lors d’une réunion houleuse du cabinet de guerre, Netanyahu découvrait avec stupeur un front uni face à lui : tous les responsables présents, du ministre de la Défense au chef d’état-major en passant par les généraux, semblaient former une coalition pour le pousser à accepter un accord de cessez-le-feu. Ils se disaient « prêts » à valider le déplacement des Gazaouis vers le nord de la bande, à discuter d’un arrêt des hostilités à l’issue de la deuxième phase, une fois les militaires et les civils libérés.

Mais dans la foulée, une nouvelle réunion au sein du cabinet politique et sécuritaire allait contrecarrer cette dynamique, comme souvent. Dans cette arène, le leader du sionisme religieux Bezalel Smotrich s’opposa farouchement à tout « accord de promiscuité », selon ses termes choquants (rappelons qu’à ce moment, les pires exactions se poursuivaient à Gaza depuis le 7 octobre).

L’hypothèse la plus plausible veut que Smotrich ait été insidieusement manœuvré par des fuites pour exprimer ce rejet public confortant la position déjà fluctuante de Netanyahu.

Ce soir-là d’ailleurs, l’équipe israélienne de négociation rencontrait ses homologues égyptiens à l’hôtel Hilton de Tel-Aviv. Israël marquait son accord sur les grands principes de la proposition égypto-américaine d’accord, que Le Caire allait ensuite dénaturer de manière flagrante à l’insu de Washington. Mais dans la foulée de l’insurrection de Smotrich et d’Itamar Ben Gvir, Netanyahu retirait in extremis le mandat de négociation qu’il avait accordé quelques heures plus tôt. Seule l’insistance du ministre Gantz permit de conserver une flexibilité minimale à l’équipe.

Dix jours plus tard, nouveau rebondissement : Netanyahu suspecte – réellement ou par prétexte – les Américains d’avoir fait des concessions secrètes au Hamas. Il lâche alors deux annonces tonitruantes : d’abord que Tsahal entrera coûte que coûte à Rafah, accord ou pas ; puis que c’est désormais le Hamas qui fait obstruction en exigeant une fin définitive de la guerre. Pourtant, aucune réponse officielle n’avait encore été reçue sur les grands principes négociés…

Quelques jours plus tard, effectivement, le processus s’enlisait après le rejet très ferme du Hamas. Cette organisation ne facilite évidemment pas la conclusion d’un accord. Mais une chose est constante : Yahya Sinwar n’acceptera jamais un deal qui n’inclurait pas, à un moment, une forme de fin de guerre. Pas de changement sur ce point depuis des mois, quelle que soit l’initiative de Nitzan Alon.

C’est précisément pour cela qu’il serait criminel de rompre les contacts – un geste qui, comme l’ont appris les négociateurs chevronnés, peut se payer au prix fort en vies humaines et conditions draconiennes. C’est au contraire le moment de faire preuve d’ingéniosité dans les formulations, pas d’arrêter toute dynamique. L’équipe de négociation, soutenue par Galant, Eizenkot et Gantz, est claire : elle veut finaliser un accord difficile, avec des concessions douloureuses, qui comportera vraisemblablement un volet de fin de guerre.

Netanyahu s’y refuse catégoriquement. « Toute proposition incluant la fin de la guerre est inacceptable. Vous ne savez pas négocier », leur a-t-il lancé, avant que son bureau ne publie un démenti sur la « poursuite des négociations »…

La question fatidique de la fin du conflit déchire la société israélienne. Alors qu’une grande partie de la population, meurtrie par les attaques meurtrières du Hamas, aspire légitimement à l’éradication de cette organisation terroriste, la réalité contraint à l’pragmatisme.

Il reste difficile à comprendre que l’ensemble de l’état-major militaire et du cabinet restreint de Netanyahu pousse pour un accord de cessez-le-feu. Car accepter une fin des hostilités maintenant reviendrait de facto à permettre au Hamas de survivre et de continuer à administrer la bande de Gaza. Ce qui constituerait, au regard des objectifs de guerre initiaux visant à démanteler les capacités militaires du mouvement islamiste, rien de moins qu’un cinglant aveu d’échec pour Israël.

Le Premier ministre et ses plus proches fidèles campent donc sur un refus absolu d’envisager toute formule comportant un volet de fin de guerre, au risque de voir ce conflit se prolonger indéfiniment. Un dilemme cornélien pour les dirigeants israéliens, partagés entre l’impératif de résultats tangibles et la crainte d’une défaite politico-militaire aux lourdes conséquences.

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