Comment la Russie gagne la guerre de l’information au Moyen-Orient par Francis MORITZ

          Sur le champ de bataille, les hommes, les armes et l’argent sont les nerfs de la guerre. Dans le champ médiatique, la désinformation est devenue l’arme par excellence. Autant la Russie semble perdre cette guerre en Ukraine, paradoxalement elle semble la gagner au Moyen Orient. On y observe un maillage dense de médias officiels, périphériques, de réseaux sociaux qui sont la caisse de résonance pro-russe d’infos en arabe qui paraissent fortement intéresser les citoyens dont le ressentiment ancien anti-américain, nourrit un sentiment pro-russe.

Voici le genre de message qu’une milice irakienne pro iranienne a mis en ligne : «Chaque victoire russe nous donne de l’espoir», «La Russie est l’épée de la vengeance qui rend justice à tous ceux qui ont souffert des maîtres autoproclamés du monde. Une grande partie du globe attend la victoire inconditionnelle de la Russie», ont proclamé des Irakiens sur Sabereen, une chaîne Telegram axée sur l’actualité irakienne et politique qui compte un quart de million de followers.

Les dangers de la désinformation. Les médias occidentaux se concentrent très justement sur la désinformation dirigée vers le monde occidental. La propagande russe en langue arabe est peut-être plus dangereuse encore, car elle s’appuie sur l’existence d’un double ressentiment anti-américain et anti-occidental, particulièrement parmi la population chiite. Elle s’applique à déformer les perceptions du public sur la guerre de la Russie en Ukraine. En lien avec la mentalité des habitants, les analystes suggèrent que l’autoritarisme de Poutine le rend particulièrement populaire dans certains pays arabes.

En Syrie, les partisans du régime de Bachar El-Assad croient tous que les États-Unis tirent des roquettes sur la Russie qui ne fait que se défendre. Les exemples de propagande russe en arabe sont nombreux, disent les chercheurs. Par exemple, il existe de nombreux faux rapports sur le président ukrainien Zelensky fuyant son pays, sur la manière dont la Russie protège les civils dans la zone de guerre et sur les raisons pour lesquelles les États-Unis et l’UE sont seuls responsables de la crise mondiale du blé. Le narratif réécrit par Moscou souligne toujours que la Russie n’est «pas responsable». C’est le slogan permanent de la désinformation.

Certains des messages proviennent de médias russes financés par l’État diffusant en arabe, comme RT (Russia Today). RT a été enregistrée comme «agent étranger» par les États-Unis en 2017. En mars de cette année, l’UE en a suspendu la diffusion en raison de «la manipulation et la désinformation systématique de l’information» qui menacent la stabilité de l’UE. Mais RT Arabic lancée en 2007 n’a pas été interdite et compte parmi les cinq chaines arabes les plus populaires du Moyen Orient. RT semble beaucoup plus attractive que l’offre occidentale en Arabe et depuis l’invasion de l’Ukraine, est devenu encore plus populaire. De plus, au cours des trois derniers mois, RT Arabic a encore progressé, déclare Moustafa Ayad, directeur de la section Afrique, Moyen-Orient et Asie de l’Institut pour le dialogue stratégique, ou ISD, une organisation à but non lucratif basée à Londres qui surveille l’extrémisme en ligne.

RT Arabic est souvent reprise par d’autres agences d’État comme l’agence syrienne SANA et la CGTN Arabic de Chine. Mais les pages Facebook et autres organisations en ligne qui ne le sont pas, sont bien plus importantes que les médias clairement affiliés à la Russie. Il est important de regarder au-delà des agences affiliées à l’État pour voir l’impact des médias exclusivement Facebook qui partagent, réorientent et renomment le contenu de RT et de Sputnik. Ce sont des entités qui n’existent que sur les réseaux sociaux et ne sont généralement pas des agences de presse accréditées, mais jouent un rôle dans la diffusion de contenu pro-russe.

L’ISD a également découvert des comptes avec des centaines de milliers d’abonnés qui sont dirigés par ce qu’ils appellent des «Kremlinistas attrayants», des femmes russes qui publient des histoires pro-russes en arabe. Les comptes et les images sont faux mais, comme l’écrit l’ISD, «le public masculin du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en redemande». La plupart des comptes mis en évidence ont depuis été suspendus. Ces types de diffuseurs qui s’étendent sur toutes les réseaux sociaux sont regardés deux fois plus que n’importe quel média officiel, souligne Mustafa Ayad.

Les raisons qui attirent le public moyen-oriental. Les citoyens des pays aux gouvernements autoritaires ne font souvent pas confiance à leurs propres médias et s’appuient davantage sur les informations partagées par les réseaux sociaux. Des chercheurs suggèrent que les médias russes et leurs affiliés sont beaucoup plus actifs sur les réseaux sociaux que les médias occidentaux de langue arabe. Par exemple, RT Arabic publie deux ou trois fois plus qu’Al Jazeera ou la BBC, constatent-ils.

Un ressentiment ancien contre l’Occident. Dans un rapport pour le Centre européen d’études de sécurité George C. Marshall, les analystes ont résumé les 10 principales façons dont la Russie a tenté d’influencer les messages internationaux autour de sa politique étrangère. Des travaux récents de l’ISD indiquent que certaines des tactiques les plus couramment utilisées sont désormais appliquées à la guerre en Ukraine. Par exemple, un thème qui séduit les Moyen-Orientaux : la Russie s’oppose «à l’intervention extérieure dans les affaires souveraines d’un pays», comme le relève le rapport du Marshall Center. On croit rêver !

Les Irakiens, dont le pays a été envahi par les États-Unis en 2003, peuvent comprendre. La chaîne Telegram, Sabereen, est dirigée par des milices alliées à l’Iran. Un autre thème est que la Russie préfère un monde multipolaire à un monde dominé par les intérêts occidentaux. Cela résonne auprès des États, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, dont les dirigeants ont de fortes tendances nationalistes et qui aspirent à plus d’influence au niveau régional et mondial ou comme le mentionne un compte Twitter pro-russe, «tout le monde ne veut pas recevoir les ordres de l’Oncle Sam».

Les récits russes sont conçus pour déformer la réalité, mais, explique Dmitry Gorenburg, chercheur au Centre Marshall, «Les récits comportent tous un élément de vérité qui constitue le fil conducteur de ces récits. Ils utilisent l’hypocrisie et l’implication de l’Occident dans le colonialisme régional, ainsi que les conflits régionaux, comme un moyen de mettre en évidence – ce que la Russie considère comme la nature perfide et fourbe du soutien occidental à l’Ukraine».

«Il s’agit en fait de protestation», a déclaré Yasser Abdel Aziz, un analyste des médias basé au Caire. «Il y a de larges secteurs du public arabe qui pensent que les médias occidentaux sont biaisés et que l’Occident, en général, est biaisé contre les Arabes et l’islam. Il y a beaucoup d’amertume», a-t-il conclu, et la Russie exploite cela avec ruse. Sur le plan de l’information voire de la lutte contre la désinformation, la marge de progression d’Israël reste considérable. Il est peut-être temps de mettre les moyens adéquats.

Source : benillouche.blogspot.com

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