Cet antisémitisme de gauche dont les racines sont bien plus anciennes que la complaisance avec l’islamisme

Le rappeur Médine est invité aux universités d’été d’EELV et de LFI. Cette invitation a suscité de nombreuses réactions mais les deux formations politiques de gauche ont défendu leur choix, dénonçant les attaques de la droite et de l’extrême droite et assurant par ailleurs que Médine avait changé.

Atlantico: Le rappeur Médine est invité aux universités d’été d’EELV et de LFI. Cette invitation a suscité de nombreuses réactions mais les deux formations politiques de gauche ont défendu leur choix, dénonçant les attaques de la droite et de l’extrême droite et assurant par ailleurs que Médine avait changé. Pourtant, il s’est illustré avec un « jeu de mots » qualifiant Rachel Khan de « resKHANpée » avant d’assurer qu’il ne faisait « aucune allusion à une quelconque origine ou histoire familiale ». Qu’est-ce que cette polémique nous dit de la complaisance d’une partie de la gauche avec l’antisémitisme ?

André Sénik : Je ne crois pas que l’indéniable complaisance de la gauche radicale envers l’antisémitisme islamique soit le signe d’un antisémitisme chez ces gens d’extrême gauche.

Ils ne veulent pas voir l’antisémitisme d’une population qu’ils jugent victime de la société qu’ils combattent. À leurs yeux, les musulmans sont des alliés objectifs, auxquels on ne tient pas rigueur de leurs passion antisémite et donc raciste, puisqu’ils sont supposés être les victimes du racisme systémique.

À gauche, en France, personne ne peut se déclarer ni même se penser antisémite. Heureusement pour ces gens, la détestation de l’État d’Israël soulage leur mauvaise conscience envers les descendants des victimes de la Shoah. Il leur suffit de s’entendre répéter que les juifs d’Israël font aux Arabes ce que les nazis ont fait aux Juifs, et que les musulmans de France sont traités comme les juifs de France le furent sous Vichy.

Tous ces éléments de langage sont ineptes, mais ils s’en gargarisent, s’en intoxiquent, et s’en satisfont.

L’islamo-gauchisme, stratégie qui considère que les musulmans sont victimes du capitalisme et sont donc des alliés objectifs des communistes, a été théorisé au premier « congrès des peuples d’Orient » qui se tint du 1ᵉʳ au 8 septembre 1920 dans la ville de Bakou. Réuni par l’Internationale communiste, il rassembla environ 2 000 délégués de différents peuples d’Orient.

Depuis lors, les communistes soutiennent les islamistes dans leur détestation de l’Occident libéral.

A quel point l’antisémitisme de gauche a-t-il connu un regain à la faveur d’une complaisance grandissante vis-à-vis de l’islamisme ?

Je ne pense pas qu’il existe un antisémitisme de gauche assumé et déclaré. Il existe un refus de voir et de condamner l’antisémitisme islamiste qui tue.

Pour autant, il existe aussi un antisémitisme de gauche dont les racines sont bien plus anciennes que la complaisance avec l’islamisme ? Où prend-il ses sources dans la pensée de gauche ?

L’antisémitisme de gauche déclaré et assumé date d’avant la Shoah. Marx et Proudhon, les deux maîtres à penser de la gauche, furent de furieux antisémites.

L’article inaugural de Marx a pour titre « Sur la question juive » et Marx définit entièrement les Juifs par leur pratique sociale égoïste et sordide. L’émancipation humaine doit consister à émanciper l’homme de la judéité, et à « rendre les Juifs impossibles » en abolissant les rapports marchands.

J’ai consacré un livre à cet article matriciel de l’anthropologie marxiste, mais les communistes se sont toujours gardés de diffuser l’intégralité de ce texte. Il contient pourtant la critique radicale des droits de l’homme, l’homme étant entendu au sens de personne privée membre de la société civile.

Marx étant né de parents juifs, son rejet de la judéité, et son déni de sa judéité, sont parfaitement pathologiques.

L’antisémitisme de gauche découle avant tout de l’équation Juifs= riches-=exploiteurs = ennemis de l’humanité.

En France, comment s’est historiquement traduit cet antisémitisme de gauche ? Quel héritage cela a-t-il laissé sur la gauche d’aujourd’hui ?

En France, cet antisémitisme de gauche s’est manifesté chez un écrivain comme Jules Vallès, chez un peintre comme Courbet, et au moment de l’affaire Dreyfus, par le refus de certains leaders de défendre « un bourgeois ». On en trouve encore trace dans un article venimeux de Maurice Thorez contre Léon Blum datant de 1939. Mais après la guerre et la Shoah, cela devenait impossible.

Le PCF s’est montré prudent au moment où Staline s’en est pris aux médecins juifs dans l’affaire dite des blouses blanches.

En réalité, en dépit de l’engagement massif des juifs dans la Résistance et en particulier dans le mouvement communiste, le bureau politique du PCF ne comptait aucun Juif, jusqu’à l’arrivée de tardive Krasucki, qui fut incorporé en tant que dirigeant de la CGT.

En 1981, Charles Fiterman, un Juif qui ne s’en cache pas, est nommé ministre… par François Mitterrand.

J’ai fait moi-même l’expérience au sein de l’Union des Étudiants communistes de France, à la fin des années 50, qu’il ne s’agissait pas d’antisémitisme chez les responsables communistes, mais de la crainte de passer pour être soumis aux Juifs.

Pourquoi l’antisémitisme de gauche est-il aussi tabou, en France et en Europe ?

On connait la phrase que Bernanos, qui fut un très admirable et très catholique écrivain français, a prononcée après la guerre : « Hitler a déshonoré l’antisémitisme. »

Les islamistes ignorent ce tabou, car ils n’en veulent nullement à Hitler.

Pourquoi tant de Juifs s’engagèrent-ils dans le mouvement communiste, avant de découvrir l’antisémitisme des États communistes dès les procès des années 50 dans les pays d’Europe de l’Est ?

Beaucoup de Juifs trouvèrent dans le communisme une religion séculière et messianique de substitution, qui les libérait d’un particularisme si lourd de menaces.

L’adhésion massive des Juifs au communisme fut une énorme mystification. Les Juifs crurent que « l’internationalisme prolétarien » rendait l’antisémitisme impossible, d’autant que Marx était un Juif.

Ils ne surent pas que Marx était un antisémite acharné, ils ne virent pas que l’internationalisme affiché était « prolétarien », c’est-à-dire en guerre contre les riches, et par extension aux Juifs, et ils découvrirent un peu tard que les États communistes flattaient ceux qui détestaient les Juifs, coupables de mieux réussir que les autres.

JForum avec André Sénik atlantico.fr

André Sénik est agrégé de philosophie.

 

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