Greta Garbo, Colonel Rémy, Dudley Clarke… Ces espions qui nous ont fait gagner la guerre

EXTRAITS EXCLUSIFS – Dans une étude inédite, l’historien spécialiste du monde du renseignement Rémi Kauffer souligne le rôle décisif des services secrets dans la victoire alliée en 1944-1945. Avec de très nombreux exemples à l’appui.

Ils sont célèbres (Joséphine Baker, Greta Garbo, Graham Greene), connus (Kim Philby, Marie-Madeleine Fourcade, Richard Sorge, le colonel Passy, Pujol, l’amiral Canaris, le colonel Rémy) ou… oubliés – parce qu’ils avaient choisi d’œuvrer dans l’ombre à la libération de leur pays et de ne pas s’en glorifier, parce qu’ils sont restés des espions après 1945, parce que c’était leur tempérament ou parce qu’on le leur avait vivement recommandé, voire ordonné…

Agents secrets par vœu ou par hasard, ils ont participé à des opérations certes moins spectaculaires que celles des soldats des armées alliées débarquant dans des conditions parfois dantesques en Sicile, en Afrique du Nord, à Iwo Jima ou en France. Et pourtant. Comme le démontre avec brio Rémi Kauffer dans un nouvel ouvrage de référence sur le sujet – 1939-1945. La Guerre mondiale des services secrets (Perrin, en librairie le 22 août) –, dont nous publions des extraits exclusifs, ce sont ces milliers d’hommes et de femmes français (André Dewavrin, René Gervais, Robert Keller), britanniques (Dudley Clarke, Claude Dansey), américains (« Wild Bill » Donovan), serbes (Dusan Popov), espagnols (Juan Pujol Garcia), russes (Lily Sergueiew), péruviens (Elvira Concepción Josefina de la Fuente Chaudoir) ou même allemands (le réseau Orchestre rouge) qui ont permis la réussite des manœuvres militaires décisives des Alliés.

Hitler berné

Ce sont eux, qui, souvent au prix de souffrances et de sacrifices immenses, et presque toujours au péril de leur vie, ont préparé le terrain des futurs vainqueurs en interceptant des informations venant de l’occupant, en fournissant à celui-ci des informations mensongères, en diffusant de fausses rumeurs, en infiltrant des services ennemis, en mettant en place des filières d’évasion, en cachant des armes ou des soldats de la liberté sur le point d’être capturés, etc. Riche de centaines de récits souvent inédits, le livre de l’historien le plus informé sur le sujet le plus secret du monde est une mine de révélations sur les dessous d’une Histoire plus complexe (et romanesque !) qu’on ne le croit.

Comment Hitler a-t-il pu rester durant presque toute la guerre persuadé d’une invasion en Norvège, mobilisant inutilement pendant près de trois ans 350.000 hommes dans ce pays ? Comment les Allemands se sont-ils laissés surprendre par les débarquements en Algérie et au Maroc (1942), en Sicile (1943) en Normandie et en Provence (1944) ? Comment les Japonais ont-ils été sourds et aveugles en avril 1943 à l’attaque fatale de l’escadrille où se trouvait l’amiral Yamamoto, l’organisateur de l’attaque sur Pearl Harbor un an et demi plus tôt ? Comment Joukov a-t-il pu oser dégarnir le front russe extrême-oriental pour acheminer des troupes à Moscou afin de résister à l’assaut de la Wehrmacht fin 1941 ? L’explication est chaque fois la même : des espions avaient réussi leur mission. Posant les jalons de la victoire finale des Alliés en 1945.

DUDLEY CLARKE : ROI DES OPÉRATIONS BRITANNIQUES DE DECEPTION

Au début 1941, le lieutenant-colonel d’artillerie britannique à peine quadragénaire, Dudley Wrangel Clarke a créé la Force A, un groupe de deceivers de haut niveau, experts en tromperie, en désinformation et en intox. Maintes fois déjà, ces spécialistes ont réussi à duper les Allemands et les Italiens sur le front du Moyen-Orient. Il leur incombe désormais de jeter un véritable « brouillard » – de multiples brouillards, plutôt – sur la destination finale des Alliés en Afrique du Nord. En cas d’échec de la Force A, le corps expéditionnaire anglo-américain risque, en effet, d’être attendu. En mer par les U-Boote, les sous-marins allemands, et, à terre, par les troupes françaises sur place, fidèles à Vichy […]. Après une première vague de tâtonnements, les plans de deception mis en œuvre par la Force A s’enchaînent. […]

C’est grâce aux experts britanniques en tromperie, en désinformation et en intox que réussiront les débarquements alliés

« Sweater » laisse entendre que la Western Task Force que le général américain George Patton concentre en Virginie doit appareiller pour Haïti.
Quand ce premier volet va perdre en efficacité, « Quickfire » entrera dans le jeu pour suggérer qu’en fin de compte, l’armée Patton gagnerait le Moyen-Orient via le cap de Bonne Espérance et la mer Rouge.
« Quickfire » est flanqué de « Hot stuff », un trafic radio aussi intense qu’artificiel indiquant le déplacement d’une force navale conséquente qui cinglerait vers le Brésil de façon à atteindre Recife le jour même du débarquement en Afrique du Nord.

Dès août 1942, l’OSS, rêvant de jouer un rôle, a esquissé de son propre chef une manœuvre d’intox destinée à persuader l’ennemi que le véritable objectif de la force expéditionnaire interalliée serait Dakar. Manipulés par Donald Coster, le chef de station de l’OSS à Casablanca, pays ou les Américains ont encore pignon sur rue, deux jeunes Français devaient se faire « tamponner » comme agents par le général Auer, l’officier de la Wehrmacht en charge de la commission d’armistice franco-allemande au Maroc. Mais ce plan a échoué, les deux volontaires français ne parvenant jamais à se faire recruter.

Dundley Clarke, arrêté avec des vêtements de femme. Coll perso
Toujours à l’affût, l’équipe de Clarke parvient cependant à en récupérer quelques éléments. L’intox à deux niveaux « Solo II » suggère ainsi que, parmi les troupes anglaises en route vers une destination fictive, le Moyen-Orient, certaines unités pourraient être détachées contre Dakar. Dakar, dont les décryptages de la machine Enigma permettent de conclure qu’en effet, c’est là que les Allemands attendent un assaut allié, pas en AFN. Ouf !
Parallèlement, « Solo I » dessine les contours d’un débarquement allié en Norvège. Dans le cadre de ce plan, un trafic radio intense est généré au nord de l’Écosse. Dix divisions y seraient en cours de concentration. Grand maître de la flotte allemande, l’amiral Erich Raeder pense, bien sûr, à la rade de Scapa Flow, lieu d’embarquement tout indiqué pour un assaut en Scandinavie. Par prudence, il décide donc de laisser une partie de ses U-Boote en mer du Nord et de Norvège au lieu de les envoyer croiser sous la Méditerranée. C’était l’objectif de « Solo I » : moins de torpillages sous-marins à craindre.

Prolifération d’intox

Dans le même temps, « Overthrow » donne à penser que les Britanniques s’apprêteraient à conquérir une tête de pont dans le Pas-de-Calais. Or, le haut commandement allemand n’imagine pas d’autre lieu de débarquement en France d’un corps expéditionnaire que dans cette zone. Donc il y renforce ses effectifs. Les soldats qui attendent l’arme au pied au bord de la Manche ne seront pas à même d’intervenir ailleurs. « Kennecoat » insinue qu’il s’agirait, au contraire, de sauver Malte, menacée d’invasion par les forces de l’Axe, tout en lançant un débarquement en Sicile.

« Townsman » désigne cette même Sicile, mais aussi le bas de la botte italienne, avec de surcroît une attaque de diversion imaginaire en Crète.

À la veille du vrai débarquement en AFN, « Pender I » et « Pender II » indiquent que Eisenhower aurait quitté Gibraltar, où il se trouve effectivement, pour une série de réunions à Washington, et que l’amiral Andrew Cunningham, commandant de la Royal Navy en Méditerranée, serait à la même période en route pour Lagos. Si les grands patrons alliés ne sont pas à leur poste, c’est qu’il n’y a rien à craindre dans l’immédiat. Soumis à cette prolifération d’intox qui se confirment, se superposent, se démentent, se contredisent puis se reconfirment, les Allemands en ont conclu que, vu leur trajectoire, les convois maritimes alliés transportaient probablement des renforts à Malte, point clé du dispositif britannique en Méditerranée.

Pour Berlin, un débarquement allié en AFN fait évidemment partie des hypothèses plausibles. Mais une hypothèse très peu probable, car les Allemands en mettraient leurs mains à couper à la francisque : Pétain donnerait alors à l’armée française d’Afrique l’ordre de riposter, et cette dernière ne manquerait pas d’obéir. Le plus probable en définitive, c’était soit Dakar soit Malte, deuxième hypothèse renforcée par le cap adopté initialement par l’armada anglo-américaine et qui ne s’incurvera qu’au dernier moment. Protégée par les brouillards de la deception, cet élément capital de la guerre secrète, l’opération Torch de débarquement en Afrique du Nord peut maintenant commencer.

RICHARD SORGE : LE PRÉCIEUX AGENT DOUBLE ALLEMAND

Né sujet du Kaiser en 1895, Richard Sorge, ancien combattant trois fois blessé de la Grande Guerre, a fait ses premières armes de clandestin dans les rangs du M-Apparat, l’appareil de guerre civile du KPD, le Parti communiste allemand. Versé au département des liaisons internationales du Komintern, Sorge effectue par la suite des missions en Allemagne, et même en Angleterre. En 1930, il passe à la « Maison de chocolat », nom familier du quartier général moscoutaire du service secret de l’Armée rouge, qui l’expédie en Chine sous couverture de correspondant d’une revue de presse. […] À Shanghaï, il « tamponne » un journaliste japonais connu, économiste, sociologue et spécialiste des relations internationales : Ozaki Hozumi.

La Maison de chocolat ordonne, sur ce, à Sorge de « brunir » son passé rouge, trop vif à l’heure d’obtenir le renouvellement de son passeport allemand. Au prix d’un périlleux retour à Berlin désormais nazi, l’officier soviétique échappe de fait à la vigilance de la Gestapo embryonnaire.

C’est muni du précieux sésame qu’il retrouve Hozumi à Tokyo en septembre 1933. Nouvelle mission: implanter un réseau au sein de la communauté allemande en exil au pays du Soleil-Levant. Correspondant au Japon de plusieurs revues, dont celle… de la Wehrmacht, l’agent tisse peu à peu sa toile, épaulé, à partir de 1935, par son compatriote allemand et opérateur de radio en Chine, Max Clausen. […]

Formidable nouvelle en juillet 1938 : à force d’intrigues, Ozaki devient le shokutaku (conseiller non officiel) du premier ministre, le prince Konoe Fumimaro. Et, plus tard, le responsable… du département Investigations à la Société du chemin de fer de Mandchourie. Deux fonctions qui, tour à tour, vont lui permettre l’accès à des renseignements politiques et militaires de première main. Ainsi Ozaki pourra-il rendre compte à Sorge des projets de l’armée du Kwantung, la force d’occupation nippone de Mandchourie. Une troupe habituée à agir comme un État dans l’État sans se préoccuper outre mesure des autorités tokyoïtes. De son côté, Sorge noue des contacts personnels étroits au sein de l’ambassade du Reich. En particulier avec l’attaché Eugen Ott, ancien combattant de la Grande Guerre comme lui. En parallèle, plusieurs dizaines de sources nippones de qualité surgissent. Dont l’artiste peintre Miyagi Yotoku, qui, devenu le numéro 3 du réseau, va se révéler un sergent recruteur particulièrement dynamique. […]

«Les usines et les bordels»

Le 13 avril 1941, Tokyo, et Moscou paraphent un pacte de neutralité valable cinq ans. Les Japonais, qui craignent une guerre sur deux fronts, ignorent tout des plans hitlériens d’attaque surprise contre l’URSS. Or, le 5 mai 1941, Sorge fait transmettre par Clausen au « Centre » de Moscou la copie d’un télégramme de Ribbentrop, le ministre nazi des Affaires étrangères. Des entreprises mentionnées dans les rapports de la Maison de chocolat que le dictateur rouge a épluchés. Il lit tout, c’est une de ses grandes forces.

Sorge fournit à Staline la date et le moment exacts de la journée où Hitler lance « Barbarossa »

Un mois plus tard, le 15 juin, Sorge fournit la date et le moment de la journée exacts de la traîtrise hitlérienne : « L’attaque se fera le long d’un front étendu à l’aube du 22 juin. » Un chef-d’œuvre de précision dont, on le sait, Staline refusera de tenir compte. Il n’empêche : c’est cette précision même qui va déclencher le retour en grâce de Sorge. […]

À l’heure où les divisions blindées allemandes tronçonnent, encerclent et détruisent les armées rouges par de rapides manœuvres d’encerclement, menaçant Moscou, les renseignements venus de Tokyo revêtent une importance accrue. Pour Staline et la Stavka, le haut état-major soviétique dont il va prendre la direction, la question se pose ainsi : malgré le pacte de non-agression qui lie le Soleil-Levant et l’URSS, doit-on craindre une attaque japonaise dans le dos ? Si oui, une partie des unités rouges aura à défendre l’Extrême-Orient soviétique contre l’armée du Kwantung, manquant de ce fait cruellement contre la Wehrmacht. Dans le cas contraire, la Stavka peut rappeler d’urgence ces mêmes troupes d’Extrême-Orient afin de contenir la poussée allemande.

À cette interrogation vitale, Sorge apporte une réponse précise entre la mi-septembre et la fin septembre 1941: les Japonais n’ont pas l’intention d’attaquer l’Union soviétique avant le printemps suivant […] : les stratèges du Soleil-Levant ont tranché définitivement pour l’option Sud (attaque contre les possessions asiatiques des Occidentaux, Anglais, Français et Hollandais) et contre l’option Nord (offensive antisoviétique par la Mandchourie). Compte tenu de la faiblesse de l’archipel en matière de produits énergétiques, l’embargo américain sur les carburants suite à la mainmise du Soleil-Levant sur l’Indochine française rend nécessaire la saisie des puits de pétrole indonésiens aux mains des colonisateurs néerlandais.[…]

Ces ultimes renseignements vont peser d’un poids certain sur le destin de l’URSS. La Stavka, dont fait partie le général Joukov, décide l’affectation d’urgence de nombreuses unités venues d’Extrême-Orient au front de Moscou. Elles arriveront à temps. Contrairement à la légende, Sorge n’a pas sauvé la capitale soviétique à lui tout seul, l’épuisement matériel et moral de la Wehrmacht jouant d’ailleurs un grand rôle dans l’échec de son dernier coup de reins. Mais qu’il y ait contribué reste indéniable.

COLONEL RÉMY: L’AS DU RENSEIGNEMENT FRANÇAIS

Bruneval, en Normandie, le 30 mars 1947. Un bon quart d’anciens résistants figurent parmi les 40.000 personnes venues ovationner Charles de Gaulle. Silencieux depuis son brusque départ du gouvernement en janvier 1946, le Général a choisi la côte normande pour le discours de son grand retour. Pourquoi un meeting en plein air sur cette plage, première étape vers le lancement d’un mouvement politique gaulliste de masse qui prendra le nom de Rassemblement du peuple français, le RPF ?

L’idée de ce lieu vient d’un des vieux grognards du Général, Gilbert Renault. Sous le nom de « colonel Rémy », ce patriote catholique né en 1904 à Vannes fut un des principaux agents secrets de la France libre, chef et fondateur du réseau Confrérie-Notre-Dame. Or, c’est à Bruneval, sur la base de renseignements précis fournis par son réseau au BCRA, puis par le BCRA à Broadway Buildings, qu’eut lieu l’un des coups de commandos les plus profitables à la cause alliée, l’opération « Biting » (coup de croc).

Le colonel Rémy. © LAPI / Roger-Viollet
Son objectif : la station du radar allemand dernier cri Würzburg W 110. Elle permettait à l’ennemi de repérer avec une très grande précision les avions alliés s’approchant des côtes françaises. Fournissez-nous un exemplaire du W 110, ont demandé les scientifiques anglais, qui jouent un rôle majeur quoique souvent méconnu dans la guerre secrète contre les puissances de l’Axe.

Lord Mountbatten et le commandement des opérations combinées ont pris cette requête très au sérieux. C’est pourquoi, dans la nuit du 27 au 28 février 1942, les cent dix-neuf paras britanniques du commandant John Frost, largués près de Bruneval, sont déjà à pied d’œuvre. Tandis que le groupe du lieutenant Young fonce vers la station côtière qui abrite le W 110, un autre s’attaque à la garnison voisine chargée de la protéger – une centaine de soldats allemands, selon l’évaluation des camarades de Rémy, chiffre confirmé par les escadrilles de reconnaissance aérienne de la RAF.

Opération réussie

Une troisième escouade de bérets rouges se tient prête à repousser toute contre-attaque ennemie. Et satisfaction : non seulement la météo est excellente, mais le terrain correspond à merveille à ce que les paras ont compris des photos aériennes et des maquettes dressées par les spécialistes. Froid, neige, cris dans l’obscurité, courses, rafales. Dans le feu de l’action, l’adjudant Cox, chargé du démontage de l’équipement de haute technologie, sème en chemin une partie de son précieux butin.

Électricien de métier, cet ingénieur radio parvient tout de même à sauvegarder les éléments essentiels du W 110. Un blockhaus ennemi est liquidé à la grenade. Au signal, les hommes de Frost se ruent en bon ordre sur la plage. L’embarquement ne commence qu’à 2 h 35 sous les tirs allemands qui tombent des falaises. Des navires britanniques embossés à quelques encablures ripostent. Le retour se passera sans autre incident.

Les informations fournies par le réseau du colonel Rémy sauvent la vie de nombreux aviateurs alliés

Malgré ses deux morts, ses sept blessés et ses six disparus, « Biting », opération commando menée en l’occurrence par des soldats d’une unité classique, la compagnie C du 2e bataillon de la 1re brigade aéroportée britannique, s’achève sur un succès. L’analyse du matériel saisi permettra, en effet, aux scientifiques et aux techniciens anglais d’élaborer les contre-mesures propres à brouiller les radars allemands. Des dizaines de vies d’aviateurs alliés sauvées.

Voici pourquoi, cinq ans après « Biting », de Gaulle, en marche, espère-t-il, vers la reconquête du pouvoir, a avalisé le choix de Rémy. En réunissant cette foule sur la plage de Bruneval face au blockhaus démantelé par les paras anglais, le « Grand Charles » entend démontrer de façon éclatante ce que la victoire alliée doit à la Résistance, à la France libre et, au final, à lui-même.

GRETA GARBO : UNE SUÉDOISE TOUT SAUF NEUTRE

Dans la guerre secrète contre l’Axe, une actrice de cinéma de renommée mondiale a joué un rôle aussi important que méconnu. Nulle autre que Greta Garbo. Bien que ressortissante d’un État neutre, la Suède, celle qu’on surnommait la « Divine » va en effet se trouver à l’origine d’une autre opération majeure du SOE : la destruction du stock norvégien d’eau lourde, élément indispensable dans la fabrication de la bombe atomique.
Au premier semestre 1942, les sommités du IIIe Reich ont commencé à s’intéresser à la possibilité d’utiliser la fission de l’atome pour construire une arme nouvelle. À l’enthousiasme de Wernher von Braun, spécialiste des fusées, répondent les réticences de Werner Heisenberg, le plus brillant physicien d’Allemagne, prix Nobel de physique 1932. […] Trop long, trop cher, insiste-t-il lors d’une conférence au sommet du 4 juin 1942… avant de demander à Speer, prêt à lui faire un pont d’or, une somme ridiculement basse pour ses recherches dans ce domaine !

Greta Garbo dans le rôle de Mata Hari. MGM / Collection ChristopheL via AF
Le véritable frein à la construction d’une bombe atomique allemande n’est d’ailleurs pas Heisenberg, que le SOE envisagera d’assassiner lors d’un colloque scientifique en Suisse avant d’y renoncer, mais Hitler lui-même. […] Par sa complexité même, le concept de programme nucléaire le dépasse […] et, comme toujours quand on aborde avec l’atome des rives stratégiques inconnues, Hitler ne tranche pas vraiment. Il laisse aller. Greta Garbo, elle, veut agir contre l’Allemagne brune du Führer. Bien introduite dans l’entourage du roi Gustav V, célébrité oblige, la « Divine » recueille des informations confidentielles sur les entrevues de Heisenberg à Copenhague avec son maître danois Niels Bohr, prix Nobel 1923.

« La divine » aura indirectement empêché l’Allemagne de développer une bombe atomique

Les Allemands veulent se procurer en Norvège de l’oxyde de deutérium, apprend la star. Les Russes aussi. Or, le nom familier de cet oxyde est « l’eau lourde », indispensable à la fabrication d’une bombe atomique. Voilà qui intéresse bigrement Ronald Turnbull, spécialiste scientifique à la légation de Grande-Bretagne à Stockholm. Et, pas moins, son chef hiérarchique, le major Hilton, chef de la section danoise du service Action churchillien.

C’est en partie grâce aux révélations de la « Divine » aux Britanniques que Bohr, exfiltré d’urgence par mer vers la Suède le 29 septembre 1943, sera transféré à Londres une dizaine de jours plus tard à bord d’un bombardier léger Mosquito. Le grand physicien rejoindra sous peu aux États-Unis l’équipe multinationale de Robert Oppenheimer. Pour sa part, Greta Garbo ne sollicitera aucun hommage des Alliés pour son action souterraine contre le nazisme. Si le jeu en valait la peine, l’immense actrice savait se tenir loin des sunlights.

JForum.fr avec https://www.lefigaro.fr
Extraits choisis par Jean-Christophe Buisson
1939-1945. La Guerre mondiale des services secrets, de Rémi Kauffer, Perrin, 448 p., 26 €. En librairie le 22 août.

 

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o.icaros

« Ils sont célèbres (Joséphine Baker, Greta Garbo, Graham Greene), connus (Kim Philby, Marie-Madeleine Fourcade, Richard Sorge, le colonel Passy, Pujol, l’amiral Canaris, le colonel Rémy)… » mettre Joséphine Baker parmi les « espions » qui ont fait gagner la guerre aux alliés est scandaleux. Elle n’a rien fait mais seulement fait savoir qu’elle avait fait quelque chose. Quoi? Il n’y a rien de documenté mais seulement des on dit.. Elle a passé une partie de la guerre dans les grands hôtels à boire du champagne avec des diplomates allemands qui ne savaient rien des opérations militaires d’Hitler. C’est prendre les diplomates allemands pour des idiots se laissant influencer par une américaine devenue un peu française. Ses titres de gloire elle les auraient glanés sur l’oreiller?