Antisémitisme: Ce que Sciences Po et les universités ne doivent plus accepter

Par Pierre-Henri de Menthon

INTERVIEW- Le président de la Licra, Mario Stasi, s’indigne des propos de certaines personnalités concernant Israël et Gaza. Et considère que Sciences Po et les universités ne devraient pas ouvrir leurs portes à ceux qui tiennent des discours revenant à stigmatiser les étudiants juifs. En ligne de mire: Judith Butler, Thomas Portes, Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan.

Mario Stasi est président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).

La Licra estime que l’antisionisme professé dans certains établissements d’enseignement supérieur est une forme d’antisémitisme. AFP – EMMANUEL DUNAND

Challenges. Quel est l’ampleur du lien entre Gaza et la montée de l’antisémitisme en France ?

Mario Stasi. Ce lien préexiste au pogrom du 7 octobre et à la riposte armée israélienne qui s’en est suivie dans la bande de Gaza. On parle souvent d’ importation du conflit israélo-palestinien mais en réalité, cela fait près de 25 ans que la diabolisation de l’Etat d’Israël est diffuse dans la société française et que l’antisionisme est la forme privilégiée empruntée par l’antisémitisme. Cette dénonciation à outrance d’Israël, devenue pavlovienne chez certains militants, réserve un traitement inégalitaire à cet Etat sur lequel pèse des exigences qui ne pèsent sur aucun autre Etat démocratique.

Peut-on tout de même condamner les agissements d’Israël à Gaza?

Il est bien évidemment légitime de condamner la politique d’un gouvernement de quelque démocratie que ce soit, mais défendre le droit à l’existence et à la sécurité d’Israël revient aujourd’hui à se rendre coupable de complicité avec un Etat chargé des pires péchés : Etat belliciste, raciste, colonial, dominateur, génocidaire, régime d’apartheid. Ces accusations coïncident avec celles qui visent traditionnellement le peuple juif : racisme juif, haine du genre humain, domination, exploitation. Avec une simplicité désarmante, qui se vérifie ponctuellement mais tout particulièrement lors des crises au Proche-Orient. Israéliens, sionistes et juifs deviennent des termes synonymes qui expliquent l’explosion des actes antisémites commis contre des citoyens, français ou autres, à des milliers de kilomètres de Gaza.

Quel est la responsabilité des élus LFI dans la montée de l’antisémitisme?

Des élus de la France insoumise ont choisi d’alimenter ce processus de diabolisation d’Israël. Dans ce conflit aux racines séculaires, ces militants ne veulent voir que la responsabilité de l’Etat hébreu alors que l’histoire de la région est infiniment plus complexe et nuancée. Cette lecture binaire autorise toutes les outrances. La responsabilité d’un élu français devrait être, en la matière, de prendre de la hauteur, de refroidir les termes du débat au lieu de souffler sur les braises, et de tout faire pour préserver la France des débordements antisémites qui fracturent la communauté nationale.

Au lieu de cela, sur cette question et dès avant le 7 octobre, des élus de la France insoumise accusent Israël, de manière obsessionnelle, de tous les maux, jusqu’à appuyer avec une certaine complaisance les thèses du Hamas en matière de désinformation. On a vu récemment l’un d’entre eux, Thomas Portes, aller jusqu’à relayer une fake news mettant une cible dans le dos d’un jeune habitant de Villeurbanne. Un tel comportement, d’une gravité extrême et d’une indignité absolue, l’est davantage encore pour un élu du peuple. Cela, il faut le dénoncer et le refuser !

Comment endiguer le phénomène ?

Les élus, les partis ont un rôle essentiel à jouer. Endiguer l’antisémitisme, dans une période comme celle que nous traversons, n’a évidemment rien d’évident tant l’actualité enflamme les esprits, notamment sur des réseaux sociaux, si peu régulés. Il faut en premier lieu appeler à la responsabilité des élus de la représentation nationale. Face à de tels événements, au drame des nombreuses victimes civiles, à la crise humanitaire, les députés et sénateurs se doivent de conserver une attitude responsable, de dialogue, de débat et même de pédagogie. Ils ont un rôle de vigie à exercer, en tant que garants des institutions et des lois : la haine antijuive – comme le racisme – engendre des discriminations qui doivent constituer une préoccupation première. C’est la raison pour laquelle la Licra a pris l’initiative de lancer un intergroupe parlementaire visant à exercer une vigilance particulière sur ces questions, à organiser des groupes de travail, proposer au vote des résolutions ou des lois quand il y a lieu. La députée de Paris Astrid Panosyan-Bouvet a accepté d’en prendre la présidence et le groupe accueillera tous les élus décidés à combattre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, qui constituent un déni d’égalité et un scandale au sein de la République.

Quel enseignement tirez-vous de « l’affaire » Sciences Po, la direction de l’école a-t-elle fauté ?

L’enseignement supérieur, comme l’ensemble des autres secteurs de la société, n’est pas à l’abri de l’inflation des paroles et des actes antisémites et de la montée des discours radicaux en augmentation depuis le pogrom du 7 octobre. Les propos d’une intellectuelle comme Judith Butler faisant l’apologie de l’action du Hamas, en l’assimilant à un mouvement de résistance en témoignent hélas.

Cette banalisation académique des agissements criminels d’une organisation terroriste a pour effet collatéral d’entraîner des excès de la part des étudiants, pour lesquels des universitaires de cette envergure sont des références des sciences sociales. Il n’est pas étonnant que cette romantisation du Hamas présentée non plus comme organisation terroriste mais résistante à une oppression sioniste aboutisse à la prise d’assaut de l’amphithéâtre Boutmy rebaptisé amphi Gaza pour y tenir une conférence sur la Palestine, avec des étudiants habillés d’un Keffieh, brandissant des drapeaux de la Palestine, en scandant des propos hostiles aux étudiants appartenant à l’union des étudiants juifs de France et en interdisant l’accès à l’une des étudiante juive.

Ce qui devra nous alerter, c’est si l’institution se révèle incapable après cette affaire à identifier la montée des discours de haine antisémite par criminalisation des étudiants français juifs et transposition de la situation à Gaza, et à faire preuve de fermeté vis-à-vis des étudiants qui favorisent ces provocations à la discrimination antisémite. Il faut regretter que dans son premier communiqué, la présidence de Sciences Po n’ait pas cru nécessaire de nommer l’antisémitisme, car on ne peut combattre sérieusement que ce l’on sait nommer. Dans un second communiqué, le 13 mars, la présidente de la Fondation nationale des sciences politiques démontrait avec fermeté avoir pris la mesure de la gravité de la situation en lançant une enquête interne pour déterminer les causes et les responsabilités, ce qui va dans le bon sens.

Plus généralement observe-t-on une montée de l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, comme sur les campus américains ?

On observe une augmentation inquiétante de l’antisémitisme dans les universités dans des proportions comparables aux autres secteurs. Une étude de France Universités a recensé 67 actes antisémites depuis le 7 octobre 2023, alors même que sur l’année 2022-2023, étaient recensés 33 actes.

Cette montée de l’antisémitisme sur les campus se traduit par une politisation accrue des étudiants sur la question de la guerre Israël-Hamas et la Palestine comme jamais aucun autre conflit. Si la liberté académique et associative doivent évidemment être défendues et encouragées, le fait que les universités ouvrent dans une proportion significativement très élevée leurs amphithéâtres à des conférences portant non pas sur la paix au Proche-Orient, mais bien trop souvent sur l’action qualifiée de « légitime » du Hamas, est un facteur explicatif.

Par ailleurs, la personnalité des invités qui tiennent conférence, comme Jean-Luc Mélenchon à l’université de Nanterre le 14 mars, ou Rima Hassan, le 5 mars à Sciences Po, qui présentent également le Hamas comme un mouvement de résistants, et ceux qui ne soutiennent pas ce point de vue comme des complices de crimes de guerre, place évidemment les étudiants français juifs – ou pas d’ailleurs – qui refuseraient ce narratif, ou y sont simplement indifférents, dans la position d’être rejetés, exclus, et perçus comme des ennemis de la communauté étudiante.

JForum.fr avec www.challenges.fr/

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Pauliltique

La discrimination positive a fait de science po, science pot de chambre, avec des étudiants incultes, malléables, influençables, haineux, et leurs professeurs du même acabit.