Boycotts et Contreboycotts :

           Echecs et appels au calme

 

Par Marc-André Charguéraud

 

  Première grande manifestation antijuive du régime nazi, le Boycott des magasins et des sociétés juives eut lieu le 1er avril 1933. On est surpris des positions opposées prises à ce sujet par les différents groupes allemands au pouvoir comme par les communautés Juives américaines et allemandes.

                             

Le boycott eut lieu le 1er avril 1933. Dans toute l’Allemagne, les magasins et les sociétés juives furent désignés à la vindicte populaire par d’énormes J U D E , peints sur les vitrines et sur les murs. Prévenus d’avance, de nombreux magasins avaient baissé leur rideau de fer.  A l’entrée des commerces restés ouverts, des SA patrouillaient pour dissuader les clients qui bravaient l’interdit. Desvitrines volèrent en éclats, des commerçants furent molestés. C’est l’ampleur et la visibilité sans précédent du mouvement qui impressionna aussi bien les Allemands que les étrangers.

Paul-Joseph Goebbels, ministre de la propagande et de l’information du troisième Reich explique dans son journal les raisons de ce boycott : « Une propagande étrangère atroce nous cause énormément de soucis. Les nombreux Juifs qui ont émigré d’Allemagne excitent tous les pays contre nous …. Nous ne réussirons à mettre fin à la calomnie étrangère que si nous attaquons les gens qui en sont à l’origine ou au moins en sont les bénéficiaires, c’est-à-dire les Juifs vivant en Allemagne… C’est pourquoi nous devons lancer un boycott d’importance contre toutes les affaires juives en Allemagne. Les Juifs étrangers y regarderont à deux fois si leurs frères de race sont frappés dans le dos. »[1]

Si pendant les premiers mois de 1933, il n’y eut pratiquement pas de Juifs internés en tant que Juifs, ils n’en furent pas moins les victimes de pogromes locaux. Les SA organisèrent une série de boycotts contre les professions libérales et les commerces juifs. Plus grave, des professionnels juifs en vue furent battus à mort : vengeances ou actes gratuits ? Cette flambée de violences antisémites fut condamnée et engendra de vives réactions en Amérique. La principale manifestation contre ces persécutions fut un rassemblement de masse le 27 mars 1933 au Madison Square Garden à New York organisé par Stephen Wise, le président de l’American Jewish Congress. Simultanément des associations d’anciens combattants juifs appelèrent au boycott des produits importés d’Allemagne.

On aurait pu croire que les Juifs allemands maltraités auraient été satisfaits des soutiens apportés par leurs coreligionnaires américains. Il n’en fut rien. Des Juifs allemands au plus haut niveau sont intervenus, craignant que le boycott américain des produits allemands ne se retournât contre eux, Eric Warburg, de la banque Warburg, qui envoya le 29 mars un câble urgent à son cousin Felix, président de l’Américan Jewish Joint Distribution Committee à New York, disant que « le boycott allemand prendrait place le premier avril si les informations d’atrocités et la propagande hostile dans la presse étrangère et les meetings de masse (…) ne cessent pas immédiatement . Félix lut ce câble au président de l’American Jewish Committee, Cyrus Adler, et le groupe publia une circulaire dans laquelle il rejetait tout boycott des produits allemands et qualifiait d’irresponsables ceux qui soutenaient de tels boycotts. »[2] Ces termes d’irresponsables visent les membres de l’association juive concurrente, qui a organisé la manifestation du Madison Square Garden : l’American Jewish Congress. On mesure là la profondeur du fossé qui sépare les deux groupes. Au moment où leur aide deviendra au fil des ans de plus en plus indispensable, cette division fratricide affaiblira de façon dramatique les possibilités d’intervention de la plus grande communauté juive mondiale. Une dissension que l’on retrouvera entre ces Juifs étrangers qui veulent intervenir et faire pression sur le gouvernement du Reich et les Juifs allemands qui désirent calmer le jeu et cherchent à s’entendre avec le pouvoir nazi.

De son côté, Goering intervint en convoquant les quatre organisations juives les plus représentatives pour leur demander de faire pression sur leurs coreligionnaires américains afin que cessent ces manifestations. Il brandit la menace de sanctions et de boycotts dont les Juifs allemands seraient les victimes. De nombreux télégrammes furent envoyés d’Allemagne en Amérique et dans le monde. Celui de la communauté juive de Berlin à l’American Jewish Committee fournit un bon exemple : « D’après les récits des journaux, une campagne de propagande se poursuit outre-mer contre l’Allemagne qui serait coupable d’atrocités et de boycotts. Elle est apparemment le fait d’organisations juives. En tant qu’Allemands et que Juifs, nous devons élever à ce sujet une protestation solennelle. La diffusion de fausses nouvelles ne peut en effet qu’avoir des effets néfastes, car elle ternit la réputation de l’Allemagne, notre terre natale, et met en danger les relations des Juifs allemands avec leurs concitoyens. Veuillez faire en sorte, et de manière urgente, que s’arrête toute propagande sur les atrocités et le boycottage. »[3]

Hitler avait espéré par un boycott prolongé pousser les Juifs à la ruine, au désespoir et à leur fuite d’un pays qui leur refusait les moyens les plus élémentaires de vivre. Ce but est bien exprimé par le journal Niedersachsischer Beobachter  du 1er avril 1933.  « Le boycott actuel est purement défensif et de nature économique. Il n’est pas dirigé contre les personnes juives. Le mouvement national-socialiste est persuadé que cette action ramènera le judaïsme mondial à la raison… »[4] Le boycott du 1er avril fut un échec, reconnu comme tel par les nazis eux- mêmes.  « Le 17 avril, Curt Menzel, un juriste nazi, souligna dans une conférence à la ligue nationale socialiste des juristes à Hambourg que pour beaucoup de nazis l’apathie du public fut évidente pendant le boycott (…). La réponse du public était loin d’être satisfaisante (…). Dans certaines villes, il y eut une résistance active, avec des clients essayant délibérément d’acheter dans des magasins boycottés. »[5] Il faut également constater que lorsque des manifestations antijuives surviennent dans la rue, une partie de la population allemande réagit négativement aux brutalités. Or il n’en est rien lorsqu’il s’agit de mesures administratives. Ce que l’on voit, l’image, engendre des réactions infiniment plus puissantes qu’une directive ou qu’une loi qui restent abstraites au moment de leur publication.

Ce n’est pas seulement parce qu’il avait échoué que le boycott fut interrompu. Dès le départ, sous la double pression du Président Hindenburg et des ministres conservateurs, Hitler décida à regret de le limiter à la journée. Hindenburg pour des raisons politiques, les ministres pour tenir compte de contraintes économiques. « Ceux-ci, avec à leur tête le baron Constantin von Neurath, Ministre des affaires étrangères, mirent en avant les résultats négatifs qu’aurait sur l’économie allemande une guerre avec la juiverie internationale. »[6] Les Juifs de downtown New York, ceux de l’American Jewish Congress, les Sionistes avaient donc eu raison sur ceux de uptown de l’American Jewish Committee, plus conservateurs. Ils avaient tenu tête à Hitler en manifestant pour le boycott des importations allemandes. Avec les nazis la fermeté payait. Elle ne fut malheureusement que trop rarement utilisée, et les conséquences de cette parcimonie sont connues.

« Le boycott apprit aux nazis une leçon essentielle : résoudre le problème juif et le problème économique en même temps était impossible tant que des progrès économiques visibles n’auraient pas été faits… Les investissements et les prêts étrangers dépendaient de la confiance dans la politique économique de l’Allemagne… Chaque mesure qui minerait cette confiance ne ferait que renforcer les problèmes que Hitler devait résoudre… »[7] Tel fut le raisonnement de la plupart des hommes d’affaires juifs à la tête de grandes sociétés. Les nazis avaient besoin d’eux sur le plan national et surtout international. Ils ne craignaient rien. Ils eurent raison, jusqu’au jour Hitler décida qu’ils avaient tort.

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2018. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.

[1] Journal de Paul-Joseph Goebbels du 24 mars 1933 cité par Herbert A. Strauss – Op. Cit. p. 66

[2] CHERNOW, Ron, The Warburgs, Random House, New York 1993, p. 373

[3] DAWIDOWIZ, Lucy, La Guerre contre les Juifs, 1933-1945, Hachette, Paris 1975. Télégramme envoyé le 30 mars 1933 par communauté juive de Berlin à l’American Jewish Committee, p. 95

[4] STRAUSS Herbert, Op.Cit. Niedersachsischer Beobachter daté du 1er avril, p.70

[5] SCHLEUNES, Karl A. The Twisted Road to Auchwitz, Nazi Policy toward German Jews, 1933,1939, University of Illinois Press, Urbana 1970. Conférence de Curt Menzel, juriste nazi, le 17 avril 1933, p.88.

[6] CHALK, Frank, (direction) The History and Sociology of Genocide, Analysis and Case Studies, Yale University Press, New Haven 1990, p. 345

[7] SCHLEUNES Karl A, Op. Cit. p. 89

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