Bobigny : un mémorial ouvre au public dans la seule gare de déportation conservée de France

Peu connue, l’ancienne gare de Bobigny a joué un rôle clé dans la déportation des Juifs de France durant la Seconde Guerre mondiale. Après deux ans de travaux, le mémorial a ouvert ses portes mercredi 18 janvier.

“A l’époque, la gare était au milieu des champs et ne servait plus qu’au transport de marchandises. Elle était donc plus discrète que la gare du Bourget qui était utilisée dès mars 1942 pour la déportation des Juifs détenus à Drancy“, explique Adèle Purlich, la directrice du mémorial.

En treize mois, de juillet 1943 jusqu’en août 1944, ce sont 22 407 femmes, hommes et enfants de tous âges qui sont transférés à partir de cette gare vers le camp d’extermination d’Auschwitz où la plupart mourront. “Ce lieu est la dernière image qu’ils garderont de la France“, pointe Adèle Purlich.

Un lieu de transmission

“Ce site est exceptionnel parce que c’est la seule gare en France et une des rares en Europe ayant servi à la déportation dont l’état est proche de son aspect originel“, poursuit Thomas Fontaine, historien, directeur du musée de la résistance nationale et commissaire de l’exposition. “Le lieu a été restauré tel qu’il était lorsque les Nazis l’ont utilisé dans leur entreprise d’extermination de masse.”

L’accès au mémorial s’effectue par l’entrée historique de l’ancienne gare. Le choix de la sobriété est manifeste pour son aménagement architectural. Du haut du belvédère, le visiteur englobe l’ampleur du site. On entre dans la gare proprement dite par une rampe jalonnée de citations de déportés gravés à même le bois. Le long des rails, 75 stèles commémorent les 75 000 Juifs déportés en France.

“Ce parcours suit le cheminement des bus qui descendaient vers la halle de marchandises en passant devant l’ancien bâtiment des voyageurs devenus des logements des cheminots. Lorsque Aloïs Bruner [ndlr, officier SS qui eut un rôle clé dans l’extermination des Juifs d’Europe) est nommé à Paris, il comprend tout de suite l’intérêt logistique du lieu. La gare n’est qu’à 3 km de la cité de la Muette à Drancy et est directement connecté au réseau ferroviaire de l’Est. Chaque bus peut transporter 50 personnes environ, qui était ensuite entassées de force dans les wagons à bestiaux“, relate l’historien. Au total, 21 convois partiront de Bobigny.

“L’idée est de faire aussi de ce lieu de mémoire un lieu de transmission sur l’histoire de la déportation en s’adressant en particulier aux jeunes. C’est d’autant plus important qu’ils sont aujourd’hui davantage confrontés aux fake news avec les réseaux sociaux“, souligne Adèle Purlich. Le mémorial attend 15 000 visiteurs par an, en majorité des scolaires. “Sa vocation est aussi d’être un lieu ouvert avec une programmation culturelle, bien sûr en lien avec son histoire, mais qui permette de faire de la pédagogie sur les discriminations en général, l’antisémitisme et le racisme. Il y a aussi des liens à faire avec l’histoire des migrations, puisque les Juifs de France qui ont été déportés durant la guerre étaient pour une très large parti des immigrés d’Europe de l’Est“, ajoute la directrice du mémorial.

Le mémorial de Bobigny a pris le parti de ne pas créer un musée et se visite en extérieur.

4,5 millions d’euros pour la restauration du site

Pour arriver à cette ouverture au public, il aura fallu attendre plusieurs décennies. Dans l’immédiate après guerre, la reprise de l’activité marchandises de la SNCF puis l’installation d’une casse par un ferrailleur empêche toute commémoration “même si des plaques ont été apposées sur le bâtiment voyageurs dès 1948“, souligne Bernard Saint-Jean, chargé de mission à la ville de Bobigny.

“C’est à partir des années 1980 que le projet de faire de cette ancienne gare un site historique commence à prendre forme“, poursuit-il. “Georges Valbon, qui était le maire, s’était opposé à la volonté de la SNCF de démolir la halles de marchandises et de faire une opération immobilière. Par la suite, l’avocat Serge Klarsfeld a mis à jour l’identité des déportés. Toute l’histoire de cette ancienne gare sera retracée grâce à ses travaux et à ceux de Thomas Fontaine et de l’Afma (Association fonds mémoire Auschwitz).”

Le véritable tournant intervient en 2005, lorsque le ferrailleur cesse son activité. La ville de Bobigny achète alors le bâtiment des voyageurs pour 1 euro symbolique et le site est inscrit sur le registre des monuments historiques. En 2011, la commune signe une convention partenariale avec la SNCF, point de départ des travaux de dépollution. “Finalement, c’est l’activité du ferrailleur qui a permis de préserver les pavés foulés par les personnes qui ont été déportés ici. Ce sont les pavés d’origine qui ont été restaurés. Ils participent de la valeur historique du site avec les voies de chemin de fer, la halle de marchandise et les logements des cheminots dont certains ont témoigné de la déportation qui se déroulait sous leurs yeux“, remarque Adèle Purlich.

L’aménagement du mémorial en lui même a débuté en septembre 2020. Au total, 4,5 millions d’euros ont été investis avec le concours des ministères des Armées, de la Culture, la SNCF, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, l’Afma, l’établissement public territorial Est Ensemble ainsi que l’agence de l’eau Seine-Normandie. En effet, une autre vocation du site est de contribuer à la préservation de la biodiversité et à la renaturation de l’espace urbain.

Entre juillet 1943 et août 1944, 22407 Juifs de France ont été déportés depuis l’ancienne gare de Bobigny.

PAR CHARLES HENRY 94.citoyens.com

Bobigny : un mémorial ouvre au public dans la seule gare de déportation conservée de France

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