Voici un volume comme on en voit très peu, même quand il s’agit de faire honneur à la mémoire d’un grand écrivain. Mais pour Amos Oz, une telle publication par les éditions Gallimard allait de soi. Cet auteur symbolise à lui seul les tribulations de l’âme juive, ses espoirs et ses regrets, ses aspirations et ses déceptions. Une judéité concentrée en un seul homme qui a fourni tant de livres, rédigé tant de nouvelles et prononcé tant de conférences. C’est tout Amos Oz.
Le présent ouvrage est imposant déjà par son volume ou devrais-je dire par son poids… On annonce 1728 pages, accompagnées de 98 documents. Du jamais vu pour un romancier qui écrivait en hébreu mais qui a trouvé d’excellents traductrices et traducteurs.
On aura compris qu’il est matériellement impossible de parler de tout ; un choix s’impose en espérant qu’il reflète correctement les intentions profondes de l’auteur. L’éditeur nous assure que le présent projet, devenu réalité, avait été envisagé déjà du vivant de l’auteur. Tous les genres littéraires sont représentés dans cet immense volume, y compris les poèmes écrits par l’auteur.
Je me suis promis de lire graduellement les textes que je n’ai pas encore découverts. Impossible d’écluser près de 2000 pages en quelques semaines. Il faut bien plus.
Ce volume évoque  aussi les grands moments de la vie de l’auteur qui s’appelait à l »origine Klausner avant de devenir Amos OZ. On doit dire un mot de sa mue politique, issu d’une famille  politiquement  de droite. Alors que l’écrivain s’est fait connaître pour ses convictions de gauche, notamment concernant le conflit israélo-palestinien.
Pour ne pas trop allonger cet article concerné à l’œuvre de Amos OZ, j’ai choisi deux textes que je propose d’analyser ici pour nos lecteurs et lectrices.

Amos Oz, La colline du mauvais-conseil (Har ha-Etsa ha-Ra’ah), Gallimard
Il s’agit d’un recueil de nouvelles, un genre littéraire dans lequel Amos Oz excellait aussi. Le titre de l’ouvrage est tout simplement celui de la première nouvelle. Ces textes furent écrits en 1974/75 et publiés en français moins de cinq après la parution de la version hébraïque. En apparence, il n’y a pas de cohésion, pourtant il en existe une, c’est la ville de Jérusalem. C’est elle qui concentre sur elle toutes les attentes de l’auteur et de ses personnages, lesquels représentent la population juive de cette époque dan toute sa diversité. Parfois, on a l’impression que la ville vit par elle-même, est traitée comme un être humain. Elle semble indispensable au narrateur, et tout bien considéré, c’est le berceau originel du peuple juif
J’ai trouvé à la fin d’un paragraphe (p  84) deux phrases qui résument l’ensemble de la nouvelle et même du livre : Quant à moi, je continuerai mon pénible chemin, à chacun son destin… Et voici le verset du Psaume qui exprime cette nostalgie brûlante que les juifs ont abritée en leur sein durant plus de deux millénaires :  Ah ! Verrai-je un jour le bonheur de Jérusalem …
Cette supplique est plus riche, plus dense que n’importe quelle élégie portant sur l’histoire juive. Je pense ne pas me tromper en relevant qu’aucune autre cité de l’Etat d’Israël ne concentre sur elle le bonheur, la gloire passée et l’espérance du peuple juif. Et surtout aux yeux de cet auteur.  Voici un exemple de cette aspiration de l’auteur : Je me souviens. Il faut continuer à attendre. Le passé est mort. Un jour nouveau commence (p 154).  Toujours, cet espoir, cette attente d’un jour meilleur. C’est congénital à l’essence du judaïsme. Même dans la bouche ou sous la plume d’un juif de gauche, incapable de s’arracher définitivement à la tradition plurimillénaire de son peuple.
Le livre parle de la fin de la Seconde Guerre mondiale, de la dureté des troupes britanniques face à l’immigration juive qu’elles tentent de juguler avec des fortunes diverses. Les mailles du filet ont beau être resserrées, elles ne réussissent pas à tarir ce flux incessant. Telle est la toile de fond de ces nouvelles. Certes, il y a des allusions à l’armée secrète juive qui s’est signalée par des attentats qui ont rendu les Britanniques encore plus durs. Je pense à cette description d’un personnage secret, un familier de l’auteur et de ses parents, qui avait coutume de disparaitre et de réapparaître sans donner d’explication sur ses absences à personne. Et auquel le narrateur veut s’identifier. On pense qu’il fabrique des explosifs dans l’imprimerie clandestine située au sous sol où il est censé travailler. Cette atmosphère de lutte clandestine et de chasse à l’homme est omniprésente. Je pense à cette perquisition nocturne dans la maison du narrateur où pénètrent des soldats britanniques commandés par un jeune lieutenant qui se confond en excuses pour la gêne occasionnée. Mais qui n’en ordonne pas moins au père de se  tenir débout face au mur, les mains en l’air. Finalement, les soldats repartiront bredouilles, alors qu’ils avaient été très prés  d’un dépôt d’armes et de minutions.
Comme dans toute lutte secrète contre une armée d’occupation, une certaine mythologie voit le jour et magnifie, héroïse les chefs de la résistance qui se voient affublés de qualités surnaturelles : ainsi, le chef de l’armée secrète traqué par les troupes britanniques qui organisent régulièrement des rafles, deviendrait, selon ses admirateurs, invisible afin d’échapper à ses poursuivants… D’autres admirateurs encore plus naïfs en font un roi, capable d’incinérer tout l’empire britannique à l’aide d’une simple allumette…. Et puis, il y a  tous ces personnages hors norme, enfermés dans leur univers, qui fuient le réel car l’histoire juive est trop sombre, trop triste et pourtant nul ne songe à la quitter ni à la répudier. Tous ces personnages assument leur destin. Une remarque m’a frappé sous la plume de l’auteur : les arbres porteront leurs fruits, que nous dégusterons dans la joie et la sérénité. C’est une actualisation de l’idée messianique qui subit ici, de manière souterraine, de fortes critiques… Pourquoi tant de souffrances qui s’abattent sur un peuple qui se dit élu par la divinité ? Et cette sempiternelle interrogation restée sans réponse, fait penser au climat brulant de la ville sainte. Rien ne résiste à ce soleil de plomb qui vous empêche d’être dehors durant de longues heures du jour. Tout semble dur, comme si l’Etat juif qui vient de naître ne se mérite qu’au terme d’une très longue ascèse et qu’on n’y accède pleinement qu’après des luttes âpres et longues.
L’idée messianique est le rêve éveillé de tout le peuple juif et singulièrement de ceux qui, fuyant une Europe meurtrière, ont cherché refuge dans la terre de leurs ancêtres. Et voilà que celle-ci était promise mais non encore permise (E. Levinas)… Comme si toutes les souffrances endurées ne suffisaient pas à rédimer ce peuple à la recherche d’un havre de paix. C’est le message en sous-texte que distille ce recueil de nouvelles. Il parle des années quarante et fut rédigé autour des années soixante-dix alors que le jeune Etat juif venait d’échapper à une défaite militaire qui aurait sonné le glas de touts ses espoirs. La guerre de 1973 a fait revivre le spectre de la Shoah dans l’esprit des juifs du monde entier et pas uniquement dans le cœur des Israéliens.
Dans les deux premières nouvelles, l’auteur en parle peu mais on sent bien que toutes ces craintes sont tapies au fond de lui-même. Parmi cette galerie de personnages, il en est qui sont plutôt détonants. Ils semblent déconnectés de la réalité non pas parce qu’ils sont devenus déments mais parce que la vie a pris une tournure qui vous rend fous… Je pense à cet homme assez étrange, qui connaît bien sa Bible et notamment la littérature prophétique d’où il tire des versets qui sont en contradiction totale avec la situation qu’il vit hic et nunc. Et ce divorce le contraint à tomber dans les travers de l’exégèse : méconnaître la réalité, prétendre qu’elle est porteuse d’un avenir meilleur. Tenir, tenir, encore et encore. Selon l’auteur, ce serait la vertu cardinale du peuple d’Israël . L’attente ! Ne pas se décourager. Cela me rappelle une chanson qui porte les termes suivants : Je crois d’une foi parfaite en la venue prochaine du Messie. Et même s’il tarde trop, j’attendrais jusqu’à ce qu’il vienne … Tout est dit. Sans cette force intérieure indestructible, les juifs auraient disparu sans laisser la moindre trace, comme ces peuplades cananéennes que la Bible est la seule à évoquer… au passé !
Un mystère qui relève du miracle : comment tant de gens, venus de tant de cultures et de pays différents peuvent ils cohabiter plus ou moins harmonieusement dans une même terre qu’ils ont, de surcroît ,quittée depuis des millénaires ? Comment ont-ils pu rester durant tout ce temps porteur d’un même projet er animés d’une même vision ? On peut parler de la solidité d’une transmission d’héritage, une transmission qui a triomphé de tout, surmonté tous les obstacles (et Dieu sait qu’il y en avait). Et qui s’est adaptée à tout, tout en préservant l’essentiel, son essence à la fois religieuse et politique. Et l’auteur le sait, même s’il parle parfois de la tristesse des vendredis soir…
La dernière nouvelle, intitulée nostalgie, est une correspondance entre le narrateur et un amour de jeunesse. Le cadre est évidemment le même, les premières années d’existence du nouvel état juif que la jeune femme a quitté pour vivre à New York. C’est une évocation du temps passé où l’amour unissait ces deux êtres. On y évoque les descentes des soldats britanniques qui traquent les membres de l’armée juive secrète. Des  envoyés de cette dernière sont, de leur côté, à l’affut de techniciens capables de fabriquer des explosifs au nez et à la barbe des soldats. Lorsqu’ils découvrent des armes dans les kibboutzim les britanniques veulent les saisir, mais les habitants s’y opposent car cela leur démunirait face aux attaques des Arabes. Et parfois, cela conduit à des morts et à des blessés.
Cette correspondance permet à l’auteur de voir la réalité des deux côtés : il est resté sur place, la guerre qui vient de s’achever, a failli mal tourner… Il se fait aussi le porte-parole de l’autre personne qui a choisi de partir, refusant de vivre le rêve sioniste. Cette correspondance imaginaire en partie permet aussi au narrateur de se livrer à l’introspection. Qu’on en juge :  Je ne suis qu’un juif rongé par le doute, dévoué, inquiet, et comble de tout, gravement malade. Mon apport consiste à vivre à Jérusalem parmi de pauvres immigrants russes et polonais, exposé de jour comme de nuit au danger de la diphtérie  et de la dysenterie.( p 187)
Laissant libre cours à son imagination, le narrateur évoque sa ville natale de Vienne, le beau Danube bleu, toutes choses qui tranchent ici avec les collines de Judée, la chaleur étouffante et la timide fraîcheur du soir.
Je ne suis pas parti de Vienne parce que je désirais connaître Jérusalem. On m’a expulsé et mon avenir m’a paru condamné à jamais. Et pourtant, en venant ici, j’ai gagné huit ou neuf années de vie, j’ai connu Jérusalem et je t’ai rencontrée. Partir d’un faubourg de Vienne pour aboutir à la rue Malachie et au Mont Scopus ? De la ville des canaux aux frontières du désert, n’est ce pas… absurde ? Toi et moi à Jérusalem dans le rôle des descendants des prophètes, des rois et des héros d’Israël ; n’est ce pas curieux, Mina ? (p 176)
Cette citation est probablement le plus beau passage de toute cette évocation émue, où l’imaginaire et le réel se confondent.
A présent, un texte montrant les idées politiques de l’auteur.
Amos Oz, rien n’est encore joué (Gallimard, 2030)
La dernière conférence ou  le testament politique et philosophique d’Amos OZ.
Cette phrase ( rien n’est encore joué) qui sert de titre à cette dernière conférence vient de l’écrivain Yossef Hayyim Brenner.
En effet, ce texte fort court, une simple plaquette de quelques dizaines de pages, tirées d’une conférence publique prononcée quelques mois (2 juin 2018) avant son passage à l’éternité, constitue un bon résumé, une bonne exposition des idées politiques d’un auteur qui figure parmi les meilleurs romanciers israéliens du XXe siècle. Ses idées en matière de politique intérieure et extérieure de l’Etat hébreu sont bien connues : sa sensibilité de gauche, exposée avec plus ou moins  de véhémence, reçoit dans ce petit texte une version plus nuancée,  une formulation plus apaisée, même si les idées sont toujours les mêmes. Un état d’incertitude sur l’avenir d’Israël. On sent chez cet homme sage, même si on ne partage pas toutes ses idées, une profondeur, une certaine vérité, la sienne. Et aussi une gravité authentique car le sujet est d’une importance vitale : Israël pourra-t-il vivre for ever au Proche Orient où naquirent son peuple et sa culture il y a plus de trois mille ans ? Ses analyses se défendent, même si le courant majeur de l’opinion publique en Israël s’oriente différemment. Il faut ajouter que ses interventions publiques ont souvent enflammé le camp adverse.
Ce qui m’a plu, malgré tout, dans ce texte clair, lucide et excellemment bien traduit, c’est qu’il se fonde sur une approche historique, tout en l’interprétant à sa manière ; il procède à une sorte de généalogie de l’idée sioniste et de ses porteurs ; on y lit une importante rétrospective à la fois familiale et plus générale sur laquelle l’auteur s’appuie pour élaborer son attitude quant au passé d’Israël, son avenir, les dangers qui le menacent et la voie qu’il devrait emprunter pour rompre l’étau d’acier qui risque à tout moment de le broyer.
La mort nous surprend toujours, on ne s’y attend guère mais j’eusse souhaité qu’Amos Oz mourût après avoir vu et entendu quelques pays arabo-musulmans se rallier enfin à l’État juif et lui proposer des relations apaisées, de paix et d’entente. Mais cela aurait peut-être aussi montré que ses analyses de la situation n’étaient pas absolument incontestables. Par exemple, le postulat paradigmatique la paix contre les territoires, vient de voler en éclats. Une paix sincère, sans arrière-pensées, se fait pour elle-même. En allemand, chez Hegel, on dirait Frieden an und für sich.  Même si une seule hirondelle ne fait pas le printemps, ce que nous vivons ne sera pas éphémère car le temps de la réflexion a été très long, plusieurs décennies pour que les enfants d’Abraham renouent enfin avec la paix et l’amitié.
Je préfère dans ce compte rendu résumer ce que dit Amos Oz ;  je m’abstiendrai, autant que faire se peut, de discuter son point de vue ou de le critiquer vivement. Un principe talmudique nous interdit de disputer avec un lion mort. Car il n’est plus là pour se répliquer et se défendre.
Le conférencier apparaît fatigué, désillusionné, peu confiant en l’avenir de son pays, l’Etat d’Israël : le rêve sioniste a-t-il encore un avenir ? Savons-nous quel avenir nous attend, ce qu’il nous réserve ? Pour décrire l’imprévisibilité de l’être humain, il montre que ce sont les super faucons en Israël qui ont pris les décisions les plus dures et les plus inattendues. On cite les cas de Levi Eshkol et de Menahem Begin qui se sont illustrés sur ce plan…
Lorsque j’écrivais la biographie intellectuelle de Léo Baeck, le dernier grand rabbin du judaïsme allemand d’après-guerre, en effectuant mes recherches sur l’époque, je suis tombé, au hasard de mes lectures, sur une phrase de Walther Rathenau  le courageux ministre des affaires étrangères de l’éphémère République de Weimar. Albert Einstein, Kurt Blumenfeld et quelques autres avaient passé avec Rathenau presque toute une nuit afin de le convaincre de l’utilité et de l’actualité du mouvement sioniste. Et Rathenau eut cette phrase incroyable : Le sionisme est une cause embaumée.  En claie, dit-il à ses interlocuteurs : vous tentez de redonner vie à un cadavre, mort depuis des milliers d’années.
Et voici que cet homme célèbre s’est tout simplement trompé, lui qui allait tomber sous les balles d’agitateurs d’extrême droite qui lui déniaient le droit, à lui, le Juif, de parler au nom d’une République germanique intrinsèquement chrétienne. Le sionisme n’était pas mort et il a réussi sa résurrection. En revanche, l’expression cause embaumée s’appliquerait plutôt aux ennemis d’Israël… Oz n’a pas fait cette déclaration, mais il s ‘en rapproche par l’esprit. On a l’impression d’avoir affaire à des Cassandre, à une conscience malheureuse.
J’ai parlé plus haut de la perspective historique. Amos Oz souligne que nous n’avons pas le choix pour diverses raisons : nous n’avons pas d’autre terre ancestrale où l’Etat-Nation des juifs peut se déployer. Et ce n’est pas faute d’avoir tenté de trouver son bonheur ailleurs. Et de citer le cas de son propre grand’ père Alexander qui demanda l’asile à tant d’autres pays européens et qui se vit opposer une fin de non-recevoir. Cette litanie est à la fois triste et attristante. Mais certains pourraient y voir des traces de défaitisme.
Selon l’auteur, la majorité de ses concitoyens savent  qu’ils se trouvent dans une quasi impasse et que cela ne peut pas continuer ainsi. Mais, toujours selon Amos Oz, personne n’ose brandir l’étendard des mesures fortes et décisives car elles seront suivies par des troubles graves. On a l’impression que les dangers de la défaite et d’un éventuel déracinement planent toujours autant sur la tête du peuple juif réinstallé dans sa terre ancestrale.
L’auteur plaide, ce n’est pas nouveau, pour la solution à deux états. Mais la majorité, plus ou moins large, n’en veut clairement pas. Tout en envoyant parfois des signaux contradictoires. Alors, que faire ? L’écrivain avoue sa perplexité, son ignorance, et c’est là une belle marque d’honnêteté intellectuelle. Mais le problème est que ceux qui assurent la direction et la sécurité de ce pays n’effectuent u pas un simple stage, comme à l’ENA, par exemple, car s’ils venaient à se tromper nt une seule fois, ils n’auront plus droit à une seconde chance.
Aux yeux de l’auteur, si l’on veut maintenir la majorité juive dans ce pays, il faut se séparer des Arabes et rendre certains territoires peuplés par une population hostile. Cette observation est juste, frappée au coin du bon sens, mais si les premiers pionniers en avaient vraiment tenu compte, Israël n’aurait jamais vu le jour. N’oublions pas qu’au début, les juifs en Palestine mandataire étaient une infime minorité… Pour s’imposer, ils n’ont pas demandé sagement la permission, il a  bien fallu prendre des décisions. David Ben Gourion disait que le monde avance grâce à des hommes et  à des actes  audacieux…
Les pères spirituels du sionisme avaient une vision idéale, voire romantique de la réalité dans la  terre promise à Israël. C’est si frappant quand on relit l’Etat des Juifs de Th. Herzl. L’Europe lui servait de paradigme irremplaçable. Pour lui, Israël n’était autre que Vienne  ou Berlin sur le Jourdain. Aucune connaissance du sol rocailleux d’un pays désertique  laissé à l’abandon, des siècles durant. Mais aujourd’hui, le pays n’est plus le même, il est tiré d’affaire au plan économique mais au plan existentiel, qu’en est-il vraiment ?
Pae moments, je me défends mal de l’impression que chez Amos Oz, c’est le pessimisme qui l’emporte. J’espère ne pas commettre d’injustice en disant cela.
L’une des leçons à tirer de l’histoire des juifs porte sur leur patience proverbiale. Il faut savoir attendre, mais attendre tout en agissant. C’est ce qu’a fait l’Israël contemporain. Patience, persévérance, parfois jusqu’à l’entêtement et opiniâtreté. Quand on voit comment Israël est traité dans la plupart des enceintes internationales, on n’a plus envie de reprocher aux Israéliens leur manque de savoir-vivre ou leurs incivilités. C’est que personne ne veut les laisser vivre en paix.
Il faut aussi parler de la résilience des habitants de ce pays : aucun attentat, aucun boycott, aucune menace ne les a fait dévier de leur chemin.  Car eux aussi considèrent que rien n’est encore joué, que les dés ne sont pas jetés, que tant d’évènements peuvent encore se produire sur cette terre où la foi en le Dieu unique a fait ses tout premiers pas. Le destin d’Israël n’est jamais vraiment scellé, de l’époque biblique à nos jours. Maintes fois, il a frôlé la catastrophe, mais tel un phénix, il renaît de ses cendres. L’histoire juive ne ressemble à aucune autre.
Amos Oz pense qu’une certaine politique israélienne mène à la catastrophe. Il y a peu d’années je l’ai entendu  dire le plus grand mal de Benjamin Netanyahou à la télévision… Amos Oz se méfie grandement des fanatiques, c’est ce qu’il affirme dès les premiers mots de sa conférence. Ensuite, il qualifie la question palestinienne de plaie ouverte et dit : on ne soigne pas une plaie en tapant dessus avec un gourdin ou une simple matraque. Il souligne son refus d’un pacifisme bêlant. Il reconnaît même que pour survivre sur cette terre, et plus précisément dans ce territoire si disputé, il fallait faire preuve de force et de détermination. : nous sommes là grâce à la politique du gros bâton… Israël doit être fort mais il doit adapter son langage à une situation propice à l’apaisement.
Mais la thèse principale de ce texte, sa traduction dans les faits pratiques, c’est la création de deux Etats séparés. Oz ne croit pas à une vie supportable en tant que minorité juive dans un état dit binational. Selon l’auteur, il ne faudrait pas trop traîner sinon on aura un seul état avec une écrasante majorité arabe, ce qu’il refuse catégoriquement. Il est donc impensable d’annexer quelque territoire que ce soit car au bout d’un certain temps, la démographie reprendra ses droits et les juifs ne seront plus qu’une minorité dans un état arabo-musulman. Il rappelle que lorsqu’il était jeune, des villes comme Ramallah ou Nazareth avaient une majorité d’habitants chrétiens. Aujourd’hui, la majorité musulmane est écrasante et les chrétiens ont presque tous disparu. C’est une réalité statistique incontestable.
Au fond, qu’est-ce que le sionisme ? Quel est son principe de base ? Le retour, mais le retour pour quoi faire ? Et sur ce point, vous ne trouverez pas deux juifs d’accord entre eux. Or, certains religieux veulent un grand retour … en arrière, cette régression se présente à leur esprit comme la vocation essentielle du sionisme. Doit-on recréer le Shtetel, le Mellah ou Manhattan ?
Je reprends en la transformant la phrase de l’auteur : ne pas restaurer dans l’espace ce qu’on a perdu dans le temps… En Israël, le sionisme commande de créer quelque chose qui n’a encore jamais existé ailleurs ni sur place il y a des milliers d’années. Il faut le retour, mais pas le retour au passé. Il faut un retour qui ouvre des perspectives nouvelles. Sinon sionisme rime avec passéisme.
Je souhaite à ce beau volume publié chez Gallimard la plus large diffusion possible. L’auteur Amos OZ a manqué de peu le Prix Nobel de littérature,.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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