A la veille de l’ouverture officielle des JO de Rio 2016 Jforum vous décrit quelques portraits de champions juifs, souvent méconnus, qui ont marqué l’histoire de leur discipline sportive. Aujourd’hui le nageur d’Auschwitz: Alfred Nakache.
Alfred Nakache naît en 1915 dans une famille Juive de Constantine (petite Kabylie, Algérie). La famille Nakache est arrivée d’Irak au XIXe siècle dans ce site exceptionnel : dominant un cours d’eau, le Rhummel, la cité est désenclavée par des ponts modernes. La France dote alors Constantine d’établissements publics (Hôtel de Ville, palais de justice, bureau de poste) et culturels (théâtre).
Le grand-père d’Alfred Nakache, est commerçant dans le ghettode Constantine. Son père, David, directeur du Mont-de-Piété, devient veuf à la mort de la mère d’Alfred. Attaché aux valeurs républicaines – ordre, mérite – et au judaïsme, il se remarie avec sa belle-sœur Rose et a dix enfants de ses deux mariages. Alfred Nakache est le premier garçon de la fratrie d’une famille unie et sportive.
La natation, une vocation
Vers l’âge de dix ans, cet élève discret parvient à surmonter sa peur de l’eau. Mieux, il prend « le goût de l’eau », se souvint-il. Repéré pour ses aptitudes physiques, il est entraîné dans la piscine olympique par deux Français effectuant leur service militaire à Constantine. Après leur départ, Alfred Nakache poursuit seul sa formation. Cet amateurisme marque longtemps son style : « tout en puissance, peu orthodoxe ».
Alfred Nakache intègre l’Union nautique de Constantine, puis la Jeunesse nautique de Constantine dont il apprécie « l’esprit de camaraderie, de solidarité ».
La gloire des années 1930
Septembre 1931. Cet adolescent participe aux championnats d’Afrique du Nord. Première compétition. Première déconvenue : il est disqualifié pour n’avoir pas respecté son couloir !
Peu après, il remporte la Coupe de Noël de Constantine, une course de 400 mètres en mer, à Philippeville. Cette première victoire rassure le père d’Alfred Nakache qui espérait une carrière plus sûre.
Le jeune Alfred vibre au rythme des compétitions auxquelles participent des nageurs adulés, ses modèles : Jean Taris, Jacques Cartonnet…
En 1933, interne au prestigieux lycée parisien Janson de Sailly, il obtient la 2e partie de son Bac.
Membre du Racing Club de France et du Club nautique de Paris, il concourt dans les championnats de France. En 1935, il devient champion de France (100 m). Un titre qu’il conserve en 1936.
Motivé par l’enseignement, il entre à l’Ecole Normale Supérieure d’Education Physique (ENSEP).
L’antisémitisme ? Il est vivace en Algérie, exprimé notamment par les maires d’Alger (Edouard Drumont, auteur de La France juive), de Constantine, d’Oran… C’est à Constantine, la « petite Jérusalem » au sionisme fervent, que se déroule le 5 août 1934 un pogrom commis par des Algériens musulmans. Les autorités françaises réagissent avec retard. On dénombre 25 morts juifs.
En 1935, Alfred Nakache est l’un des mille sportifs juifs aux 2e Maccabiades, à Tel-Aviv. Il y gagne la médaille d’argent du 100 m nage libre (« crawl »).
Le Front populaire adopte des mesures visant à développer le sport. Alfred Nakache apprend la natation aux jeunes Parisiens.
En 1936, après avoir hésité, le Front populaire décide d’envoyer une délégation aux Jeux olympiques à Berlin, dans l’Allemagne nazie. L’équipe du relais 4x200m nage libre – Talli, Cavallero, Taris, Nakache – se classe 4e, devant l’Allemagne.
En 1937, Alfred Nakache effectue son service militaire dans un bataillon groupant des sportifs de haut niveau. Surnommé Artem, populaire, souriant, gentil, il collectionne les titres : champion de France aux 100 m et 200 nage libre, 200 m brasse, etc.
Les médias se font l’écho de la rivalité entre deux nageurs aux tempéraments opposés Nakache et Cartonnet, le sérieux de la préparation contre le désinvolte, la puissance de la nage contre un l’esthétique du style.
Alfred Nakache épouse une amie d’enfance sportive elle aussi, Paule Elbaz.
En 1939, comme ses frères Roger et Prosper, ce professeur d’éducation physique est mobilisé.
Démobilisé en juin 1940, il retrouve son épouse à Paris. Roger Nakache est mort pour la France.
« Nager pour résister » (Denis Baud)
Sous le régime de Vichy, les statuts des juifs le privent de sa nationalité française, lui interdisent l’exercice de son métier, etc.
Fuyant Paris, il se réfugie en janvier 1941 en zone libre, à Toulouse, où il rejoint le club prestigieux des Dauphins du TOEC, leur entraîneur, Alban Minville, et leur maître nageur, Jules Jany, qui deviendront ses amis. Il retrouve Jacques Cartonnet… journaliste sportif au Grand écho du Midi et qui exprime son antisémitisme.
Dans la « ville rose », Alfred Nakache se laisse convaincre par Minville qu’il progressera davantage en perfectionnant sa brasse papillon. Tous deux innovent dans la préparation sportive : analyse des photos pour mieux découvrir les points faibles des nageurs rivaux, dissociation du mouvement des bras et de celui des jambes afin de gagner en vitesse par un effort moins intense, travail sur le souffle.
Alfred et Paule Nakache gagnent leur vie en dirigeant un gymnase rue Paul-Féral.
Alfred Nakache participe aux actions de promotion de la natation organisées par le ministère des Sports dirigé par Jean Borotra, ancien joueur de tennis.
Toujours en 1941, il bat les records de France, puis d’Europe, et enfin du monde du 200 m brasse papillon en 2’36’’.
C’est dans sa ville natale que naît sa fille Annie.
Les persécutions antisémites se multiplient. Le 26 août 1942, 900 juifs sont raflés à Toulouse. Mgr Jules-Géraud Saliège proteste. Des Français s’émeuvent.
Tandis qu’une partie de la presse salue les records battus par Alfred Nakache, des journaux appellent à son exclusion de toute compétition nationale en raison de sa judéité. A Alger, devant les injures de spectateurs, Alfred Nakache ne peut concourir.
Après l’invasion de la zone sud, les menaces croissent.
Mais Alfred Nakache croit en l’avenir, bénéficie de soutiens parmi les dirigeants sportifs et ses collègues. Il se rapproche aussi de l’Armée juive, organisation sioniste dont les membres sont entraînés par lui dans son club sportif de 1941 à 1943. Nombre d’entre eux rejoindront le maquis, tandis que Jacques Cartonnet exhorte les Toulousains à entrer dans la milice.

À Toulouse, où il exerce le métier de professeur d’éducation physique dans sa salle de sport de la rue Philippe-Féral, il est dénoncé et arrêté en décembre 1943 avec sa femme Paule, une basketteuse de 28 ans, et leur fille Annie, âgée de deux ans.

Déportés, ils arrivent à Auschwitz par le sinistre convoi 66 dans la nuit du 22 au 23 janvier 1944. Alfred Nakache est séparé de sa femme et de sa fille ; il ne les reverra jamais.

Au camp, «Artem», comme on le surnomme, est affecté à l’infirmerie comme kiné. Il est placé avec d’autres sportifs de haut niveau que les Allemands utilisent comme faire-valoir. Pour se distraire, les nazis l’obligent à nager dans les bassins de rétention d’eau du camp. L’eau est glaciale et saumâtre.

Mais Alfred, amaigri, affaibli, nage, multiplie les longueurs, comme un poing brandi à la face de ses bourreaux. Ludion des officiers des camps, il plonge pour récupérer les objets que lui lancent les gardes SS. Le matricule 172763 s’accroche aussi au mince espoir de retrouver sa femme et sa fille vivantes.

Il en parle notamment avec l’écrivain Primo Lévi, interné en même temps que lui.

À Auschwitz, Alfred Nakache survit jusqu’à la libération du camp, le 27 janvier 1945. «Il était d’une constitution très robuste» se souvient sa nièce, Yvette Benayoun-Nakache. Il survit même à la «Marche de la mort», ce convoi de prisonniers qui partit à pied à la veille de l’arrivée des troupes soviétiques.

Revenu au printemps à Toulouse où on le croyait mort (hommage lui avait même été rendu en baptisant la piscine de son nom), Nakache est un homme brisé.

C’est l’ancien président du TFC, Marcel Delsol, alors médecin à la Croix Rouge, qui le porte sur ses épaules à la sortie du train.

Dévasté par la mort de sa femme et de sa fille (lire par ailleurs), il reste prostré plusieurs jours. Mais cet extraordinaire combattant revient au premier plan de la natation : à nouveau champion de France, il participe au record du monde du 3X100 mètres 3 nages puis aux JO de 1948.

«Il était toujours de bonne humeur, raconte sa nièce. Parfois, pendant les repas de famille, on sentait qu’il était triste.

Il s’isolait alors quelques instants avant de revenir. Et ça repartait…» Il refait sa vie, épouse Marie et part vivre à Sète, où il est inhumé. «Tous les ans il nous invitait dans sa petite maison de pêcheur, face à la mer, raconte Yvette. Il était très joyeux.

Il allait dans le cagibi, sortait toutes ses médailles et nous les distribuait.» Alfred Nakache n’est pas mort dans un bassin d’eau croupie à Auschwitz mais dans le port de Cerbère, où il avait l’habitude de nager, d’une crise cardiaque. C’était en 1983, il avait 67 ans.

En 1997, Yvette Benayoun-Nakache retrouve fortuitement le doudou d’Annie, la fille d’Alfred Nakache. Ce petit chien en peluche avait été conservé pendant plus de cinquante ans par Simone Foulon, une assistante maternelle.

Derrière son oreille est accroché un petit mot rédigé par Mme Foulon : «J’étais le compagnon d’Annie Nakache, enterrée vivante par les Allemands, sa maman brûlée à Dachau».

De retour de captivité, Alfred Nakache se rendait tous les jours à la gare Matabiau, dans l’espoir de les retrouver. Un jour il reçut une lettre l’informant que sa femme et sa fille avaient été exterminées.

«Je ne l’ai jamais entendu dire Dieu n’existe pas mais il a dû se poser la question» confie sa nièce Yvette.

www.veroniquechemla.info

source

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

11 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
GUEDJ

Les piscines Nakache
En hommage à son histoire, de nombreuses piscines françaises portent le nom d’Alfred Nakache. C’est le cas à Toulouse, naturellement, Montpellier, Nancy et Paris dans le 20 ème, en souvenir, également, aux nombreux déportés juifs du quartier de Belleville, durant la derniière guerre.
Israël s’est limité à l’attribution du trophée du  » Grand Exemple », en souvenr d’Alfred Nakache,et une tentative de faire porter son nom aux installations nautiques du célèbre complexe sportif de Ramat Gan, fief des Maccabiades, ,s’est heurté à des impératifs de sponsoring…
Marc Guedj

GUEDJ

Le nageur d’Auschwitz
Il s’agit du nom du documentaire de 51 minutes, réalisé sur la vie d’Alfred Nakache. Le réalisateur Meunier a mis l’accent, entre autres, sur le grand soutien dont a bénéficié Alfred Nakache au sein du club toulouasain le TOEC ,ce que m’a d’ailleurs confirmé le regretté champion Alex Jany.
Le frère cadet d’Alfred, il me semble, Robert, également professeur d’éducation physique , a été l’animateur hos-pair du club de basket, ASPPTT de constantine, fierté de la comunauté juive locale.
Marc Guedj

GUEDJ

Quel merveilleux récit !
Comme de nombreux lecteurs de J FORUM j’ai été bouleversé par ce récit ,de grande qualité, sur la vie d’Alfred Nakache. Je voudrai féliciter vivement l’auteur. Qui est-il ? En effet, un documentaire ,diffusé à la télévisin, il y a quelques années, réalisé par ..Meunier retrrace cet itinéraire, hors du communn qui fait la fierté de tous les juifs constantinois et d’autres, j’espère… Je fais des recherches pour vous donner plus de précisions sur ce documentaire.
Marc Guedj..
Marc Guedj

Nakache marc

bonjour, j’ai des éléments concernant la famille NAKACHE d’ou je viens , il semblerait que cette branche dont je suis issu, était déjà présente à Constantine au milieu du 18° siècle ( NISSIM 1760 env. )

Joelle Bahloul

Un excellent documentaire a été produit il y a plusieurs années sur Nakache Il faut le voir et le promouvoir.

Miraël

Quelle histoire bouleversante.

rikynaky

ça me touche et me bouleverse en même temps car ce grand monsieur était un grand oncle à moi et même si je ne l’ai pas connu personnellement, mes parents (famille NAKACHE père et mère les 2 grandes familles NAKACHE se sont épousées ;)) m’en parlait souvent mais je connaissais mal son histoire. Merci pour ces recherches et pour les précisions. C’était un grand champion!!

Myriam Nakache Eleb

Bonjour rikynaky,
Je suis une des nièces d’Alfred Nakache . J’ai commencé il y a quelques années un travail de généalogie sur la famille Nakache. Pouvez vous me donner votre contact mail par message privé sur facebook afin que nous puissions échanger sur nos familles respectives. Je vous en remercie d’avance. Myriam Nakache Eleb

rikynaky

avec plaisir 🙂

Michèle Graindorge

Bonjour Joël .
Je suis issue d’une branche de la famille d’Alfred Nakache . Ma mère était une petite cousine. Je me souviens l’avoir rencontré au CREPS Lespinet de Toulouse ainsi qu’un de ses neveux Robert également professer d’éducation physique … je suis surprise que vous ayez trouvé l’origine des familles Nakache en Irak. Serait il possible que nous en discutions par mail ou autre ?
Vous pouvez me contacter en privé sur facebook . Bien à vous . Michèle Graindorge. Beaumont de Lomagne 82500