1933-1938 

Aider les Juifs dans le régime de terreur nazi. 

Ces quelques citations d’historiens reconnus examinent la problématique sans que ce soit en aucune façon une remise en cause des responsabilités de la population allemande. 

Par ©Marc-André Charguéraud

Ceux qui minimisent les risques pris par les Allemands qui défendaient les Juifs ou les aidaient devraient lire les commentaires de quelques historiens renommés à ce sujet, et réfléchir à ce passage de Mein Kampf où Hitler déclare : « L’avenir du mouvement est conditionné par lefanatisme et l’intolérance que ses adeptes apportent à le considérer comme le seul mouvement juste, très supérieur à toutes les combinaisons de même ordre. »[1]Sarah Gordon écrivait à ce propos : « Les Allemands qui n’étaient pas d’accord avec les politiques radicales de Hitler ont été progressivement identifiés et terrorisés. Ils devinrent des exemples pour leurs familles, leurs amis et leurs voisins. Ainsi Hitler utilisa-t-il la persécution des Juifs pour terroriser la population en général. »[2]

Ian Kershaw lui fait écho et précise : « Le régime nazi était une dictature terroriste et dans le sens littéral du terme, un régime terrifiant qui ne connaissait aucune limite dans la répression de ceux qui étaient considérés comme des ennemis, gardez le silence ou vous irez à Dachau».[3]Friedrich Zipfel explique les énormes dangers que ceux qui prenaient la défense des Juifs devaient braver : « On peut esquiver le danger si on en est conscient, mais une police travaillant dans l’ombre devient insaisissable. Personne ne se sent protégé d’elle. Bien qu’elle ne soit pas omniprésente, elle peut apparaître, perquisitionner, arrêter à tout moment. Le citoyen inquiet ne sait plus à qui se fier. »[4]

Nora Levin, expliquant la rareté des résistances, rappelle les lourdes menaces qui planaient sur les éventuels opposants : « Du fait de l’emprisonnement, du meurtre ou du départ de l’essentiel des forces antinazies en Allemagne, toute expression de résistance aux nazis était non seulement rare, mais mettait la vie en danger… Les enfants dans les familles antinazies étaient particulièrement vulnérables. »[5] Et Karl Jaspers, plus brutal, d’ajouter : « L’Allemagne sous le régime nazi était une prison. Ce fut une erreur politique de s’y laisser enfermer. Mais toutes les portes closes, il fut impossible de s’en évader. »[6]

On peut conclure en citant à nouveau Sarah Gordon : « Lorsque les citoyens permettent à leur liberté, qu’elle soit politique, économique, religieuse, sociale ou intellectuelle, de succomber, victime de l’état ou d’un mouvement politique, ils ne peuvent espérer se défendre eux-mêmes et encore moins protéger les Juifs ou toute autre minorité. »[7] Rien n’empêche le parti de décider d’un internement, même si un jugement a prononcé l’acquittement. Quant à la libération, elle dépend du commandement du camp d’internement qui décide du moment où le prisonnier a terminé sa « rééducation » et peut être rendu à la vie civile[8][8]. La porte est ouverte à tous les abus et la victime est à l’entière merci de ses tourmenteurs.

 Comme le déclarait le Rabbin Léo Baeck, qui devint en septembre 1933 le président de la représentation pour le Reich des Juifs allemands : « Le jour du boycott a été le jour de l’histoire de la plus grande lâcheté. Sans cette lâcheté tout ce qui suivit n’aurait pas eu lieu. »[9] On ne pouvait imaginer ce qui allait suivre. L’histoire est un perpétuel recommencement, elle engendre les plus grandes catastrophes politiques et militaires à partir d’incidents qui auraient pu être jugulés sans peine au départ. Encore fallait-il en avoir conscience.

 

©Marc-André Charguéraud

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[1]] Adolf Hitler, Mein Kampf , Nouvelles Editions latines.. p. 349

[2] Sarah Gordon, Hitler, Germans and the Jewish Question, Princeton University Press, 1984, p. 134, voir aussi p. 302 et 303 sur le même sujet

[3] Ian Kershaw, The Nazi Dictatorship, Problems and Perspective of Interpretation, Edward Arnold. Londres 1993.

[4] Friedrich Zipfel, Gestapo und Sicherheitsdienst, cité par Robert Gellately, The Gestapo and German Society : Enforcing Racial Policy , 1933-1945, Oxford University Press , New York  1990. p. 129

[5] Nora Levin, The Holocaust Years, The Nazi Destruction of European Jewry, 1933-1945, Robert  Krieger,   Malabar Florida, 1990. p. 142.

[6] Karl Jaspers, La Culpabilité Allemande, Paris 1948, Cité par Michael Marrus, L’Holocauste dans l’Histoire, L’Holocauste dans l’histoire, Paris, Editions Eshel, Genève, Georg éditeur, 1990.  p.92

[7] Sarah Gordon, op. cit. p. 315

[8][8] Il s’agit de camps de travail et de « rééducation », où la discipline est certes très sévère mais qui ne peuvent être comparés aux camps d’extermination qui séviront pendant la guerre. On peut y survivre, malgré l’arbitraire odieux qui y règne.

[9] Léonard Baker, Days of Sorrow and Pain, Leo Baeck and the Berlin Jews,  MacMillan, New York, 1978. p.156, citant Léo Baeck

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Élie de Paris

Il faut lire à ce sujet le goncourt 2017,malheureusement chez acte sud, L’ordre du jour, d’Eric Vuillard…
On y voit, encore, une autre facette, de la machinerie nazie et sa genèse, qui laisse le lecteur essoufflé.
Quelque chose d’irrationnel et irrésistible.
Les grands acteurs, trusts et géants de l’industrie ont toujours pignon sur rue, ce jour même, sous nos yeux.
Vous avez sûrement un de leurs produits chez vous.
Vous roulez dedans…
Ça se lit en 2 heures, mais fait cogiter longtemps…