A propos d’une pauvre petite bougie…

Un ami très cher, directeur de recherches au CNRS ,vient de m’appeler, après des années d’absence. Il voulait savoir ce que je pense, en tant que spécialiste des études allemandes et juives, de cette fameuse bougie qui a été allumée dans le palais présidentiel. Mon collègue, philosophe connu et grand traducteur d’Aristote ,n’a pas eu ce réflexe presque pavlovien de cette cohorte de journalistes, criant au scandale… Nous savons qu’il faut tout simplifier pour être compris dans la presse, mais que cela plaise ou non, il existe des notions qui imposent une attention redoublée et une connaissance solide de cultures anciennes ou qui ne sont pas du tout les nôtres.

Comment avoir «profané» ce qui semble être le temple de la laïcité française, la présidence de la République?

Toute la question est de savoir si cette bouge renvoie à un quelconque symbolisme religieux.

Si on répond à la question par l’affirmative, alors le problème se pose même si, à mes yeux, cela ne serait pas choquant. Après tout, aux USA, le président, quel qu’il soit, reçoit les dignitaires juifs, chrétiens et musulmans, à l’occasion d’une fête des personnalités concernées. Mais en France, il en va autrement. Et je m’en accommode plutôt bien.

Bien des gens ignorent que les valeurs actuelles de nos sociétés sont des valeurs originellement religieuses laïcisées: le respect des personnes âgées, la solidarités humaine entre les générations, la protection de la vie humaine, etc… C’est Carl qui a attiré l’attention sur cette Théologie politique. Il ne faut pas s’imaginer que de telles problématiques soient simples.

Mais revenons à la question ; cet allumage de bougie est-il intrinsèquement religieux ou avons-nous affaire à un symbolisme d’un tout autre ordre ? En fait cette bougie est effectivement reliée à un passé national juif ; mais quand l’État juif de l’Antiquité fut vaincu et détruit par les légions romaines, seule a survécu à la catastrophe l’institution sacerdotale. Pa conséquent, tout ce qu’elle a fait, notamment autour du Temple de Jérusalem était frappé du sceau du religieux, voire du sacré, même si, à cette époque là, on ne traçait pas comme aujourd’hui de ligne-frontière stricte entre le religieux, d’une part, et le profane ou le laïc, d’autre part.

Contrairement aux grandes solennités juives, la célébration de hannoukka (inauguration d’un temple nettoyé de toute scorie idolâtre) n’est pas de fondation biblique : ce sont des hommes qui ont pris les choses en main et voulu immortaliser ce souvenir qui s’est gravé dans la conscience juive depuis lors. Et comme il s’agissait de la profanation du temple au cours du IIe siècle avant l’ère chrétienne, l’esprit même de cette commémoration est empreint de religiosité. La réponse à la question est nécessairement duale ou ambiguë . Depuis la destruction du temple, tout, absolument tout, fut enrobé d’un voile religieux. Le contexte devait être mis en relation avec la divinité, censée avoir prévu et tout organisé. La Bible elle-même procède à une lecture théologique de l’histoire. A ses yeux, même la vérité est religieuse… Mais il est difficile de faire comprendre cela au fidèle moyen qui devrait alors avoir au préalable longuement étudié la science des religions comparées.

Toute cérémonie qui touche à la religion prévoit des prières ou des Psaumes pour accompagner l’événement. Et dans ce cas précis, si des prières ont été prononcées lors de l’allumage de la bougie (le total des bougies est de huit), alors l’épisode est religieux … Mais cette confusion n’a rien d’extraordinaire puisque ces mêmes cultures ne séparent pas les choses comme nous le faisons

Pour comprendre ces relations entre le religieux et ce qui ne l’est pas, il faut s’en référer à la philologie : tant en hébreu qu’en arabe ou en araméen, il n’existe pas a priori de terme propre pour désigner ce qui est laïc. L’hébreu a choisi le terme qui signifie le profane (hol), tandis que les chrétiens d’Orient ont introduit dans la langue arabe un terme précis pour dire ce qui est de ce monde ci  (alamani); l’hébreu comme l’arabe n’avaient pas, à l’origine, de terme pour laïc. Ils consentent à séparer le sacré de ce qui ne l’est pas… Ce qui nous conduirait bien plus loin.

C’est Moïse Mendelssohn, le grand père du virtuose Félix qui, peu avant de mourir, a théorisé la séparation entre le laïc (profane) et le religieux en écrivant l’ouvrage suivant en 1783 : Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme. Il a tenté de montrer que tout ce qui est juif n’est pas exclusivement de nature religieuse. Mais il ne fut pas suivi par la majorité des penseurs juifs.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

Maurice-Ruben HAYOUN. (hayounmauriceruben@gmail.com)

CYCLE DE CONFÉRENCES *

Jeudi 14 décembre
Existe-t-il une vérité religieuse  ?

Jeudi 1er février 2024
L’idée religieuse du sacrifice : un plaidoyer en faveur du martyr ?

Jeudi. 19 mai
Sören Kierkegaard et la «suspension de l’éthique»

Jeudi 13 juin
Un champion du dialogue interreligieux : André Chouraqui

Entrée libre. Salle des mariages.
Pour tout renseignement contacter hayoun.raymonde@wanadoo.fr ou le 0611342874

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o.icaros

Autant que je sache, la Hanouka n’est pas une fête religieuse tirant son origine dans la tradition biblique. Il s’agit d’une victoire historique, la victoire du judaïsme sur l’hellénisme, la victoire des Macchabées sur les épigones d’Alexandre. Macron avait 365 jours pour recevoir les rabbins, en général, et Korsia en particulier, mais lui, rabbin de cour, il a son rond de serviette à la cour royale. Pourquoi Macron a-t-il choisi ce jour-là et pourquoi a-t-il fait ce mixage avec les rabbins? Une demande de Korsia pour se montrer? On pourrait aussi fêter la victoire de Marathon, la victoire des Grecs contre les Perses voire des victoires teutonique, picte ou dace! Le problème de Macron, malgré sa logorrhée envahissante (le suffixe -rrhée indique un écoulement comme dans gonorrhée, blennorrhée, diarrhée etc.) n’a aucune intuition, il ne sent pas les choses et, malgré ses grands airs d’aristocrate, qu’il n’est pas, il ne connaît pas les codes. Il gère le présent et montre sa grandeur beaucoup et partout mais sans aucune vision du futur. Il aurait pu fêter la Hanouka à l’Elysée mais sans les rabbins et les prières. Cela démontre qu’il n’est pas très intelligent sa dernière initiative irrite toutes les autres « communautés » qui vont encore dire… ce que vous savez et qu’il est inutile d’écrire.

Adam

On se demande tout d’abord ce qu’à fait Macron pour mériter et recevoir le prix pour la lutte contre l’antisémitisme décerné par les rabbins européens. Ce ne peut être VIGIPIRATE devant les synagogues, qui n’est qu’un acte de protection de FRANCAIS de confession juive. Vus ses mouvement de girouette depuis le 7 octobre, je crains que ce soit un prix de circonstance pour s’attirer les grâces du président. Certes Macron n’est pas antisémite, mais on peut douter qu’il soit vraiment philosémite;

Sincèrement, on pouvait s’en passer de cet allumage.

OHANA

Beaucoup de discours pour une maladresse inexplicable et inexcusable qui n’aura pour effet que de souffler sur le brasier de l’antisémitisme qui se propage en France. Sauf si l’objectif est que la flamme de cette bougie propage l’incendie qui menace. L’incompréhension est totale chez les juifs de France. Toutes les confessions sont. légitimement choquées. Qui manipule qui? Rabbin Démission. (Et président AUSSI).

djindji

Je sais je vais choquer mais tant pis. Pour moi Hanoucca c’est une victoire militaire : les Hébreux contre les Grecs. Bonne fin de fêtes.