En décembre, un jeune Tunisien s’immolait, déclenchant la plus grande révolte du XXIe siècle. Deux dictateurs ont chuté et, partout, les autocrates sont ébranlés.

REPÈRES

Pourquoi le Printemps arabe a-t-il éclaté en Tunisie ?

« Parce que terrain était prêt et qu’il suffisait d’une étincelle ! », répond le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales. Deux facteurs avaient fini par rendre insupportable le régime de Ben Ali.

D’abord l’économie, qui se détraquait malgré une croissance à 4 ou 5 % l’an. La libéralisation avait profité à la Tunisie côtière et touristique. Mais, au lieu d’être réinvestis et de générer assez d’emploi, les profits étaient captés par un système au sommet duquel trônait le clan Ben Ali. La Tunisie de l’intérieur ne voyait que l’envers, le démantèlement du « socialisme arabe » : moins d’emplois publics, moins de produits subventionnés.

Second facteur, l’éducation : la seule success story du régime a fini par se retourner contre lui, en fabriquant des cohortes de diplômés chômeurs. Cette génération s’est reconnue en Mohammed Bouazizi, 27 ans, le vendeur de Sidi Bouzid qui a déclenché la révolte en s’immolant par le feu.

Pourquoi la révolte a-t-elle embrasé tout le monde arabe ?

Parce que les mêmes ingrédients se retrouvaient partout.

Des dirigeants usés et corrompus : Ben Ali, 74 ans dont vingt-trois au pouvoir, Moubarak, 82 ans dont trente de présidence… Quant aux plus jeunes, le Syrien Assad, le Marocain Mohammed VI, le Jordanien Abdallah II, ils ont succédé à leur père à la tête de régimes sclérosés. Une jeunesse abondante et lasse : plus de la moitié des Libyens et des Yéménites n’ont connu que Kadhafi et Saleh.

L’abolition des frontières : la chaîne satellitaire Al-Jazira, qui donne la parole aux oppositions, puis Internet et des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter ont façonné une opinion publique arabe autonome et informée de la marche du monde.

Ce n’est donc pas un hasard si les mêmes mots d’ordre — « liberté », « dignité » — ont couru de Tanger à Sanaa. « Les dirigeants arabes avaient perdu le monopole de la vision du monde. Ils n’ont pas perçu ces changements par le bas », observe Fahrad Khosrokhavar. Moubarak, Assad et les autres sont des dinosaures dans un changement de climat.

Six mois après, l’élan semble brisé…

Trois semaines de soulèvement ont fait tomber le Tunisien Ben Ali, le 14 janvier, puis l’Égyptien Moubarak, le 11 février. L’effet domino s’est arrêté là. Les autres dirigeants semblent avoir tiré des leçons. Les monarques ont joué la réforme, réelle ou cosmétique, en changeant de gouvernement (Jordanie, Koweit) ou en lançant une révision constitutionnelle (Maroc). Les pétromonarchies du Golfe ont sorti leur chéquier : Abdallah d’Arabie a promis 70 milliards de dollars d’emplois publics, d’allocations, etc.

Les pouvoirs irréformables, parce que confisqués par une minorité tribale ou confessionnelle, jouent la répression à outrance. Mais, sitôt levé l’état d’urgence, 10 000 personnes étaient dans la rue à Bahreïn et la répression en Syrie n’est pas venue à bout des manifestants. La fin de la partie n’est écrite nulle part, y compris en Tunisie et en Égypte, où la relève politique peine à se dessiner et l’économie à redémarrer. La situation rappelle moins l’effondrement du bloc communiste en 1989, que le Printemps des peuples de 1848, qui accoucha de la IIe République en France… mais déboucha sur une réaction implacable ailleurs en Europe.

Le Printemps est-il terminé ?

Probablement pas. « Ce qui s’est passé n’est pas un phénomène superficiel, c’est un changement en profondeur dans les sociétés arabes et les régimes vont devoir en tenir compte, analyse Farhad Khosrokhavar. Je doute que la monarchie de l’Arabie Saoudite, où la société civile n’est qu’embryonnaire, pourra encore acheter les gens comme cela dans dix ans. »

Les régimes arabes, observe le sociologue, s’étaient construits sur la négation de l’individu : Nasser et ses héritiers libyens ou algériens l’avaient sacrifié sur l’autel de la nation, et concevaient la démocratie comme une supercherie destinée à aliéner les Arabes ; les islamistes ne jurent que par l’oumma (la communauté) et voient dans la démocratie le dernier avatar du sécularisme. « Ce qui est frappant dans ces révolutions, c’est l’indigénisation de l’aspiration démocratique, souligne Khosrokhavar. Elle n’est plus perçue comme une importation occidentale, mais comme une aspiration au ras des pâquerettes. Cela, c’est irréversible. »

Bruno RIPOCHE

Ouest-France.fr

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Armand Maruani

Un pays musulman est inspiré par le coran . La démocratie favorisera la montée de l’intégrisme qui agira au grand jour. Si les citoyens issus des révoltes ne trouvent pas de travail et n’ont pas de quoi manger , ils tomberont dans la nasse . Et tout est à recommencer. Pourquoi aller chercher si loin ? Et en France qu’est ce qui se passe? Nous ne sommes pas un pays musulman , mais les muzz utilisent la démocratie pour imposer leur dictature . Et ce qui est grâve , ils utilisent certains partis politiques (verts , gauche , NPD , ONG , associations contre le racisme etc…) naïfs , racistes et dangereux , qu’au fond (les muzz) ils m’éprisent. Conclusion : Je n’y crois pas à ces révolutions arabes . La seule révolution serait qu’ils modifient entièrement le coran , manuel qui autorise le crime contre ceux qui ne partagent pas leurs idéaux.