Le néo-nazi norvégien Kristian dit « Varg » Vikernes a été arrêté en France après avoir proféré des menaces à propos de l’accident de train de Brétigny-sur-Orge. Cette arrestation est significative quant à la prudence des autorités françaises vis-à-vis des néo-nazis. Une des raisons de leur faible présence, selon Nicolas Lebourg, historien des extrêmes-droites, qui retrace leur implantation sur le territoire.Le musicien norvégien Kristian Vikernes a été arrêté en France, Manuel Valls exposant que l’artiste de « National Socialist Black Metal » (NBSM) est soupçonné d’avoir préparé une action terroriste.

Si l’existence de ce type de scène politico-musicale est méconnue du grand public, elle participe internationalement aux renouvellements de l’extrême-droite radicale depuis plusieurs décennies. Par ailleurs, ce fait rappelle l’existence d’un underground radical qu’on tend à mésestimer. Et ce malgré un rôle moins marginal que son absence d’accès aux médias mainstream ne peut le laisser penser.

L’influence américaine

Quoique l’artiste en question soit norvégien, le néo-nazisme et la musique néo-nazie sont sous l’influence étasunienne.

Dès les années 1950 apparaissent aux États-Unis des groupuscules qui font référence au nazisme, mais dont l’idéologie est surtout une radicalisation du suprématisme blanc – concept impensable dans le nazisme, où les Slaves, par exemple, quoique blancs, étaient considérés comme inférieurs aux Aryens.

De plus, ces néonazis modernisent leur idéologie par des emprunts au satanisme, à l’ésotérisme et au paganisme, phénomène que l’on retrouve dans le NSBM et chez Vikernes.

Après 1968, les néo-nazis américains tentent d’opérer la jonction avec le fourmillement de contre-cultures connu dans leur pays. Le leader néo-nazi du groupe National Alliance, William Pierce, est très conscient de la nécessité d’aborder de nouveaux modes de communication. Il est ainsi l’auteur en 1978 de la bible du néo-nazisme international, le roman « Turner diaries » qui inspira aussi bien l’attentat d’Oklahoma City en 1995 qu’Anders Breivik, compatriote de Vikernes.

En effet, la violence est également devenue une constante de ce milieu, en particulier avec la création de la cellule terroriste The Order en 1983.

Infiltrer les musiques radicales pour recruter

Au niveau musical, c’est le groupe RAHOWA (pour Racial Holy War) qui retient l’attention. En 1994, il crée sa maison de disque, Resistance records, dont la production est exportée dans toute l’Europe, et un journal, Resistance, qui est à l’origine de l’essor de l’acronyme ZOG (Zionist Occupation Government), le « gouvernement d’occupation sioniste » qui serait le gouvernement caché – c’est en dénonçant le fait que Jacques Chirac soit un « agent de ZOG » que le skinhead Maxime Brunerie avait justifié sa tentative d’assassinat du président de la République en 2002.

Face à ZOG, il appelle au passage au terrorisme, s’inspirant pour cela des « Turner diaries ». Le label est finalement racheté par la National Alliance qui le redirige vers le black metal, mais c’est toujours la même visée qui est à l’œuvre.

Resistance a en effet eu pour originalité de renouveler l’approche du rapport musique-politique en arguant que la première devait amener des personnes a priori non racistes à s’engager politiquement auprès de la mouvance, et non seulement consolider des convictions d’auditeurs déjà conquis.

Si ce groupe projette ensuite si fortement son ombre sur le cadre français, c’est que l’hexagone est musicalement dominée par les modèles anglo-saxons. S’y ajoute d’ailleurs ici l’influence jamais démentie du nationalisme radical italien sur le Français, or les néo-fascistes italiens du groupe Janus produisent un hard rock militant dès les années 1970. Ainsi, internationalement, les mouvements d’extrême-droite se sont mis à développer une action à l’égard les musiques radicales afin de les affilier à leur idéologie.

Sans parler systématiquement d’une volonté « gramciste » d’agir culturellement, on ne peut que constater la capacité de jonction entre culture politique et musique pour agir sur les consciences, et notamment des plus jeunes. Tous les styles et mouvements musicaux violents, noirs, satanistes, radicaux, hardcore, véhiculant une imagerie de rupture avec les normes sociales et culturelles, sont autant de cadres de pénétration des activistes.

Agréger des publics peu engagés

L’éclosion du gansta rap amène à l’affirmation d’une polarisation rock blanc/rap noir qui est un axe d’attaque efficace pour pénétrer les consciences identitaires des amateurs de musique. C’est en ce sens où le metal, et notamment le black metal, a constitué un élément performant d’agit-prop.

En France, ce sont les nationalistes-révolutionnaires de Nouvelle Résistance qui furent les premiers réellement engagés dans l’indus et le black metal, scènes qui avaient été repérées par la Nouvelle droite ethno-régionaliste sans que celle-ci soit capable d’aller plus loin que la notation du phénomène.

Nouvelle Résistance produit un fanzine indépendant, « Napalm Rock », consacré aux musiques metal, et « Lutte du Peuple », l’organe officiel, se penche aussi avec intérêt sur les potentialités politiques du mouvement techno,

Une page entière est dédiée à la musique dans « Lutte du peuple », traitant certes des musiques indus et metal d’extrême-droite, mais, d’une part, en y mettant en valeur ce qui relève de l’ésotérisme et du néo-paganisme, d’autre part en usant d’un titre, « Bruits européens », qui est une référence directe, mais plus politiquement correcte, au britannique « White Noise ».

En somme, la rubrique musicale a aussi pour fonction d’agréger des publics non concernés politiquement officiellement, mais ciblés culturellement. Le premier article dédié au metal est intitulé « heavy metal et spiritualité européenne », tandis que la techno est ici envisagée comme mouvement et celui-ci tel un phénomène communautariste blanc (on écrit « européen ») de révolte contre le monde moderne.

Cette dimension intensifie la conception ethno-culturelle de l’identité européenne, ce qui explique, comme l’expose le politologue Stéphane François, comment le néo-nazisme de Vikernes avait évolué ces dernières années vers un ethno-régionalisme européen radical.

Pas d’afflux militant en France

Si le passage par une musique de niche sociale mais potentiellement mainstream est en-soi une stratégie pertinente, elle n’implique pas en France un afflux militant. Le pays n’a pas connu de groupe néo-nazi réellement étoffé depuis la disparition du Parti nationaliste français et européen à la fin des années 1990, disparition pour partie provoquée par la répression consécutive à de multiples violences, y compris à caractère terroriste.

En outre, les militants sont exogènes au phénomène même de techno radicale de droite : les gabberskins et les makineros qui se multiplient autour de l’an 2000 sont aussi déconnectés des formations politiques que pouvaient l’être les skinheads français au début des années 1980.

De plus, les groupes politico-musicaux s’avèrent être des transmetteurs et non des révolutionnaires. Ils investissent des formes artistiques préexistantes, mais ne cherchent pas à subvertir les canons artistiques en inventant un art nouveau préfiguration de l’ordre nouveau qu’ils affirment rêver.

Voulant être populaires, ils inscrivent leurs morceaux sur des segments propagandistes et idéologiques (lutte contre l’immigration, pessimisme actif, etc.), et non dans la transmission d’un corps doctrinal. Ils édifient plus une subculture qu’une vision du monde.

Militants dévoués en temps et en énergie, révolutionnaires guidés par leurs aspirations à la liquidation du libéralisme, ils ne constituent donc pas d' »avant-gardes » intégralement révolutionnaires (c’est-à-dire déconstruisant le système politique à travers ses structures culturelles, l’œuvre d’art étant un signe subvertissant l’ordre moral et juridique bourgeois), telles que connues jadis en Italie ou en Russie.

Des autorités prévoyantes

Enfin, la stratégie de jonction des marges peut apporter de sévères contre-coups.

En 1993, « Resistance » et son label intègrent le paysage nationaliste français, tandis que les thématiques et vocabulaires étasuniens se diffusent amplement via le net.

Le NSBM est importé par le chapitre français des Hammer Skins, un mouvement né en 1986 à Dallas : les Charlemagne Hammer Skins (en référence à la division S.S. française baptisée Charlemagne). Il publie un skinzine dénonçant le Front national comme « le dernier bastion de la juiverie française », titrant « Mort à ZOG ! », etc. Mais son leader est arrêté fin 1997 pour des menaces de mort adressées à des personnalités juives.

Quelques semaines après, les polices anglaises et françaises effectuent un coup de filet dans les Hammers skins, ceux-ci s’étant fait remarquer entre autres par la mise en-ligne du mode de création de bombes et par des profanations de sépultures. Un cadavre avait ainsi été vigoureusement profané au cimetière de Toulon par des NSBM.

De fil en aiguille, cela avait entraîné divers articles de presse à l’encontre de l’organisation Nouvelle Résistance. C’est là, bien sûr, une contre-publicité terrible pour un mouvement politique.


Néonazi interpellé: le voisinage est sous le… par BFMTV

Manifestement, le ministre de l’Intérieur a estimé qu’il disposait de suffisamment d’éléments pour craindre un passage à la violence de Vikernes. Outre les éléments factuels que nous ignorons à cette heure, c’est en tous cas bien en fonction de l’histoire particulière de cet espace politico-artistique qu’il a pu considérer qu’il fallait faire montre de prudence et prévoyance.

Nicolas Lebourg/ Le plus Nouvel Obs Article original

Édité par Mélissa Bounoua Auteur parrainé par Mael Thierry

TAGS: France Hammer Skins Néo Nazis NSBM Vikernes

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