Le Chambon-sur-Lignon se souvient de son passé résistant

Cette petite commune de Haute-Loire a inauguré lundi un lieu destiné à rappeler le sauvetage par les habitants du plateau de près de 1000 Juifs pendant la Seconde guerre mondiale.Lundi, la commune du Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, a inauguré son tout nouveau «lieu de mémoire».

Destiné à rappeler à ses visiteurs l’histoire atypique de ce plateau perché à 1000 mètre d’altitude à l’entrée des Cévennes pendant la Seconde guerre mondiale, cet endroit vise à entretenir la mémoire de cet épisode marquant de la Résistance française.

À l’origine de ce projet, la commune du Chambon-sur-Lignon, portée par sa maire, Eliane Wauquiez-Motte, la mère de l’ex-ministre:

«Au moment où la tradition orale s’évanouit peu à peu, nous nous devions de préserver l’histoire de ce passé exceptionnel pour le transmettre aux jeunes générations».

Un projet qui ne s’est pas imposé aux yeux de tous à ses débuts:

«Il y a eu des réticences dans le village, les habitants ne voyaient pas la nécessité d’un lieu de mémoire».

Et pourtant, son objectif est louable: «C’est un lieu où la mémoire des petites gens va être portée», détaille Olivier Lalieu, historien, responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des projets externes du Mémorial de la Shoah.

«Il présente le parcours de ceux qui ont été sauvés mais aussi des sauveurs, ainsi que ceux qui ont été actifs par les organisations et les participants aux résistances civiles et armées».

Ce «lieu de mémoire», constitué de deux endroits phares, s’apparentera davantage à un monument voulant rendre hommage à «ce village un peu perdu» qui «n’avait pas vocation à devenir le lieu d’habitation de modestes héros».

Tout d’abord, le bâtiment principal, où les visiteurs pourront suivre un parcours qui met surtout en valeur archives personnelles et témoignages des acteurs de l’histoire, dont des films amateurs tournés par Roger Darcissac, Juste parmi les nations.

«Nous sommes d’autant plus fiers que les documents présentés sont, pour la moitié, exposés au public pour la première fois», explique Eliane Wauquiez-Motte.

La deuxième partie de la visite conduira les visiteurs dans un «jardin de sérénité», parcelle de 800m² dessinée par le paysagiste Louis Benech et offert par un mécène en mémoire de sa mère, sauvée et accueillie au Chambon-sur-Lignon pendant la guerre. «Louis Benech a été très sensible au projet et a conçu une très jolie création» dévoile la maire du Chambon.

Sur les traces des villageois

Pas de collection donc, mais un parcours qui propose de découvrir les villageois du Chambon-sur-Lignon, afin de mieux comprendre leur geste:

«Le but est que le visiteur comprenne les raisons qui ont poussé tout un village à résister.

Le parcours propose donc de revenir sur les dimensions géographiques et culturelles du lieu, notamment sur cette tradition d’accueil qui existe depuis que les mineurs de Saint-Etienne viennent s’y refaire une santé pendant l’été», explique Patrick Cabanel, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse-Le Mirail, auteur de La Montagne Refuge, Accueil et sauvetage des Juifs autour du Chambon-sur-Lignon *.

«Il faut que le visiteur comprenne bien la dimension spirituelle que la résistance a prise au Chambon.

Ce n’est pas une résistance civile» comme celle qui consiste à faire sauter des rails.

«Les villageois ont sauvé les Juifs parce qu’ils faisaient partie du peuple de Dieu».

Placé sous le haut patronage du Président de la République et de Simone Veil, ce lieu de mémoire s’adresse à tous, dont au jeune public, qui pourra y découvrir une Histoire française:

«Il faut qu’il y ait un travail éducatif autour de ce lieu et de l’Histoire qu’il véhicule car il est porteur d’une mémoire citoyenne», affirme l’ancien ministre Laurent Wauquiez.

«Sa fonction pédagogique est très forte car il permet de s’interroger pour comprendre comment ces gens ont senti très vite ce qui était juste ou non».

Un lieu aussi ouvert au public du monde entier et, en particulier, aux personnes qui souhaitent revenir sur les traces de leurs aïeux.

«Beaucoup de Juifs du monde entier viennent en ‘‘pèlerinage » au Chambon-sur-Lignon.

Il faut savoir que ce village est une icône dans la mémoire juive en Israël ou aux Etats-Unis», explique Patrick Cabanel.

Malgré le mythe, rien n’a été caché: «Nous n’avons pas cherché à mettre en avant la morale mais à expliquer la réalité», raconte Annette Wiervorka, directrice de recherche au CNRS, membre du comité scientifique. «Ce lieu de mémoire est un lieu où sont racontées des histoires de gens simples».

Le plateau du Vivarais-Lignon fait partie de ces lieux où l’Histoire a été vécue différemment de partout ailleurs.

Dans un pays occupé par l’ennemi, où collaborer avec l’occupant est devenu consigne officielle, les habitants de cette région ont préféré rester fidèles à leurs principes et à leurs convictions religieuses.

En effet, la résistance y a été initiée par trois pasteurs, Charles Guillon, André Trocmé et Edouard Theis, attachés à leur tradition protestante.

«Le plateau du Chambon est une île protestante dans l’océan catholique du Massif central.

Ils ont vécu la Seconde guerre mondiale comme ils ont vécu l’affaire Calas, puis l’affaire Dreyfus: comme des persécutés.

Du fait de leur protestantisme, leur mémoire est différente.

Ils ont toujours à l’esprit les persécutions religieuses dont ils ont été les victimes pendant trois siècles», raconte l’historien.

Sauver des Juifs, une évidence

«Lorsque les persécutions juives ont commencé, ils ont vu des similitudes avec leur histoire, alors c’est tout naturellement qu’ils les ont aidés.

Et puis leur approche spirituelle, qui leur donne une certaine proximité avec la Bible, fait qu’ils considèrent le peuple juif comme le peuple de Dieu».

Des points communs qui leur ont permis de sauver de nombreux Juifs, dont une majorité d’enfants.

«Il faut bien se rendre compte que la résistance spirituelle ne concernait pas uniquement les pasteurs.

Ce que l’on ne sait pas toujours, c’est que les femmes ont aussi joué un grand rôle dans cette résistance», ajoute Philippe Joutard, professeur à l’EHESS, spécialiste du protestantisme cévenol.

D’abord accepté, le sauvetage de Juifs se faisait par l’intermédiaire de la Cimade et du Secours suisse aux enfants, qui sortaient les enfants déportés des camps du sud de la France avec l’accord du régime de Vichy.

Lorsqu’en 1942 les rafles ont commencé, les villageois du plateau n’ont pas arrêté leur action pour autant:

«Ils ont vite cerné l’urgence de sauver des Juifs. Ils les ont alors dispersés dans des familles de paysans, situées dans des fermes isolées sur le plateau, ou les acheminaient jusqu’à la frontière suisse».

Mais la résistance sur le plateau n’a pas toujours été un long fleuve tranquille et des conflits internes ont souvent éclatés, entre résistants civils et résistants armés:

«Les conflits entre ceux qui faisaient de la résistance spirituelle et ceux qui avaient les armes à la main étaient très vivants», explique Annette Wiervorka.

Des actes héroïques, qui ont très vite été récompensés par l’institut Yad Vashem, qui élève au rang de «Justes parmi les nations» près de 90 habitants du plateau dès les années 70, dont les derniers sont décédés au début des années 2010.

Mais, pour reconnaître à sa juste valeur une action comme celle des habitants du Vivarais-Lignon, c’est toute la région qu’il faudrait décorer.

Or, «la loi de Yad Vashem interdit de faire Juste les personnes morales», comme le précise Patrick Cabanel.

«Du coup, Yad Vashem a remis à la région un diplôme d’honneur.

Un monument particulier au Chambon a aussi été érigé là-bas».

Une distinction rare et exceptionnelle dont le Chambon-sur-Lignon est l’une des deux seules communes du monde à pouvoir s’enorgueillir. Car il existe en effet un autre village aux actes de résistance honorables, celui de Nieuwland, aux Pays-Bas.

Mais, aujourd’hui encore, certains points de l’Histoire restent mystérieux:

«On ne sait pas tout sur le Chambon.

On ne sait pas combien de Juifs ont été sauvés par exemple.

Aujourd’hui, les études permettent de dire 800 mais ils étaient peut-être 1000», conclut Annette Wiervorka.

*Patrick Cabanel, Philippe Joutard, Jacques Sémelin et Annette Wieviorka, «La Montagne Refuge, Accueil et sauvetage de Juifs autour du Chambon-sur-Lignon» , éditions Albin Michel, 2013.

Signé du conseil scientifique du lieu de mémoire du Chambon-sur-Lignon, ce livre fait la continuité de la visite et revient sur les grands points qui donnent à la région du Chambon-sur-Lignon sa particularité: racines des habitants, organisation de la résistance civile et motivations des habitants résistants.

Johanna Zilberstein
/ Le Figaro.fr Article original

Vidéo:Inauguration du Lieu de Mémoire au Chambon


Inauguration du Lieu de Mémoire au Chambon-sur… par Mon43

TAGS : France Shoah Chambon-sur-Lignon 1942 Justes

Yad Vachem Nieuwland Résistance Cévennes

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Rail

A juste titre pour ce village qui mérite d’être mis à l’honneur !
Ainsi que tous ces habitants , sauver une vie c’est sauver toute l’humanité .

Une grande émotion envers ces hommes et ces femmes de courage ,
ils seront toujours dans le cœur des juifs , parce par leur foi ils ont sauver des êtres humains . Souvent ces gens de courage on une pudeur qui me touche particulièrement .

Des actes d’amours et de courage et de solidarité , la croyance c’est ça !
Il n’y a pas de mots pour exprimer toutes la reconnaissance qu’ils mérites .
Cela me bouleverse à chaque fois , tellement c’est fort en émotion , ceux sont des êtres merveilleux je ne peux qu’avoir une tendresse infini pour tout se village et une pensée pour ceux qui ne sont plus là et qui ont contribuer à ce miracle quand tout un village c’est mobilisé pour sauver des vies , alors qu’ils risquaient leur propres vie .