A Manhattan, une cinquantaine de procureurs, dont une moitié de femmes, appartiennent à la Sex Crimes Unit. C’est elle qui mène l’offensive dans l’enquête visant DSK.Ce hasard décidera peut-être de la carrière de John « Artie » McConnell. Dans la nuit du samedi 14 mai, l’assistant du district attorney, l’un des 500 substituts du procureur de Manhattan, assurait la permanence pour la Sex Crimes Unit, la section du parquet chargée des crimes sexuels, lorsqu’un coup de fil des policiers sur son portable l’a averti qu’ils détenaient un suspect soupçonné de viol, un certain Dominique Strauss-Kahn.

Lisa Friel dirige depuis 2002 la Sex Crimes Unit. Ses procureurs sont réputés comme les meilleurs et les plus acharnés d’Amérique.

Voilà comment « Artie », un beau brun d’une trentaine d’années originaire de Virginie, embauché peu après ses examens au barreau de New York, en 2005, a été saisi de l’accusation dans le dossier le plus médiatisé depuis l’affaire Madoff, face à l’une des équipes d’avocats les plus expérimentées du pays. Le diplômé de la prestigieuse faculté de droit George-Washington fera-t-il le poids?

Les meilleurs cerveaux du monde judiciaire new-yorkais

Pour dissiper les doutes, sa chef directe, Lisa Friel, patronne depuis 2002 de la Sex Crimes Unit, a pris place à son côté au tribunal le 19 mai. La seule présence de cette petite dame aux longs cheveux châtains signifiait une déclaration de guerre aux avocats du prévenu, la promesse d’une offensive de ses procureurs, réputés comme les meilleurs et les plus acharnés d’Amérique.

Il y a peu de métiers où l’on ait tant l’impression de faire le bien

La Sex Crimes Unit ne roule pas sur l’or. Sa suite n°666, au 5e étage de l’imposante cour de justice du 100 Centre Street, dans le sud de Manhattan, n’est qu’une enfilade de bureaux exigus et vétustes, encombrés de classeurs gris et d’ordinateurs. L’endroit, bondé d’une cinquantaine de « procs » surmenés, est à mille lieues de sa représentation télévisée, dans les feuilletons New York. Police judiciaire ou New York. Unité spéciale. Mais sa légende attire les meilleurs cerveaux du monde judiciaire new-yorkais.

« Il y a peu de métiers où l’on ait tant l’impression de faire le bien, reconnaît Matthew Galluzzo, un ancien de « l’unité », aujourd’hui dans le privé. Mais rares sont les élus. » A l’entendre, le job exige des talents contradictoires: « Du coeur face aux victimes, une minutie exceptionnelle dans l’établissement des faits et dans les expertises; ainsi qu’un don pour le prétoire. Pourquoi? Parce que ces crimes sont atrocement difficiles à prouver à un jury. »

Le 20 juin, la chaîne HBO va diffuser un documentaire consacré à la Sex Crimes Unit. Jackson Films Inc.

« L’erreur, c’est notre hantise »

Dans 80% des cas, agresseur et victime se connaissaient. Très souvent, l’existence de l’acte sexuel ne fait aucun doute. Encore faut-il démontrer à la cour l’absence de consentement et les indices de recours à la force. « On entre alors dans des zones grises, de pudeur et d’omissions par la victime sur son degré d’alcoolémie ou sa consommation de drogue au moment de l’acte, se souvient Galluzzo. Tant d’éléments qui compliquent l’accès à la vérité. » Parfois, il y a même de graves mensonges. « L’homme peut être innocent. Et l’erreur, c’est notre hantise. »

Les procureurs en fonction s’épanchent peu devant la presse, mais, depuis l’affaire Strauss-Kahn, le silence absolu est de rigueur, sur ordre du district attorney Cyrus Vance. Coïncidence, un excellent documentaire achevé l’année dernière par la réalisatrice Lisa Jackson, et programmé pour le 20 juin sur la chaîne HBO, offre un voyage inédit dans une culture judiciaire entièrement dévouée aux victimes. Quelles qu’elles soient.

Au détour d’une séquence, on repère Artie McConnell, avant sa célébrité, occupé, devant sa patronne, Lisa Friel, à décrire sans ciller les abrasions vaginales d’une strip-teaseuse dont l’agresseur, un chauffeur de taxi, assure qu’elle était consentante, avant de se raviser et de plaider coupable. Coleen Balbert, la sémillante directrice adjointe, accuse un homme longtemps convaincu de son impunité, après avoir violé une prostituée sous la menace d’un revolver. Il est condamné à seize ans.

« Des pros brillantes avec des salaires minables »

Dans les bureaux, les photos de bébés, collées sur les murs à côté des portraits-robots de suspects, rappellent que plus de la moitié des membres de la Sex Crimes Unit sont des femmes. Une exception notoire dans le district de New York.

« Ce sont des pros brillantes qui restent ici malgré les salaires minables au lieu d’entrer dans le privé, admire Natasha Alexenko. Elles ont trouvé une cause, et leur empathie devient un avantage professionnel. » Natasha, violée en 1993 par un inconnu, se revoit encore raconter les détails de son calvaire à la procureure Melissa Mourges. « Pas une once de mièvrerie, d’effusions apitoyées, se souvient-elle. Mais je savais qu’elle était de mon côté. » De tout coeur.

Linda Fairstein a quitté la direction de la Sex Crimes Unit en 2002. Getty Images/AFP

En 2007, quatorze ans plus tard, Natasha a reçu un appel de Mourges. L’ADN d’un délinquant, récemment arrêté pour un banal délit de port d’arme, correspondait à celui de son agresseur, enregistré au fichier national. On le tenait.

Ce club de justicières, fondé en 1974, doit son existence à un homme, le légendaire district attorney Robert Morgenthau, parti à la retraite en 2009, à l’âge de 91 ans, autant qu’aux coups de gueule de sa première directrice permanente, Linda Fairstein, dès sa nomination, en 1976: « A l’époque, une plainte pour viol n’était recevable que si un témoin autre que la victime pouvait la corroborer, proteste encore la juriste. Résultat, sur 1 000 agressions sexuelles commises cette année-là à Manhattan, seules 18 aboutirent à des condamnations! »

Fairstein, l’implacable diva anticrime, a passé la main en 2002, pour poursuivre une carrière d’écrivain de polars multimillionnaire, non sans avoir vu de nouvelles législations révolutionner le travail des « procs ». L’abrogation de l’obligation d’un témoin, à la fin des années 1970, puis le vote de textes interdisant de divulguer l’identité des victimes et de décrire leur vie sexuelle passée aux jurés ont calmé les craintes des femmes et permis de décupler le nombre de plaintes et de condamnations.

« Ce type est incurable et ne doit plus jamais ressortir »

Les temps héroïques et militants sont révolus. Lisa Friel, ancienne adjointe de Fairstein, promue depuis dix ans à la tête du service, peut se targuer d’une couverture du journal de son université, le prestigieux Dartmouth College, affichée dans son bureau, qui la campe sous le titre: « The Victims Advocate ».

Mais cette veuve, mère dévouée de trois adolescents, quinqua tonique, admirée pour ses cinq heures de gym intensive hebdomadaires, a su maintenir une ambiance sobre et conviviale dans la suite 666, où le dernier stagiaire est invité aux déjeuners briefings de sandwichs dans la salle de réunion.

Les défenseurs de DSK savent à qui ils ont affaire

Elle ne transige pourtant pas sur la rigueur. Malheur aux flics qui n’accordent pas à un viol le même soin, les mêmes interrogatoires de voisinage et examens de relevés téléphoniques qu’à une enquête pour meurtre! Malheur aux violeurs, surtout! Le film la cadre tandis qu’elle règle le compte d’un récidiviste: « Deux incidents en quatre ans, à 22 ans? Ce type est incurable et ne doit plus jamais ressortir. » De retour d’un procès où le prévenu a pris vingt-cinq ans, ses « procs » exultent dans son bureau.

« Elles ne lâchent pas prise, au nom des victimes, confie Kimberly Summers, une avocate new-yorkaise rompue à la défense des suspects de crimes sexuels. Mais, côté éthique et fair-play, ces procureurs-là n’ont de leçons à recevoir de personne. » Les défenseurs de DSK savent aussi à qui ils ont affaire.

Philippe Coste, – EXPRESS.fr

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