8-Mai : l’histoire des missionnaires de Ville-la-Grand, qui ont sauvé des centaines de Juifs pendant la guerre
En Haute-Savoie, à Ville-la-Grand, des missionnaires ont sauvé pendant la Seconde Guerre mondiale plus de 2.000 personnes, dont des Juifs, en les faisant passer en Suisse par-delà le mur de l’école. Pour rappeler cette histoire, un parcours mémoriel vient d’être inauguré dans l’établissement.
8 mai, jour férié qui commémore la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie en 1945, la commune de Ville-la-Grand se remémore son passé. Dans l’ancienne école catholique, des missionnaires ont organisé pendant la Seconde Guerre mondiale le sauvetage de plus de 2.000 personnes, dont des Juifs, en les faisant passer clandestinement par le mur de l’école, frontalier avec la Suisse voisine. L’établissement scolaire privé Saint-François, qui existe encore aujourd’hui, a inauguré ce vendredi 5 mai un parcours mémoriel sur ces « passages vers la Suisse », comme le racontait ce lundi Guénaël Morio, directeur de l’établissement Saint-François, invité de France Bleu Pays de Savoie.
« Le Juvénat », établissement catholique ouvert en 1920 à Ville-la-Grand – Association PMF74
18 juin 1940, l’appel du général de Gaulle. La Résistance s’organise dans l’école. « Un groupe de missionnaires conduit par le révérend Père Favre, qui faisait partie des réseaux de Résistance, décide de porter secours à des personnes qui se présentaient dans l’école, et notamment des personnes juives, en les faisant passer au fond du jardin, puisque notre établissement a un mur limitrophe avec la frontière », rappelle Guénaël Morio. Qui étaient ces missionnaires de Saint-François-de-Sales ? Ils étaient quatre à travailler dans l’école (autrement appelée « le Juvénat », du nom cet établissement catholique ouvert en 1920 et qui formait au départ les séminaristes, les jeunes prêtres) : le directeur, le Père Frontin, les enseignants, les Pères Louis Favre et Gilbert Pernoud, et le jardinier de l’école, le Frère Raymond.
« Quand le père Raymond baissait son béret, c’était le signal »
« Quand les familles se présentaient dans l’établissement, dans un premier temps on les cachait, soit dans le hangar soit dans la cave, et puis quand c’était le moment, on les faisait remonter au pied du mur ». Les pères agissaient au péril de leur vie, car le mur de l’époque était protégé, « il y avait des barbelés et des patrouilles ». Mais ils avaient inventé un stratagème pour ne pas se faire repérer. « Le frère Raymond était posté à l’étage, depuis sa fenêtre il avait une vue dégagée sur le chemin qui bordait la frontière (…) quand il baissait son béret, c’était le signal (…), en bas, le père Favre mettait alors l’échelle contre le mur et les barbelés, les familles avaient deux minutes pour passer de l’autre côté ». Côté suisse, le chemin, sinueux, facilitait la fuite.
De cette période, il ne reste aujourd’hui que le mur et la cabane du jardinier. – Association PMF74
Le Père Louis Favre lève les bras pour montrer la hauteur du mur (à gauche) – Association PMF74
Combien de personnes ont ainsi été sauvées ? Entre 2.000 et 2.500 hommes, femmes et enfants (juifs pourchassés, résistants, agents de divers services de renseignement), selon l’association du parcours du mur de la frontière 74, qui a conçu sur le site un parcours mémoriel de seize panneaux pédagogiques, divisé en deux parties. « Il y a une partie du côté français, à l’intérieur de l’établissement, et une autre partie côté suisse (…) on propose aux visiteurs de traverser la frontière, et de vivre cette expérience du passage », explique Guénaël Morio. Quand l’école est fermée, les quatre panneaux, situés côté suisse, sur le chemin des bornes, sont accessibles au public.
Reconnus Justes parmi les Nations
Le Père Favre, l’un des enseignants, a été dénoncé et arrêté par la Gestapo en février 1944. Il fut fusillé en juillet 1944 à Vieugy, près d’Annecy, avec une dizaine d’autres prisonniers. Tous ont été honorés du titre de Juste parmi les Nations. « Dans les années 1980, les trois pères ont reçu la médaille des Justes, dont deux à titre posthume (le père Favre et le père Pernoud, décédé en 1978) (…) le jardinier, le frère Raymond a quant à lui fait le voyage à Jérusalem, il a pu planter lui-même son olivier sur le mont des Justes ». En 2007, le nom du Père Favre a également été gravé au Panthéon, sur le mur des Justes.