Yad Vashem met en ligne 8 histoires de déportés juifs pour commémorer les 80 ans du premier convoi parti de France vers Auschwitz

Rassemblement des Juifs en attente d’être déportés à Drancy, Paris, le 20 août 1941Archives photos de Yad Vashem Rassemblement des Juifs en attente d’être déportés à Drancy, Paris, le 20 août 1941

Il y a 80 ans jour pour jour, le 27 mars 1942, le premier convoi de Juifs déportés de France quittait Drancy direction le camp d’Auschwitz en Pologne. A cette occasion, le musée de la Shoah Yad Vashem de Jérusalem propose une exposition virtuelle unique qui met en lumière huit destins brisés par la barbarie nazie. Qui étaient-ils? Quels ont été leurs derniers instants de vie jusqu’à leur déportation?

Dans ce convoi 1, qui a d’abord fait une halte à Compiègne, se trouvaient 1.112 Juifs, tous des hommes, dont seuls 32 ont survécu. Le convoi est arrivé à Auschwitz le 30 mars 1942.

L’exposition retrace les parcours de ceux qui n’ont pu échapper à l’horreur des camps de la mort à travers des témoignages inédits recueillis auprès de leurs descendants en France et en Israël, des photos mais aussi des documents authentiques tels que des laissez-passer ou des cartes d’identité d’époque.

Les huit histoires personnelles des déportés sont présentées sous forme de portraits illustrés, qui ravivent leur mémoire et confèrent à leur existence un caractère intemporel.

i24NEWS a sélectionné trois de ces récits, ceux de trois jeunes hommes dont la vie a été ôtée bien trop tôt. Qu’ils aient choisi la France pour fuir les difficultés économiques de leur pays ou qu’ils soient nés sur son sol, ces jeunes hommes avaient confiance en son droit et en ses lois.

« L’idée était de trouver des descendants capables de raconter eux-mêmes les histoires à partir de ce dont ils se souvenaient. Certains d’entre eux sont des enfants de déportés du convoi 1. Parfois, ils étaient alors de très jeunes enfants, et leurs souvenirs sont intacts ou rapportés par leur mère, » a déclaré Nathalie Blau, responsable des contenus francophones pour le site et les réseaux de Yad Vashem, à i24NEWS.

Matthieu Alter

Parmi les déportés du convoi 1, se trouvait Matthieu Alter, né en Russie en 1889. Ce jeune homme était scolarisé dans des écoles juives religieuses mais il ne rêvait que d’une chose: fuir. Arrivé à Paris en 1912, il accède à un poste d’interprète à l’état-major du général Franchet d’Esperey, qu’il suit en 1918 sur le front de la mer Noire, dans ses combats contre l’Armée rouge. Mais le 12 décembre 1941, la vie de Matthieu bascule radicalement: il est arrêté par deux Allemands qui l’emmènent au camp d’internement de Compiègne avant d’être déporté à Auschwitz.

Matthieu est décédé peu de temps après du typhus. Sa femme et sa fille découvrent alors l’horreur des camps: « tant qu’ils arrêtaient des hommes, on croyait à cette histoire de camps de travail. On se disait que les conditions devaient être inhumaines, qu’il devait en mourir pas mal, mais personne n’avait jamais imaginé les chambres à gaz et les fours crématoires. »

Quelques années plus tard, la famille reçoit son acte de décès avec la mention « Mort pour la France. »

« Etant donné que les faits datent d’il y a 80 ans, ce sont des choses qui sont très loin dans le temps pour les descendants. Leurs souvenirs sont très vivaces mais ils n’ont pas été commémorés, la parole a été réduite au silence. Ils n’ont pas pu faire leur deuil, » a déclaré Nathalie Blau à i24NEWS.

Charles Dluto

Pour Charles Dluto, né à Paris en 1918, Yad Vashem a pu recueillir un extrait de la correspondance qu’il adresse à son épouse Marguerite le 26 mars 1942.

« Ma chérie, par cette carte je te fais savoir mon départ pour un camp de travail dont j’ignore la destination. J’espère pouvoir t’aviser du lieu de mon arrivée, mais de toute façon, je te recommande de ne pas t’inquiéter si je reste quelque temps sans t’écrire… ».

Le jeune homme avait été arrêté le 20 août 1941 à son domicile par la police française et envoyé directement à Drancy. Il est décédé du typhus à Auschwitz le 19 juin 1942.

« Aujourd’hui ce qui marque, c’est le récit personnel. La Shoah, tout le monde connaît le narratif, la chronologie et la fin. Ce qu’essaye de faire Yad Vashem depuis quelques années, ce n’est pas de raconter la masse en tant que telle mais d’en extraire des histoires individuelles. Très souvent, on apprend la Shoah à travers la quantité: les tas de chaussures ou les tas de lunettes. 6 millions de morts, c’est un chiffre que l’on a du mal à visualiser », a expliqué Nathalie Blau à i24NEWS.

« C’est pour cette raison que nous avons choisi de nous focaliser sur ces parcours, car en réalité, chaque histoire représente une vie singulière, » a-t-elle poursuivi.

Nathalie assure qu’il est important de « mettre en avant la simplicité de ces familles et leur vie modeste ».

Aucun des déportés n’était atypique, ils menaient des vies paisibles et aspiraient à réussir leur carrière à Paris.

Aron Barszcz

Aron Barszcz, ce Polonais installé à Paris dans les années 1930, s’est engagé dans les rangs de la Légion étrangère en 1939. En août 1941, alors qu’il est chez lui, un policier français lui ordonne de préparer ses affaires.

Son fils Jacques, 8 ans à l’époque, revoit son père confectionner à la hâte un sac dans lequel il pourra emporter quelques effets personnels. Inconscient de la situation, il lui fait un signe de la main, sans savoir que c’est la dernière fois qu’il verra son père.

Aron Barszcz est d’abord conduit à Drancy, puis il décède le 19 mai 1942 à Auschwitz.

Aux commémorations du 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, son fils racontera lui-même à ses filles: « une fois sur place, je me suis effondré en larmes comme un enfant, prenant conscience que mon père était en cendres, ici ».

« C’était des gens qui se voulaient comme les autres, mais les Nazis en avaient décidé autrement, ils voulaient exclure ces personnes de la société, » a déploré Nathalie Blau.

Plus d’1.1 million de Juifs ont été déportés à Auschwitz.

Retrouvez cette exposition en ligne sur le site du musée Yad Vashem.

« Ma petite Maman, je pars » : à Drancy, la Shoah vue à travers des lettres d’internés

A partir du 27 mars, le Mémorial de la Shoah de Drancy, près de Paris propose une nouvelle exposition qui donnent à voir 200 lettres écrites par des juifs internés au camp de Drancy avant d’être déportés à Auschwitz.

Censurées ou clandestines, au crayon ou à l’encre… Écrites depuis les camps de transit français ou jetées depuis les convois en partance pour les camps de la mort, 200 lettres d’internés sont exposées au Mémorial de la Shoah de Drancy, près de Paris.

« Ma chère Antoinette, je te préviens que demain lundi matin je quitte Drancy et je pars pour une destination inconnue », commence un dénommé Georges Benedikt le 13 septembre 1942, d’une écriture finement penchée. Interné à Drancy un an auparavant, il mourra à Auschwitz.

Ultimes témoignages avant le silence, les missives collectées auprès des familles de victimes forment l’exposition « C’est demain que nous partons. Lettres d’internés du Vel d’Hiv à Auschwitz » (du 27 mars au 22 décembre). Son ouverture au public coïncide avec le 80e anniversaire du premier convoi de déportation de juifs de France, parti de Drancy pour Auschwitz le 27 mars 1942, avec une halte à Compiègne, au Nord de Paris. Suivra la rafle du Vel d’Hiv en juillet.

Ces lettres manuscrites représentent l’unique lien des internés avec le monde d’extérieur. Sur une carte petit format, en lignes serrées sur une feuille ou griffonnées au verso d’une couverture de livre tant le papier est rare, les mots se pressent pour dire l’angoisse, l’urgence, le désespoir et le déchirement des cœurs séparés.

« La plupart des lettres, c’est un dernier au revoir, un adieu, et des recommandations« , résume Karen Taieb, responsable des archives du Mémorial de la Shoah de Drancy, co-commissaire de l’exposition aux côtés de l’historien Tal Bruttmann. « L’écriture est essentielle pour la survie des internés, pour donner des nouvelles et en recevoir, et pour recevoir des colis » pour tenter de parer au dénuement, explique-t-elle.

L’internement a eu lieu en zones libre comme occupée, et les détenus y passent parfois des années. Pour échapper aux bureaux de la censure, qui caviardent des passages, demandent à écrire « plus gros la prochaine fois » sous peine d’interdiction, un circuit clandestin existe. Mais alors il faut payer les gendarmes, qui pratiquent l’inflation.

« Je vous fais parvenir aujourd’hui ma 21e lettre et peut-être la dernière, pour deux raisons, la première c’est que je n’ai plus d’argent, car les lettres coûtent aujourd’hui 150 francs (…) et deuxième raison c’est que l’on attend la déportation d’un jour à l’autre », explique en 1944 un interné à Drancy.

Jetées du train

Le déclenchement de la « solution finale » et des déportations en 1942 bousculent les mots sur le papier. De camp de transit, Drancy devient la plaque tournante des déportations. Jusqu’à la fin dans les convois vers l’Est, écrire est un impératif. Surtout, ne pas oublier ceux et celles qu’on aime.

« Ma Chérie, partie ce matin direction Est je (…) vous envoie à vous et tous les êtres chers que j’ai quittés mes meilleurs baisers. Adieu ! Au revoir peut-être », écrit à la hâte une femme qui a jeté sa lettre du train et ne reviendra jamais d’Auschwitz.

Certains tentent de rassurer les proches comme pour se rassurer soi-même. « Ma petite Maman je pars et j’ai un moral de fer », assure Jacques Dreyfus à sa mère, avant d’être déporté. « Attention ! On nous a trompé et menti (…) Écrivez à Vittel que dans quelques jours nous sommes morts », prévient à la hâte un homme qui a balancé son billet griffonné du wagon, sans savoir s’il parviendrait à son destinataire.

Des cheminots ou des anonymes ont parfois permis de les acheminer à bon port.A de rares exceptions, la quasi-totalité des auteurs ont disparu. Aux proches sans nouvelles, à l’affût d’un signe de vie, les autorités françaises renvoient la même formule. « Partant pour une destination inconnue, n’envoyer ni colis ni correspondance ».

Si éloignées des communications actuelles par écrans interposés, ces « bonnes veilles lettres » sont « un trésor« , selon Karen Taieb. Entre les lignes se devinent les mains qui les ont touchées pour écrire des récits personnels. L’exposition en fait une grande polyphonie.

Jforum avec Caroline Haïat est journaliste pour le site français d’i24NEWS et  GEO (avec AFP)

Des enfants juifs arrêtés et déportés durant la nuit du 15 au 16 avril 1942 au cours de la rafle du Vel d’Hiv. © Antoine GYORI/Sygma via Getty Images

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