Livre : « Venir après » ou la deuxième génération de la Shoah

Dans un ouvrage poignant, « Venir après » (Éditions du Faubourg), la journaliste Danièle Laufer évoque le destin des enfants de survivants, entre silence et souffrance.

Venir après - Danièle Laufer | Fondation pour la Mémoire de la ShoahNée « après », la guerre tressaille toujours en elle. Dans un ouvrage de témoignages – dont le sien, particulièrement âpre – Danièle Laufer évoque ceux qui parleront désormais à la place de leurs parents, survivants des camps de concentration, trop âgés ou déjà disparus.

Le destin de la seconde génération, née quelques années après la Seconde Guerre mondiale, a été analysé dans plusieurs études aux États-Unis, notamment le remarquable Le traumatisme en héritage d’Helen Epstein en 2012 (Folio Gallimard) et de nombreux romans en France, dont celui de Colombe Schneck (La réparation, Grasset 2012).

Danièle Laufer reprend la méthode de travail d’Epstein – des conversations avec les témoins – pour plonger au cœur de ce qui l’a elle-même façonnée et parfois détruite. Ce livre arrive à un moment étrange pour les juifs de France. Ce que la deuxième génération vit aujourd’hui – le renouveau de la haine antisémite – constitue précisément ce que les parents rentrés de déportation avaient cru terminé à jamais quand ils ont refait leur vie.

NE PAS LAISSER HITLER GAGNER POST-MORTEM

« Nos parents ont survécu et ne s’en sont pas remis, écrit l’auteur. Ils se sont débattus pour que nous puissions vivre heureux, joyeux, aimants, préservés de la haine antisémite. Ils ont voulu pour nous le meilleur et ils ont commis des erreurs comme tous les parents du monde. Et ils nous ont transmis un trauma collectif… »

« Je ne voulais pas faire ce livre, poursuit Danièle Laufer. Je ne voulais pas replonger dans les camps, je ne voulais plus d’insomnies traversées par des cadavres décharnés. J’ai passé ma vie à me battre pour être drôle, chaleureuse, généreuse, aimante. Mais je ne pourrai jamais me défaire de cette histoire. Je ne laisserai pas Hitler gagner post-mortem ».

PAS DE GRANDS-PARENTS, PAS DE GÉOGRAPHIE

Être né « après », dans les années 1950, signifie pour beaucoup qu’il n’y a pas eu d’avant dicible dans la mémoire familiale. Pas de grands-parents : l’historien Ivan Jablonka l’avait admirablement décrit dans son Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus (Le Seuil, 2012) mais en s’attachant surtout à retracer le destin des assassinés.

La deuxième génération n’a pas non plus de géographie précise dans laquelle s’ancrer. La langue du passé est celle de l’accent qu’il faut perdre. Le passé tout entier est une perte et un trou noir. Ou bien c’est une photographie mystérieuse sur la cheminée, dont on finira par savoir qu’elle perpétue la mémoire d’une ombre assassinée.

Nicole Ryfman grandit ainsi sans savoir qui est le petit garçon de deux ou trois ans dans le cadre. Bien plus tard, elle apprendra qu’il s’agit du fils que son père avait eu d’un premier mariage, arrêté avec sa mère lors de la rafle du Vél d’Hiv, le 16 juillet 1942. L’épouse et l’enfant ne sont jamais revenus.

« PHYSIQUEMENT EN PAIX, INTÉRIEUREMENT EN GUERRE »

Dans un témoignage déchirant, intitulé Un devoir de mémoire (Éditions Alphée, 2008), le journaliste et essayiste Michel Gurfinkiel évoquait, lui aussi, la photo du petit garçon au sourire heureux, né en 1933, raflé en juillet 1942 et assassiné à Auschwitz. Il a grandi avec ce portrait et sans doute le visage de l’enfant tué l’a-t-il construit, autant dans le deuil que dans la détermination.

L’ouvrage de Danièle Laufer traduit donc avec une exactitude lancinante le climat dans lequel a grandi une génération. Les relations avec les parents ne furent jamais celles qu’entretenaient les camarades de lycée avec les leurs. C’était un amour total, souvent chaotique, une hantise qui s’étendit sur toute la vie adulte. Comme le dit Nelly Grunberg, « nous, on était physiquement en paix mais intérieurement en guerre… ».

GÉNÉRATION MIRACLE

Enfin, il y a ce vertige. Que s’est-il passé pour que le père et la mère survivent alors qu’ils auraient dû être exterminés ? Pour leurs enfants, une fois l’histoire reconstituée, retissée, il apparaît que leur naissance relève du prodige. Aucune vie juive n’aurait dû jaillir. C’est par effraction qu’elle s’est faufilée entre les interstices de la mort programmée.

Murielle Aronowicz-Fellous résume : « On est une génération miracle parce qu’on n’aurait pas dû être là. Les survivants de la déportation sont des miraculés ». Au bout du compte, et alors que la deuxième génération atteint la soixantaine, une autre question affleure : que dire, que transmettre à la troisième génération, sans vouloir la troubler ? Mais ceci est une autre histoire. Et sans doute une nouvelle version du traumatisme.

Par Martine Gozlan Publié le 26/04/2021 à 11:46

Une exposition à Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem. © AFP

https://www.marianne.net/culture/litterature/livre-venir-apres-ou-la-deuxieme-generation-de-la-shoah#xtor=AL-8

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires