Le pape, Trump, l’IA et l’image
Trump, l’IA et l’image : une provocation qui interroge
Une nouvelle polémique a éclaté autour du président américain Donald Trump après la diffusion d’images générées par intelligence artificielle (IA) sur ses réseaux sociaux. L’une d’elles, le représentant vêtu des habits pontificaux, a suscité de nombreuses réactions indignées, notamment dans les milieux catholiques. Pourtant, Trump a minimisé l’affaire, qualifiant le montage de « blague ». Mais pour plusieurs observateurs, il s’agit d’un phénomène plus préoccupant que drôle.
Les images, publiées sur Truth Social — la plateforme fondée par Trump — durant le week-end, ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux. L’une montre l’ancien président dans la tenue blanche traditionnelle du pape. Une autre le met en scène brandissant un sabre laser rouge, référence directe aux antagonistes de la saga Star Wars. Pour Trump, ces montages ne sont qu’un moyen léger de faire parler de lui. « Ce n’est rien de sérieux. C’est juste pour s’amuser », a-t-il déclaré lundi aux journalistes, ajoutant qu’il n’était pas l’auteur des publications, qui auraient été créées par « quelqu’un d’autre pour plaisanter ».
Mais si Trump y voit de l’humour, certains experts et figures publiques y voient une manipulation préoccupante. John Wihbey, directeur du laboratoire AI-Media Strategies de l’Université Northeastern de Boston, alerte sur une nouvelle dynamique : l’utilisation croissante des outils de génération d’images pour asseoir un discours politique. « C’est la convergence des médias sociaux et de la puissance de l’IA au service d’une stratégie narrative », affirme-t-il, estimant que d’autres leaders politiques emboîteront probablement le pas.
La publication d’images sans ancrage réel dans le monde physique brouille les repères. Contrairement à des mises en scène réelles, comme Trump posant devant une église en 2020, les images générées par IA créent une ambiguïté qui peut facilement induire en erreur. Elles donnent à voir un Trump fantasmé : tantôt pape, tantôt roi ou gangster, parfois même personnage imaginaire dans des scènes qui n’ont jamais eu lieu.
Certains jugent ces procédés déstabilisants, voire offensants. Matteo Renzi, ancien Premier ministre italien, a qualifié l’image de « choquante » et d’« insulte aux croyants ». Aux États-Unis, des fidèles catholiques ont exprimé leur malaise face à ce qu’ils considèrent comme une profanation de leur foi pour des motifs politiques ou médiatiques.
La Maison Blanche n’a pas commenté l’identité de la personne ayant créé ni publié les images, ce qui n’a fait qu’alimenter les spéculations. D’autres voix, comme celle du stratège démocrate Michael Ceraso, estiment que ces visuels sont des outils de communication calculés. Selon lui, Trump agit comme une figure de spectacle, empruntant les codes du catch professionnel, où l’objectif n’est pas d’être moralement irréprochable, mais de susciter une réaction du public : admiration ou indignation, peu importe.
Trump n’en est pas à son coup d’essai. Depuis le début de sa présidence, il a diffusé d’autres visuels fabriqués, parfois extravagants. On l’a vu en gangster, en roi ou encore dans une version réinventée de la bande de Gaza. Pour la spécialiste en rhétorique Jennifer Mercieca, de l’Université Texas A&M, cette stratégie vise à compenser une impopularité croissante. « Il construit une image de héros dans un contexte de désapprobation nationale », observe-t-elle.
Les derniers sondages Reuters/Ipsos illustrent cette baisse de popularité : seuls 42 % des Américains approuvent aujourd’hui son action, contre 53 % de désapprobation. Les inquiétudes concernent notamment sa gestion économique et migratoire. Face à cela, l’ex-président semble miser sur l’illusion d’images fortes et surnaturelles pour affirmer sa légitimité.
Wihbey souligne que l’enjeu pourrait s’aggraver si l’IA est utilisée pour produire des images photoréalistes de fausses scènes historiques. À l’ère de la post-vérité, ces outils peuvent brouiller la frontière entre fiction et réalité, au service d’un récit politique.
Loin d’être anodins, ces montages interrogent donc la responsabilité de ceux qui les diffusent, et les effets qu’ils peuvent avoir sur la perception publique. L’humour et la satire ont leur place, mais lorsqu’ils flirtent avec le sacré ou la désinformation, ils deviennent des armes symboliques dans une lutte pour le pouvoir narratif.
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