Souvenirs d’un amitié pour la vie avec Elie Wiesel

 

Manfred Gerstenfeld s’entretient avec Ted Comet

« A l’âge de seize ans, Elie Wiesel est arrivé en France avec 400 enfants de Buchenwald. Je l’ai rencontré à Versailles, dans la maison à laquelle j’étais affecté en tant que volontaire étudiant du Comité de Distribution Conjointe Juive Américaine (Joint). Nous sommes devenus amis pour la vie et quand il s’est installé pour la première fois à New York, il venait chez nous partager nos repas de Shabbat. Je n’oublierai jamais la qualité éthérée de sa façon de chanter les chants de Shabbat. Je me sentais transporté vers une autre sphère.

« Elie était né en 1926 à Sighet, en Transylvanie, unique garçon d’une famille de 4 enfants. Il a étudié dans une yeshiva traditionnelle, mais il a aussi appris à jouer du violon, aux échecs et il a étudié l’hébreu moderne. Il s’est d’abord retrouvé emprisonné dans un ghetto puis déporté vers Auschwitz où sa mère et sa plus jeune sœur ont péri,et, son père également, un peu plus tard ».

La famille Wiesel

Ted Comet était Directeur de la Fédération de Jeunesse Sioniste Américaine, entre 1956 et 1968. Il a été le fondateur et président du Défilé pour la Célébration ds’Israël à New York. Comet a été un responsable central du Conseil des Fédérations Juives et du Joint.

« Elie a reçu la citoyenneté française. Mais puisqu’il ne comprenait pas le français, la question de savoir s’il le souhaitait est restée sans réponse. Il est demeuré apatride jusqu’à ce qu’il devienne citoyen américain une décennie plus tard. Elie a étudié la littérature française et la philosophie, intrigué par sa focalisation sur le dilemme moral et il percevait la France comme l’endroit où il reconstruisait sa vie en liberté.

« Dans une période où nous manquions de modèles héroïques, Elie Wiesel était un homme qui n’a pas permis à son expérience dans l’enfer d’Auschwitz de l’aigrir, de le rendre cynique, désengagé ou de rester figé. Au contraire, il a découvert le profond secret de la vie- comment transmettre et transformer son traumatisme en énergie créative et en action,  apaiser sa propre douleur en apaisant la douleur des autres, se soigner en soignant les autres.

« La plupart des dirigeants Juifs Américains disposaient d’une base de pouvoir : une organisation importante, une position institutionnelle, philanthropique et politique. Lui ne s’associait à aucune doctrine théologique ou historique. Alors comment s’y est-il pris? Grâce à la puissance de son message, son éloquence et son charisme.

« En 1970, je me suis débrouillé puisqu’il soit le conférencier vedette à l’Assemblée Générale des Fédérations. La partie qui est restée gravée dans ma mémoire depuis plus de 40 ans, est celle où il a déclaré : « Comment avons-nous été capables de survivre? Qui plus est, pourquoi voulions-nous même survivre? Nous étions poussés par la nécessité de raconter l’histoire, car nous sentions que vous aviez su, vous auriez agi. Si nous avions su alors ce que nous savons à présent, que vous saviez et que vous n’avez rien fait, alors nous n’aurions pas été capables de survivre ».

« Elie a été la personne la plus responsable de l’intégration de la Shoah à de nombreux niveaux de la culture et de la société américaine. Une façon dont il s’en est acquitté, c’est par ses plus de soixante livres, dont le plus connu a été « La Nuit ». Son message fondamental se condense dans le terme « Zakhor » (« Souviens-toi »), pour soutenir la mémoire de la Shoah et, de façon encore plus importante, de transmuter son souvenir en action morale. Cela s’est illustré de façon déterminante dans ses confrontations avec trois Présidents américains.

« Le Président Jimmy Carter voulait que le Musée américain de la Shoah se concentre sur tous ceux qui avaient souffert sous le Nazisme. La position d’Elie était que tous méritaient bien sûr que se souvienne d’eux, mais que pourtant, la Shoah a été une forme absolument unique de destruction humaine des Juifs qu’on se devait de reconnaître comme telle. Ila emporté cette bataille. Le musée porte essentiellement sur la Shoah, mais il comporte aussi une partie spéciale pour d’autres qui ont directement souffert, durant la Shoah.

« En tant que Président du musée, Elie n’en a pas fait un monument, mais quelque chose de véritablement monumental. Cette expérience compote l’apprentissage, l’enseignement et la recherche, aussi bien que d’amener des universitaires venus du monde entier. Trente-cinq millions de personnes l’ont visité jusqu’à présent.

« Son deuxième face-à-face s’est déroulée avec le Président Reagan. Le Premier Ministre allemand Helmut Khol voulait que l’Allemagne devienne partie intégrante de l’Occident et il a invité Reagan à lui rendre visite. Quand on a su que la visite prévue comprenait le dépôt d’une gerbe au cimetière de Bitburg où étaient enterrés des soldats nazis, Elie a admonesté Reagan lors d’une cérémonie publique où il se faisait remettre la Médaille d’Or du Congrès.

 

Il avait alors déclaré : « Le Talmud nous ordonne de faire face au pouvoir avec vérité etla vérité est que votre place doit être du côté des victimes et non de leurs agresseurs ». Sur ce, la visite du Président à Bitburg s’est limitée à dix minutes et le passage par l’ancien camp de concentration de Bergen-Belsen s’est ajoutée à l’itinéraire. Depuis lors, les responsables des gouvernements américains successifs ont été plus sensibles dans leur façon de traiter des questions relatives au Nazisme.

« Sa troisième rencontre s’est faite avec le Président Bill Clinton. Après une visite en Bosnie, Elie a témoigné du bain de sang et de la nécessité de passer à l’action. Ses pressions ont contribué à la réalisation des Accords de Paix de Dayton en 1995.

« Elie Wiesel a reçu le prix Nobel de la Paix en 1986. Dans son allocution, il a déclaré : « Nous devons toujours prendre partie. La neutralité n’aide que l’oppresseur, jamais la victime, elle encourage le tourmenteur, jamais le tourmenté… Là où les femmes ou les hommes sont persécutés à cause de leur race ou de leurs opinions politiques, cette place doit être le centre de l’univers. Il peut y avoir des périodes où nous sommes impuissants à empêcher l’injustice, mais il ne doit y avoir aucun moment où nous refusons de protester contre l’injustice ».

Elie Wiesel est mort en 2016. Les témoignages post-mortem de sympathie comprenaient ceux du Président américain et des dirigeants du monde.

Par Manfred Gerstenfeld

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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Élie de Paris

L’autre jour, je roulais dans la nuit.
Pour rester éveillé, je zappai à la radio… Et là, tu parlais, sur France Culture, improbablement, avec une voix plus jeune de 30 ans…
Dans l’obscurité de la route.
Ta passion me retenait de dormir.

À chaque fois que j’ouvre un de ses livres, sa voix, soudain, s’anime. Comme si ma petite voix intérieure avait reçu un ami à qui parler, et alors, ma petite voix se tait, pour l’écouter. À ce moment précis, une lutte s’engage, et ses célébrations cèdent alors le pas à la mélencolie, et ses encouragements à ne pas abandonner contre la mélencolie.
Tous ses personnages, alors, deviennent des connaissances.
Des amis.
Tu manques. Z’l.