Tour de France 2021 : Emirats arabes unis, Israël, Kazakhstan… Que viennent faire ces « Etats-sponsors » sur la Grande Boucle ?

Dans le peloton, certains coureurs n’arborent pas sur leur dos le logo d’une marque, mais bien le drapeau d’un Etat. Une façon pour ces sponsors d’un nouveau genre de profiter d’une exposition sans égale dans le monde du sport. Et, parfois, de satisfaire des intérêts diplomatiques.

Indice chez vous : les championnats du monde de cyclisme se déroulent habituellement en octobre, sur un circuit, et sous un ciel bas et gris. Si vous voyez, en plein été, sur le Tour de France, une flopée de maillots d’équipes nationales, pas de panique. On n’est pas revenu à l’époque de Jacques Anquetil ou Louison Bobet, quand les équipes de sponsors n’avaient pas droit de cité. Ce sont les Etats qui ont décidé d’investir le cyclisme et son épreuve reine, la Grande Boucle. Retour sur un phénomène qui implique cette année Israël, Bahreïn, les Emirats arabes unis ou encore le Kazakhstan. Quatre « Etats-sponsors » attirés comme de nombreuses marques par l’exposition exceptionnelle offerte par une course diffusée dans 195 pays.

Coureur cycliste et… ambassadeur de la paix

Forcément, quand il a enfilé pour la première fois le maillot de l’équipe Israel Cycling Academy, ancêtre de l’actuelle Israel Start-Up Nation, Clément Carisey s’est demandé ce qu’il faisait là. « Le côté israélien de l’équipe ne sautait pas aux yeux. On échangeait en anglais, la structure sportive était basée en Espagne… Mais la direction de l’équipe a ensuite organisé un stage pour les coureurs étrangers qui n’étaient jamais venus en Israël. » Au programme, visite de kibboutz, ces fameux villages collectivistes, un tour dans Tel-Aviv et à Jérusalem. Le tout ponctué d’un briefing du grand patron, le milliardaire Sylvan Adams, qui insiste sur le rôle d’ambassadeur de la paix de tous les coureurs revêtus du maillot bleu et blanc.

« Aux coureurs israéliens, il n’avait pas besoin de le dire, ils étaient déjà comme investis d’une mission. » Le séjour se termine dans un duplex du grand patron, au sommet d’un immeuble niché sur une artère branchée de la capitale. « Les rideaux étaient tirés, je ne me rappelle pas bien de la vue, mais quelle hauteur sous plafond ! », s’amuse Clément Carisey, aujourd’hui sous contrat avec l’équipe française Delko.

« C’est du ‘nation branding’ ? Oui, et alors ? » 

Israel Start-Up Nation, c’est la nouvelle génération des équipes nationales dans le cyclisme. Pas l’émanation directe de l’Etat, mais la volonté d’un homme d’affaires désireux de rendre à son pays une partie de ce qu’il lui doit. « Sylvan Adams ne fait pas ça pour gagner un centime, il est en train d’écrire sa légende pour les générations futures », abonde Asaf Ackerman, qui a commenté le Tour pendant huit ans pour la chaîne de télévision Sport5il. D’où le choix du nom, qui reprend le titre du livre de deux économistes, Dan Senor et Saul Singer, sur le « miracle économique israélien ».

« C’est un message universel que les Israéliens, du gouvernement à l’homme de la rue, souhaitent mettre en avant, pour reléguer au second plan le conflit israélo-palestinien, toujours aussi clivant », remarque Yoav Dubinsky, professeur au Lundquist College of Business, dans l’Oregon, et spécialiste de la question. Lequel ajoute : « C’est du nation branding ? Oui, et alors ? Que croyez-vous que fait la France quand elle diffuse en mondovision les vues d’hélicoptère de ses paysages, en obligeant les commentateurs du monde entier à en toucher un mot ? »

Astana, l’équipe pionnière

La référence dans le domaine demeure la formation kazakhe Astana, portée jusqu’à récemment par l’ancien champion Alexandre Vinokourov, qui vient d’être écarté de l’équipe. Tout commence en 2000, quand il met le feu au Tour de France avec l’équipe Telekom de Jan Ullrich. A moins que ce soit en 2005, quand la sortie du film Borat entraîne l’humiliation planétaire de ce pays méconnu. Quoi qu’il en soit, l’équipe Astana est créée l’année suivante, avec Vinokourov en tête de gondole et le portefeuille bien garni du président Nazarbaïev. « Le Kazakhstan est le plus gros pays de l’Asie centrale, et il a toujours eu pour but de montrer que les pays en ‘-stan’ ne sont pas tous des repaires de terroristes », résume à gros traits Michaël Levystone, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri), passé par l’ambassade de France à Astana il y a quelques années.

Le maillot de l’équipe reprend le drapeau national avec l’aigle et le soleil, le nom de l’équipe celui de la capitale (« Astana » veut d’ailleurs dire « capitale » en kazakh, les choses sont simples dans ce pays). Le budget est conséquent, c’est le prestige national qui est en jeu : « Les moyens étaient plus élevés que pour les équipes françaises, décrit Julien Mazet, sous contrat avec l’équipe en 2007 et 2008. Ça se traduisait par exemple sur les déplacements : une équipe française va regarder les vols les moins chers alors que, pour nous, Astana nous donnait les plus confortables. On avait des camping-cars haut de gamme. Il y avait une volonté de mettre beaucoup de moyens dans l’équipe.« 

Des arrière-pensées diplomatiques

De là à vouloir attirer des touristes ? « J’ai vécu des années à Astana, imaginez l’architecture de La Défense avec le climat de la planète glaciaire Hoth dans Star Wars, c’est compliqué de faire rêver les foules », s’amuse Michaël Levystone. Les arrière-pensées diplomatiques, elles, sont bien présentes pour un pays qui rêve d’exister sur la scène internationale : « Vous vous rappelez de la photo, un peu ridicule, il faut l’avouer, de François Hollande avec une chapka ? Il était en visite au Kazakhstan, et le président lui a débloqué une entrevue avec Vladimir Poutine. Deux mois plus tard, un accord de paix sur le conflit en Crimée était signé. » Depuis, le pays a même repris le célèbre « very nice » de Borat dans sa communication internationale. L’affront est digéré, quinze ans après.

Une approche décontractée du nation branding (l’image de marque d’un pays) qu’on ne retrouvait pas au sein de l’équipe russe Katusha, récemment disparue du peloton. Sponsorisée par Gazprom (le géant du gaz russe) et un tas de sociétés gravitant autour du pouvoir, l’équipe se définissait comme « le projet global du cyclisme russe ». « Ce n’est pas un projet économique mais bien un projet politique », expliquait le directeur sport de l’équipe lors de la création de Katusha, en 2009.

Les pays du Golfe aux avant-postes

Restent les équipes UAE-Team Emirates et Bahrain Victorious, qui alignent parmi les plus beaux budgets du plateau. Mais une goutte d’eau de 20 millions d’euros pour la première citée, si l’on compare au gouffre financier que représente l’équipe de foot de Manchester City (1,7 milliard d’euros rien qu’en transferts, depuis 2010). Avec de tels moyens, les résultats n’ont pas traîné, comme lors du Tour 2020 avec la victoire surprise du jeune Tadej Pogacar, chef de file de l’équipe des Emirats. La notoriété acquise sur le bitume grâce à lui a été utilisée à des fins assez éloignées du cyclisme, comme en janvier dernier, quand l’équipe s’est affichée sous les couleurs du vaccin chinois mis au point par Sinopharm, le groupe pharmaceutique chinois, fournisseur du pays. Tadej Pogacar s’est même fait tirer le portrait, la manche remontée, lors d’une piqûre en mondovision. Vous avez dit « marketing viral » ?

A l’inverse d’autres équipes sponsorisées par des Etats, ces deux dernières équipes peinent à lancer des jeunes coureurs du cru (à de rares exceptions près) ou à intéresser les locaux à la petite reine, déplore Eric Boyer, ex-manager de l’équipe Cofidis : « Personne n’est dupe. On a tous compris qu’il y a un intérêt politico-économico-diplomatico-touristique. Ils ont des gros moyens, ils veulent gagner. Pardon, mais ils ne font pas ça pour la beauté du sport, ils font ça pour être connus et reconnus. »

Avec le risque que l’intérêt, pour ces nouveaux venus, à figurer dans le peloton, ne soit qu’éphémère, insiste l’ancien cinquième du Tour de France 1988. « C’est sûr que si toutes les équipes françaises avaient 7 ou 8 millions d’euros de plus, on pourrait rivaliser. Mais là… Le risque, c’est que ça ne dure pas. Une fois qu’elles auront fait le tour du cyclisme, elles iront voir ailleurs. Regardez le Qatar : ils ont créé leur Tour national [en 2002], ça a duré quelques années et c’était fini [en 2016]. Là, le pays met le paquet sur le foot et la Coupe du monde l’an prochain. Puis ce sera sûrement autre chose après. » Comment dit-on « la roue tourne » en qatari ?

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