Psychiatrie: peut-on se passer de l’enfermement?

Pour de nombreux psychiatres, les soins sans consentement restent l’unique moyen de protéger la personne d’elle-même.

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DÉCRYPTAGE – Les soins sans consentement ne diminuent pas en France, avec le risque que certains patients traumatisés se coupent du monde médical.

Depuis 2004, le consentement aux soins est inscrit dans la loi française. Aucun acte médical ou traitement ne peut donc être pratiqué sans l’accord libre et éclairé de la personne. Il existe cependant une exception: la psychiatrie.

Dans cette spécialité, il reste possible de recourir aux soins sans consentement, à l’isolement et à la contention. «Il s’agit de répondre à des situations où les personnes sont en incapacité de consentir aux soins en raison d’une conscience altérée de leurs troubles ou des besoins de soin, alors que leur état psychique nécessite des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale», explique le D David Masson, responsable du département de réhabilitation psychosociale du Centre psychothérapeutique de Nancy. Même si «ces pratiques sont très encadrées et doivent être utilisées en ultime recours», pour lui, l’un des enjeux actuels de la psychiatrie est de prévenir et d’éviter, dans la mesure du possible, ce dernier recours.

«Extrême violence»

Pourtant, chaque année, plus d’un quart des personnes hospitalisées en psychiatrie l’ont été sans consentement, rappelle une étude de l’Institut de recherche et d’économie de la santé (Irdes) publiée en juin 2022. Soit près de 80.000 personnes! Parmi elles, trois personnes sur dix seront concernées par des mesures d’isolement, qui consistent à placer le patient dans un espace dont il ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients, selon l’Irdes.

Qui sont les personnes hospitalisées sous contrainte? Principalement des malades souffrant de troubles psychiatriques sévères, notamment de schizophrénie et de troubles bipolaires. «Mais l’enfermement peut concerner tout un chacun. Si vous arrivez aux urgences avec des idées suicidaires, vous pouvez tout à fait être hospitalisé sans votre consentement», explique le Dr Laurent Defromont, psychiatre, chef de pôle psychiatrie du secteur 59G21 dans les Hauts-de-France.

Une hospitalisation sans consentement est souvent très mal vécue par les patients. «Je suis toujours écœurée de la manière dont se déroulent ces hospitalisations. L’isolement, les contentions et la médication forcée ne sont pas du soin! Il y a beaucoup à faire pour penser un accueil plus juste», témoigne Joséphine dans l’enquête menée par le Groupe d’entraide mutuelle L’Antre-2. Hospitalisée sous contrainte lors de crises maniaques, la jeune femme se réveille encore parfois la nuit, en panique, d’un cauchemar où elle ne peut ni bouger ni parler. Certaines situations réveillent en elle des angoisses qu’elle associe à l’enfermement.

Une autre patiente, Sandra, se dit traumatisée par son expérience: «Je ne peux plus retourner à l’hôpital, même dans un autre service, sans faire une crise d’angoisse. Et je refuse de me faire hospitaliser dans un service de psychiatrie depuis, peu importe l’hôpital», raconte-t-elle. Quant à Naïma, elle avoue ne plus dire la vérité à ses soignants de peur d’une nouvelle hospitalisation. «L’hospitalisation sous contrainte est d’une extrême violence, martèle Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). Elle est destructrice de liens. Lorsqu’elle ne se passe pas bien, le risque le plus important est qu’à la sortie, la personne soit à nouveau en rejet de soins, conduisant à des ruptures de soins .»

Actes de prévention

Il est pourtant possible d’agir pour diminuer le nombre d’hospitalisations sous contrainte. «La meilleure façon d’éviter le soin sans consentement est d’intervenir suffisamment tôt avec des politiques de prévention et des soins de premiers recours», souligne le Dr Rachel Bocher, chef de service en psychiatrie au CHU de Nantes. Or les hospitalisations sous contraintes ne baissent pas, bien au contraire. Pourquoi? «À cause notamment des difficultés d’accès aux psychiatres en ville et du manque de lits d’hospitalisation: il est en effet parfois plus facile d’hospitaliser une personne sous contrainte, même si elle ne s’y oppose pas entièrement, car les services de psychiatrie sont alors obligés de l’accepter», explique le Pr Antoine Pelissolo, responsable du service de psychiatrie au CHU Henri-Mondor à Créteil.

Pour de nombreux psychiatres, les soins sans consentement sont un pis-aller qui demeure cependant l’unique moyen pour protéger la personne d’elle-même. Mais aussi, de façon plus inavouée, de protéger la société. «L’idée que les personnes atteintes de troubles psychiques sont dangereuses est très ancrée dans la société, malgré de nombreuses études montrant le contraire», souligne Livia Velpry, sociologue à l’université Paris 8, spécialisée dans l’étude de pratiques de soin en santé mentale. L’enfermement est donc avant tout un moyen de prévenir le risque. «Mais cela n’a rien à voir avec du soin, estime Déborah Sebbane, présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA). Nous pensons au contraire que plus les patients verront leurs droits respectés, plus la psychiatrie respectera ce qu’ils considèrent comme utile pour eux-mêmes, et mieux ils se porteront», insiste-t-elle.

L’association plaide pour une diminution drastique du recours aux soins sans consentement. «Nous devons repenser nos façons de faire. Ce n’est pas uniquement une question de moyens, mais aussi d’organisation et de formation», insiste Déborah Sebbane. Avec des solutions ambulatoires pour prévenir et gérer les crises, mais aussi un accompagnement après l’hospitalisation pour éviter les rechutes. Les solutions existent (lire ci-dessous), mais les bonnes pratiques ont du mal à se généraliser. C’est pourtant une nécessité. «Car, tant que nous aurons ces pratiques stigmatisantes, notre spécialité restera stigmatisée», insiste Marine Lardinois, vice-présidente de l’AJPJA.

Par Anne Prigent  www.lefigaro.fr

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