A la suite des attentats du début de l’année, l’opération Sentinelle a été déclenchée le 12 janvier. Mobilisant d’abord 10000 hommes, elle devait s’inscrire dans la durée avec 7000 hommes chargés de la protection d’environ 800 sites sensibles, dont près de la moitié en région parisienne. Suite aux attaques de vendredi, l’Elysée a annoncé l’arrivée de 3000 hommes en renfort.

Comme la Ligne Maginot en 1940, le dispositif militaire de sécurité intérieure a été contourné par l’ennemi. Les terroristes n’ont pas attaqué les sites protégés par l’opération Sentinelle, en particulier ceux de la communauté juive, mais ils ont porté le feu ailleurs. Là où il n’y avait pas de militaires. A cet égard, le Bataclan est un nouveau Sedan.

Les attaques du vendredi 13 soulignent l’impossibilité d’assurer la protection des Français, désormais tous menacés, grâce au déploiement de l’armée dans les rues. L’Elysée peut bien annoncer l’arrivée de 3000 hommes en renfort, qui s’ajouteront aux 7000 déjà engagés, le problème reste entier : quel rôle l’armée peut-elle jouer dans la sécurité intérieure ?

Depuis des mois, ce sujet fait l’objet de discussions entre les responsables gouvernementaux et militaires. Les attentats de Paris vont les relancer, voire les amplifier, parce que la question de l’efficacité du dispositif se pose désormais de manière criante.

Dès les lendemains des attentats contre Charlie et l’Hyper Cacher, les militaires avaient été déployés, dans le cadre de l’opération Sentinelle, pour protéger certains sites sensibles. 7000 militaires  (l’équivalent de deux brigades sur les 12 que compte l’armée de terre) l’étaient depuis lors de manière permanente. Au passage, le ministère de la Défense a bénéficié d’une rallonge budgétaire de 4,8 milliards, qui a permis de préserver 18 500 postes. Une mesure très bien accueillie dans la troupe, le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Bosser, assurant même les députés de sa « pleine satisfaction ».

Mission de protection ponctuelle. Mais il y a un hic : les soldats professionnels ne sont pas des vigiles ou des supplétifs des forces de police. Si, dans une situation d’urgence, ils peuvent être engagés dans des missions de protection ponctuelle, ils n’ont pas vocation à l’être de manière permanente et massive. Malgré les primes et la médaille qui vient d’être créée, Sentinelle n’est guère populaire dans les casernes. Monter la garde dans les rues de Paris, ce n’est pas ce que les jeunes venaient chercher en s’engageant.

Depuis l’été, les états-majors cherchaient donc à faire évoluer leur dispositif, en le rendant plus mobile, plus réactif, moins « scotché », selon le mot d’un officier. Or, scotchés, les militaires le sont pour l’essentiel devant les sites de la communauté juive. D’où la gêne de tous les responsables sur cette question. Personne ne veut fournir des chiffres précis : environ 800 sites sont concernés par l’opération Sentinelle et parmi eux « une grande majorité de lieux de culte et d’écoles », reconnaît-on au ministère de la Défense. En dehors de la communauté juive, un officier assure que « des dizaines d’églises sont concernées et que les mosquées sont plutôt protégées par des patrouilles » que par une garde permanente. La liste des sites sensibles est fixée par le ministère de l’Intérieur, sur la base du travail des préfets, l’armée agissant ensuite dans le cadre d’une « réquisition ».

Selon les services de renseignement intérieur, la communauté juive, notamment ses écoles, fait toujours l’objet d’une menace très sérieuse. Après l’affaire Ilan Halimi, les attaques de Mohammed Merah contre l’école Ozar Hatorah (4 morts, dont 3 enfants) et d’Amedy Coulibaly contre l’Hyper Cacher (4 morts) ont profondément traumatisé les Français d’origine juive. Ils attendent que la République les protège et les rassure. Mais depuis vendredi, tous les Français sont désormais dans leur cas.

Jusqu’à présent, personne au sommet de l’Etat n’a voulu prendre le risque de retirer un militaire de la protection d’une école juive. L’armée est bel et bien « scotchée », une situation inconfortable du point de vue tactique. Mais, explique un responsable gouvernemental, « si l’Elysée a décidé de préserver des effectifs et d’augmenter le budget de la Défense, c’est pour faire Sentinelle et pas des missions de sécurité intérieure que l’armée s’inventerait », comme la protection des frontières avec les migrants ou le « contrôle de zones » dans les quartiers sensibles.

Rapport au Premier ministre. Une réflexion gouvernementale sur l’engagement de l’armée en France, pilotée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), est en cours. Elle devait aboutir en janvier à la remise d’un rapport au Premier ministre, fixant le nouveau cadre d’emploi de l’armée sur le territoire national. La nouvelle donne terroriste risque de compliquer encore les choses.

Dix mois après le déclenchement de l’opération Sentinelle, on ne connaît toujours pas les grands principes qui doivent guider l’action militaire sur le sol national, c’est-à-dire face à des Français dans le cadre d’un Etat de droit. « Pour un militaire, un citoyen ne peut pas devenir un adversaire », explique-t-on à l’état-major des armées. « Nous pouvons être engagés pour faire face à la menace terroriste, mais pas dans des missions d’ordre public ». Des généraux ont, un temps, réclamé que les militaires reçoivent certains pouvoirs de police… ce qui revenait à les transformer en gendarmes. L’état d’urgence décrété et la « guerre » dont parle le chef de l’Etat vont-ils faire évoluer les choses dans ce sens ? On se retrouverait alors dans une situation proche de celle des débuts de la guerre d’Algérie, quand les socialistes étaient déjà au pouvoir.

Pour le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, « plutôt que de suppléer les forces de sécurité, les armées doivent apporter des savoir-faire complémentaires ». Reste à savoir lesquels ? Personne n’a encore fourni de réponses définitives et convaincantes. « La capacité de travailler jour et nuit, une grande mobilité, un savoir-faire en matière de renseignement – tant humain que via des drones », expliquait récemment le patron de l’armée de terre. Tout ou presque, sauf des gardes statiques permanentes…

L’armée de terre n’est pourtant pas prête à renoncer à cette mission Sentinelle. Par conviction, comme l’exprime le général de Villiers : « La mission des armées, en temps de crise comme en temps de paix, est de protéger tous les Français où qu’ils se trouvent. » Mais aussi par intérêt bien compris. Car Sentinelle lui a permis de sauver ce qui fait le cœur de son identité : ses effectifs.

Jean-Dominique Merchet l’Opinion

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