Quand l’ennemi est l’ami d’un ami

Les pires craintes du Hezbollah se concrétisent, au-delà de l’élimination de Kuntar

Hezbollah members carry the coffin of Lebanese terrorist Samir Kantar during his funeral procession in Beirut on 21 December 2015. Kuntar was killed in a suspected Israeli air raid on his home on the outskirts of Damascus. (AFP/Anwar Amro)

 

L’élimination de Samir Kuntar au début de la semaine a été vécue comme une gifle retentissante au visage du Hezbollah et de l’Iran – non pas parce que Kuntar est mort, mais bien parce que leur base de soutien au Liban et dans la région comprend désormais ce que signifie leur alliance compliquée avec la Russie. Conformément à cela, la vulnérabilité croissante de l’Iran sera progressivement plus visible et cela secouera encore plus toute confiance subsistante que les Chiites de la région manifestent envers l’Iran et le Hezbollah.

Cette semaine, les Chiites – principalement au Liban – sont confrontés au fait amer que la Russie a permis -ou n’a pas pu empêcher, ce qui revient au même- à Israël d’éliminer Kuntar. Le discours de Nasrallah, le chef du Hezbollah, à la suite des funérailles de Kuntar a été plus que bancal. Il n’a parlé de Kuntar que pendant quatre froides minutes avant de se déchaîner dans une diatribe de plus de vingt minutes, à propos de la situation des Chiites au Nigéria et des sanctions américaines contre le Hezbollah.

Nasrallah, en réalité, est bien plus préoccupé par ces trois problèmes :

D’abord, les sanctions américaines contre le Hezbollah n’ont, récemment, fait qu’augmenter. Certains analystes économiques au Liban disent que l’objectif de ces sanctions consiste à s’assurer que le Hezbollah ne recevra pas plus d’argent que nécessaire, à la suite de l’allègement des sanctions contre l’Iran et le chef du Hezbollah est certainement inquiet de cette perspective. Sans argent à verser à ses services sociaux, à ses combattants et à leurs familles, lui et son parti sont condamnés. Aujourd’hui, les journaux et médias pro-Hezbollah laissent transpirer des nouvelles qui font peser des menaces claires contre les banques du Liban.

Deuxièmement,le Hezbollah est plus paralysé que jamais par les nouvelles alliances compliquées autour de la Syrie et de l’Irak. Nasrallah sait déjà qu’il est hors de question de mener des représailles contre Israël qui puissent déclencher une nouvelle guerre, pourtant un certain type de représailles est nécessaire – quelque chose comme celles qui ont fait suite à la mort de Jihad Mughniyeh l’an dernier. Mais l’accord iranien, suivi par la nouvelle alliance entre la Russie et l’Iran au sujet de la Syrie, et la coordination en cours entre la Russie et Israël, dont l’élimination de Kuntar donne un petit échantillon, rendent toutes représailles du Hezbollah bien plus compliquées encore.

La troisième question en suspend concerne le rôle exact de la Russie en Syrie. Les cercles dirigeants iraniens et du Hezbollah savent qu’ils ne peuvent pas faire confiance à la Russie : sa priorité est de sauver le régime d’Assad, pas de protéger les intérêts de l’Iran. En fait, ce que veut l’Iran en Syrie diverge de façon substantielle de ce que veut la Russie, mais la base populaire de ses partisans n’étaient pas encore au courant de ces divergences. La mort de Kuntar a révélé la cruelle vérité à propos de la coordination entre la Russie et Israël et à quel point cela peut s’avérer grave, lorsqu’il s’agit de prendre pour cibles des commandants et/ou des atouts du Hezbollah. Le Hezbollah ne peut pas répliquer à un niveau équivalent et, à présent, la base populaire des partisans comprend cette cruelle vérité.

Pour ses partisans, l’Iran est censé tout surpasser. L’Iran n’est pas présent en Syrie pour passer des compromis qui ferait vaciller son autorité et son contrôle des événements et il n’est certainement pas supposé accepter de voir un allié se coordonner avec un ennemi, son pire ennemi.

L’élimination de Samir Kuntar a révélé deux choses à la base populaire des partisans chiites : que l’Iran est en réalité faible et que la révolution islamique se compromet en Syrie, et d’autre part, que la région s’est déplacée bien au-delà du conflit israélo-arabe et que le Hezbollah a bien d’autres priorités différentes.

Pour le Hezbollah, la part d’ombre la plus troublante de cette coordination militaire entre la Russie et Israël est qu’elle permet à Israël de survoler librement la Syrie, tant qu’il se coordonnera avec la Russie. D’autre part, la Russie connaît la logistique et les détails militaires du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution iranienne en Syrie. Il est extrêmement inquiétant, pour le Hezbollah, que la Russie puisse être tentée de partager ces détails avec Israël dans le cadre d’un tel arrangement. En même temps, l’Iran n’est pas bénéficiaire de l’intervention russe. Au contraire, elle met en péril ses plans, à la fois aux niveaux diplomatiques et militaires, qui pourraient, en définitive,finir par mettre en péril ses ambitions dans la région.

En ce qui concerne la Russie, l’Iran, ses intérêts et ses commandants tués au combat peuvent bien aller au Diable. La Russie est en Syrie pour la Russie, pas pour l’Iran. Quand l’Iran et les Etats-Unis ont signé un accord, en juillet dernier, on l’a vendu à la base populaire des partisans chiites comme une victoire. « Nous avons ramenés les Etats-Unis à la table », ont-ils dit. « Nous conservons notre programme nucléaire », ont-ils déclaré. « Nous ne serons jamais les alliés des américains ». Il n’a pas été facile de satisfaire tout le monde, mais au moins l’Iran n’était pas perdant dans cet accord. Cependant, avec l’intervention russe en Syrie, l’Iran perd véritablement du territoire, certaines formes de contrôle et certaines de ses perspectives d’avenir.

Ce sera extrêmement difficile à vendre, cette fois, à ces partisans.

 Publié le : 23/12/2015 02:20 PM

Hanin Ghaddar est rédactrice en chef de NOW et chercheuse non-résidente au Conseil Atlantique (Atlantic Council). Elle tweete @haningdr

now.mmedia.me

Adaptation : Marc Brzustowski

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Gilbert schwarcz

Analyse juste … L’a présence de la Russie en Syrie n’est pas forcément une bonne chose pour le tandem Iran/Hezbollah car ils seront encadrés ….
En parallèle la présence russe en Syrie n’est pas une aussi mauvaise chose que certains spécialistes avaient annoncées pour Israël ….tant que cette implantion dans les ports et aéroports sur les côtes syrienne sera jugée utile par Poutine …..
En dernier ressort cela permet aux uns et aux autres d’avoir un téléphone rouge relié avec le bureau du général en chef commandant l’armée russe dans la région … Et les russes n’aiment pas les vagues ….les iraniens et le hezbollah vont l’apprendre à leurs dépends …….