Elections régionales: le danger du Guépard

Le « ouf » est général. La question est de savoir si une fois la grande frayeur passée, les différentes forces politiques vont ou non retourner au « business as usual » comme s’il ne s’était rien produit de fondamental dans la vie politique française.

Vendredi matin, au micro de France Inter, une auditrice avait intelligemment interpellé Manuel Valls, qui, visiblement, s’en est rappelé dimanche soir : autrefois disait-elle en substance, le vote pour le FN était un vote « contre » le système, et le vote pour le PS ou les autres partis dits « républicains » était un vote de conviction. Aujourd’hui, poursuivait-elle, le vote pour le FN est devenu un vote d’adhésion, le vote « contre » étant tout ce qui reste pour cimenter les autres.
Et c’est en effet ce qui s’est passé dimanche. La gauche dans ses différentes composantes, et la droite dans sa relative diversité, ont su s’entendre pour écarter le péril. Point. Rien pour autant ne les rapproche, ni les socialistes des Républicains, ni le PS du reste de la gauche.

On est très loin du CNR de la Libération, très loin du contrat de gouvernement à la Pierre Mendès France, très loin de la grande coalition d’Angela Merkel. Dimanche soir, pourtant, au milieu de propos convenus on a assisté à un cri du cœur, un profil bas et une timide tentative de recomposition politique.

Xavier Bertrand, dont les yeux levés au ciel disaient assez le soulagement, a vu la mitraille de près. « Cela changera à jamais ma façon de faire de la politique » a-t-il dit, sincère. Il a d’ailleurs, dès la deuxième phrase de son discours, remercié la gauche de s’être mobilisée pour lui. Normal, direz-vous. Pour autant tout le monde ne l’a pas suivi avec le même empressement.

Bruno Le Maire, tout occupé à faire la promotion d’une nouvelle génération politique, entendez de lui-même, n’a pas réussi à le faire.

Nicolas Sarkozy a remercié les électeurs « quelle que soit leur appartenance politique », et bien que prononcer le mot gauche eût été pour lui visiblement inconvenant, il a fait cependant profil bas. Et s’il a cité « l’affirmation de notre identité » dans les aspirations qu’il estime être celles des Français, il s’est bien gardé de prononcer le mot « immigration » comme il le faisait depuis plusieurs semaines et notamment la dernière.

Alain Juppé a fait une déclaration décalée, où la « certaine idée de la France » gaullienne, est devenue « mon idée de la France » juppéiste. Pas très neuf et présidentiel à contre temps.

Quant à Manuel Valls, tout soulagé lui aussi que son front républicain ait fonctionné, il a esquissé, comme il le fait depuis plusieurs mois, un appel au « construire ensemble » auquel faisait écho sur France 2 un peu plus tard, Julien Dray, qui s’essayait à défendre des majorités d’idées à l’anglo-saxonne ou plutôt à l’allemande, voire un nouveau nom pour le Parti socialiste.

Le vote de 6,8 millions d’électeurs au deuxième tour pour le FN- un record absolu pour ce parti – ne s’efface pas dans un soupir de soulagement. Si on peut se rassurer en constatant, pour l’heure, que le seuil des 50% apparaît difficilement atteignable par le FN, et qu’une victoire de Marine Le Pen semble encore peu probable en 2017, regardons un peu en arrière. Il y a encore quelques années, qui aurait parié que le FN serait en tête au premier tour dans six régions sur douze, qu’il serait sur le point de l’emporter dans trois, et ne serait vaincu finalement que par la coalition hétéroclite de tous ceux que cette perspective effraie ?

On ne fera pas le coup aux Français plusieurs fois. Tous ceux qui, depuis Esope, connaissent la fable du garçon qui crie au loup si souvent, qu’on néglige de le secourir quand le loup est là, reconnaîtront le danger. Ce n’est pas le vote pour le FN qui est immoral, mais certaines de ses propositions qui le sont, de surcroît nuisibles à une démocratie du XXIème siècle. Je ne crois pas pour autant à la thèse rassurante qu’il suffise de le diaboliser, voire de montrer son vrai visage, pour l’écarter. Le résultat de ce dimanche est un couvercle mis sur une marmite bouillante. La seule question importante est de savoir comment empêcher le couvercle de sauter un jour. Marine Le Pen, à laquelle des journalistes, l’autre jour, faisaient remarquer qu’elle pourrait bien se voir privée de présidence de conseils régionaux, a répliqué, dents serrées, qu’après les mairies et les départements, elle allait s’implanter, quoiqu’il arrive, dans toutes les régions, et que privée de débouché institutionnel, la colère de ses électeurs n’en serait que plus grande.

Ces élections régionales étaient la dernière sortie avant l’autoroute qui va désormais jusqu’en mai 2017, sans baromètre visible autre que les sondages.

Craignons que le gouvernement ragaillardi, se rendorme en attendant que baisse le chômage ; que les pires pratiques des élus perdurent, et qu’ils continuent de manier l’invective comme le fit Claude Bartolone auquel son dérapage aura peut-être coûté l’élection ; que Les Républicains de Nicolas Sarkozy continuent non pas seulement de courir, mais de servir de marchepied à l’extrême droite en ne brandissant qu’identité, immigration et racines chrétiennes de la France; que le Président de la République, après la tragédie du 13 novembre, la grande peur des régionales, et le triomphe de laCOP21, retourne aux jeux où il excelle – un gramme de Duflot ici, un soupçon de Macron là !

Le pire qui puisse arriver, serait en effet qu’il ne se passe rien et que la classe politique ne veuille, comme l’un des personnages du Prince de Lampedusa, l’auteur du Guépard, « que tout change pour que rien ne change ».

Anne-Sinclair-a-Paris-le-23-janvier-2012

Anne Sinclair

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Maguid

A propos de la cop 21, pour moi, le soit-disant réchauffement climatique n’est
rien d’autre que le moulin-à-vent de Don Quichotte.