Seulement quelques kilomètres séparent ce qui était jadis appelé « Muhayyam al Yarmouk » de l’élégant palais du président Bachar al-Assad situé sur le mont Qassioun. Je me demande s’il peut parfois entendre les cris des victimes innocentes dont les têtes et les mains sont tranchées par les membres du groupe Etat islamique (EI), ou s’il perçoit les larmes silencieuses des petits enfants privés de pain, d’eau et de médicaments.

C’est évidemment une question rhétorique, le camp de Yarmouk n’est pas le premier endroit confronté à des souffrances intenables en Syrie et ce ne sera pas le dernier non plus. 250 000 personnes ont péri dans les flammes de la guerre syrienne jusqu’à aujourd’hui et cela ne semble pas impressionner le président. Mais il semble aussi que personne dans le reste du monde s’intéresse vraiment à ce qui se passe à Yarmouk.

Certains sites web, journaux et magazines publient des informations sur la situation à Yarmouk, un camp informel qui abritait jusqu’à tout récemment plus de 145 000 réfugiés palestiniens. Cela étant, aucun match de foot n’a été interrompu par les dernières nouvelles en provenance de Yarmouk. Aucun chef d’Etat ne s’est précipité pour tenir une conférence sur la question. Il n’y a pas eu de réunion importante de la Ligue arabe ni de convocation de l’Organisation de la coopération islamique, ni de manifestations de solidarité organisées au Caire, à Paris, à Londres, à Amman, à Rabat, à Tunis ou dans toute autre ville.

Et bien qu’au cours des deux dernières années plus de 1 000 Palestiniens ont été tués à Yarmouk, dont de nombreux enfants et adolescents, le monde n’a pas entendu un seul nom d’une seule des victimes, un nom qui serait entré dans notre mémoire collective comme Mohammed al-Durrah, ce garçon de 12 ans de Gaza qui a été tué lors d’une fusillade au deuxième jour de la seconde Intifada. Jusqu’à présent, quand on “googlise” le nom Mohammed, le nom de Mohammed al-Durah sort en premier. Son nom a été attribué à des nouveaux nés et à certaines entreprises en sa mémoire. Une vague de colère et de solidarité avec la souffrance des Palestiniens a alors déferlé dans le monde entier et particulièrement le monde arabe.

Les Palestiniens vivent actuellement des souffrances horribles dans des « conditions inhumaines », selon le personnel de l’UNRWA (agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, ndlr) en Syrie. Ils ont d’abord été obligés de choisir leur camp: en tant que Palestiniens, ils étaient censés être fidèles à Bachar al-Assad et en tant que musulmans sunnites, ils étaient censés être loyaux envers l’opposition. Au cours des dernières années, Yarmouk, qui est en fait un quartier de la classe moyenne-inférieure du sud de Damas, a été bombardé, conquis, reconquis, assiégé et divisé. Des innocents y sont morts, y compris des enfants, des femmes et des personnes âgées, alors que le régime et l’Armée syrienne libre (ASL), et plus tard le régime et les militants du FPLP (faction palestinienne de gauche, ndlr) qui lui sont fidèles, le Hamas, l’ASL et l’État islamique (EI) y réglent leurs comptes.

Où est la solidarité envers ceux qui souffrent à Yarmouk et pourquoi ne se traduit-elle pas par de grandes manifestations contre la brutalité et les tueries? En fait, pourquoi n’y a-t-il pas eu jusqu’ici une seule manifestation significative contre l’EI dans une capitale arabe ou européenne? Les Egyptiens et les Jordaniens ont certes été scandalisés par l’assassinat de leurs compatriotes par l’EI en Libye et en Syrie. Mais ces manifestations étaient clairement une affaire de vengeance, du moins aux dires des gens qui y ont participé, et non une dénonciation de l’EI en tant que tel. Personne n’a jamais pensé organiser une manifestation de masse contre l’assassinat des Yézidis irakiens l’été dernier, alors que les villes européennes brûlaient de rage après l’opération israélienne à Gaza.

Et maintenant, seulement quelques mois après Gaza, personne ne pense apparemment que la souffrance des Palestiniens en Syrie vaut la peine d’être mentionnée, et de consacrer son temps pour elle. Ce n’est pourtant pas les images vidéo de Yarmouk qui manquent et les lignes téléphoniques fonctionnent encore. Alors la conclusion logique est que les Palestiniens sont seulement importants aux yeux des dirigeants politiques quand ils souffrent à Gaza ou en Cisjordanie.

Nahar al-Bared, qui a été rasé au Liban en 2007, ou al-Yarmouk en Syrie, qui a été lancé tel un os à un chien par les forces d’Assad dans les bras de l’EI, ne comptent pas. La situation est particulièrement intriguante parce qu’au même moment, Bachar al-Assad est engagé dans un processus de re-légitimation par les États-Unis, l’UE et d’autres acteurs, qui ne veulent tout simplement plus être dérangés par des termes tels que “Syrie”, “EI” ou “réfugiés”.

C’est pourquoi la bataille actuelle de Yarmouk est si importante pour le régime, tout comme la bataille historique de Yarmouk l’avait été pour les premiers musulmans en 636, lorsque l’avenir de la Syrie était en jeu. Le maître de la stratégie, Bachar al-Assad, encore plus brillant qu’ont pu l’être Hosni Moubarak, Mouammar al-Kadhafi et Zein al-Abidin Bin-Ali, a sacrifié les Palestiniens pour pouvoir gagner une plus grande bataille. Malheureusement et de manière tout à fait prévisible, les Palestiniens ont encore été des pions dans les mains d’un régime arabe. C’est pourquoi il est peu probable que le monde entende parler d’un autre Mohammed al-Dura en provenance de ce qui était autrefois connu comme le camp des réfugiés palestiniens de Yarmouk.

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Ksenia Svetlova est députée à la Knesset et experte des questions arabes. Elle est candidate au doctorat à l’Université hébraïque de Jérusalem.

i24news.tv

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