Médine et l’antisémitisme : « EELV, l’inquiétante dérive »
Tribune
Par Chantal Cutajar et Corinne Lepage
Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement, et Chantal Cutajar, présidente exécutive du parti CAP21-LRC, parti qui promeut une « écologie au centre », ont rompu avec l’écologie d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Dans une tribune, elles dénoncent les ambiguïtés de ce parti, qui refuse de condamner le tweet soupçonné d’antisémitisme de Médine, rappeur qu’EELV compte toujours sur la liste des invités de ses universités d’été.
L’indignation légitime, provoquée par le maintien de l’invitation du rappeur Médine aux universités d’été d’EELV et à la rentrée politique de LFI, a été déclenchée par un tweet dans lequel il qualifie l’essayiste Rachel Khan, militante du combat pour l’universalisme républicain et la laïcité, de « ResKhanpé ».
L’origine juive de Rachel Khan et sa filiation, petite fille de déportés, sont de notoriété publique. Le caractère antisémite de ce qui ne peut en aucun cas être un « jeu de mots » est évident. Considérer a posteriori, comme le fait son auteur, que « la formule n’est pas adaptée et qu’elle n’était pas dirigée vers sa famille ni vers les victimes du drame de la Shoah » ne suffit pas à effacer ce qui est une parole répréhensible, susceptible de tomber sous le coup de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 qui réprime l’incitation à la haine.
ANTISÉMITISME ?
La question qui se pose alors aux responsables politiques, de tous bords, est celle de la légitimité du maintien de l’invitation du rappeur Médine, d’autant plus qu’il n’en est pas à son premier dérapage sur ce terrain de l’antisémitisme.
En 2014, il postait sur les réseaux sociaux sa photo faisant le geste de la quenelle dans les locaux de la radio Skyrock en soutien à Dieudonné. En 2018, après avoir été niés, ses liens avec l’association « Havre de savoir », qui avait invité des prédicateurs notamment antisémites, homophobes et misogynes, étaient révélés. Chaque fois ses explications affligeantes ne convainquent pas plus que les « excuses » présentées à la suite de l’insulte à caractère antisémite proférée à l’endroit de Rachel Khan.
Il n’est pas question ici de remettre en cause la liberté artistique des rappeurs ni même de dénier au rap son caractère artistique. On peut toutefois ne pas apprécier des textes parfois très virulents contre les symboles du pouvoir, la police ou la justice, dont certains vont bien au-delà de la dénonciation des problèmes sociaux tels que l’homophobie, le racisme, la pauvreté, le chômage ou encore l’exclusion qui doivent être combattus.
Cependant, les propos litigieux n’ont pas été proférés dans un contexte culturel. Il s’ensuit que la présence de Médine à des rassemblements politiques d’importance comme le sont les universités d’été des partis politiques, questionne les fondements même de ces partis, leur socle de valeurs et leur hiérarchie. La question est somme toute assez simple : doit-on faire prévaloir un engagement politique contre la réforme des retraites sur des propos clairement antisémites ou bien considère-t-on que l’antisémitisme est un mal absolu et que la responsabilité première d’un mouvement politique, qui s’inscrit dans l’arc républicain, est d’exclure les porteurs de haine ?
De toute évidence LFI défend la première alternative, dont la député Alma Dufour considère que « ce genre d’engagement est très utile pour lutter contre l’abstention, notamment de la jeunesse et des quartiers populaires ». Pour EELV, les choses sont beaucoup plus ambiguës. Déjà en 2022, la rupture avec CAP21-LRC au sein du pôle écolo constitué pour les régionales a été consécutive au refus d’EELV de clarifier sa position sur la laïcité, entraînant son éviction. Si le mouvement répète à l’envi qu’il condamne l’antisémitisme, il le ramène systématiquement à une forme de racisme lui déniant toute spécificité.
CLARIFICATION ?
Pour expliquer le maintien de l’invitation du rappeur, la secrétaire nationale d’EELV considère que ce dernier n’était pas véritablement conscient de la gravité de ses propos. Elle lui propose un chemin de rédemption à l’occasion des universités d’été où il débattra avec elle et sous son œil vigilant sur le thème « la force de la culture face à la culture de la force ». Ce grand moment de résilience se déroulera en même temps qu’une dédicace, une rencontre avec les élus verts et écologistes et un apéro…
En réalité, EELV maintient la présence du rappeur qui dérape par idéologie et stratégie, tout simplement parce que la lutte contre l’antisémitisme et sa dénonciation ne sont pas dans son ADN ni une priorité. Dans l’échelle des valeurs promues par le mouvement, elle vient d’ailleurs bien loin derrière d’autres préoccupations y compris s’agissant des discriminations. Aussi apportons-nous tout notre soutien à Rachel Kahn et rappelons avec force que la lutte contre l’antisémitisme doit être une priorité où, en ces temps de crises multifactorielles, la tentation odieuse du bouc émissaire ressurgit. Pour nous la politique est avant tout une affaire de convictions et de principes. La fraternité et la responsabilité doivent dicter nos choix pour construire le bien commun qui est notre seul horizon possible. C’est la raison pour laquelle nous considérons que la présence de Médine aux Universités d’été d’EELV disqualifie ce parti dans ses prétentions à gouverner.
Par Chantal Cutajar Par Corinne Lepage
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« Le caractère antisémite de ce qui ne peut en aucun cas être un « jeu de mot » est évident. » © SADAKA EDMOND/SIPA
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Les verts pastèques :
vert a l’extérieur et rouge à l’intérieur.
Merci à Corinne Lepage et à Chantla Cutajar pour ces propos clairs de lutte contre l’antisémitisme, pour le respect de la laïcité et du fait même de leur engagement politique, pour la défense de l’environnement. Ce sont trois combats qui me paraissent vitaux pour ce XXIème siècle.