Thierry Baudet: « L’Union européenne doit être démantelée »

 

A 32 ans, Thierry Baudet est le chef de file du courant intellectuel de la nouvelle droite néerlandaise eurosceptique. Dans les médias et sur Internet, ce philosophe donne des munitions au populisme anti-bruxellois. Dans un essai, il théorise la nécessité d’un nouveau souverainisme. Quoique contraire à la ligne éditoriale de L’Express, cette voix, qui pèse dans la République des lettres européenne, peut être écoutée.

AMSTERDAM - portret van Thierry Baudet COPYRIGHT ROBIN UTRECHT<br /><br />
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L’intellectuel néerlandais juge que l’UE édictant 70 à 80% des règles, elle abolit la démocratie en supplantant les parlements nationaux.

 

 

 

Un vent mauvais souffle sur l’Europe. On l’entend rugir jusqu’à Amsterdam, capitale des Pays-Bas, longtemps si fiers de leur rôle fondateur dans la construction européenne, avant de mettre à mort, avec la France, le projet de traité constitutionnel pour l’Union, lors du référendum de 2005. Entretien avec la figure de ce courant aux Pays-Bas, Thierry Baudet, auteur d’Indispensables frontières. Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie (éditions du Toucan). 

Derrière votre défense et illustration de l’Etat-nation, vous dressez un réquisitoire contre la construction européenne. Pourquoi? 

Cette construction soulève des problèmes qui apparaissent au grand jour comme jamais: crise en Grèce, immigration non contrôlée encouragée par les frontières ouvertes… Le mensonge est patent: on nous disait que mettre ensemble les pays européens nous rendrait plus forts. C’est l’inverse qui s’est produit. L’Union européenne est un exemple de ces organisations supranationales dont les pouvoirs prévalent sur ceux de ses membres et qui sans cesse élargissent leur champ d’intervention. On a perdu de vue l’axiome de base: la démocratie et l’Etat de droit reposent sur la souveraineté nationale. Si l’on veut les préserver, il faut soit créer un Etat-nation européen, sur le modèle des Etats-Unis, soit démanteler le projet actuel. Or, comme il est ridicule de croire à une identité nationale européenne, il n’y a pas d’autre conclusion que de revenir à l’Etat-nation. 

Vous accusez l’UE d’écraser les identités nationales. Mais chaque jour démontre, en Grèce, en France ou ailleurs, que celles-ci sont plus vives que jamais! 

C’est précisément parce que les particularismes nationaux s’exacerbent et divergent que le projet européen tourne au conflit. Comme dans un couple, mieux vaut accepter les différences que tenter une fusion artificielle. Le sud de la zone euro aurait tout intérêt à dévaluer sa monnaie pour devenir plus compétitif et plus attractif aux investisseurs. 

Vous appelez donc à la fin de l’euro… 

A son démantèlement, oui. L’euro est une solution des années 1970 à des problèmes des années 1950. Chaque pays a besoin de pouvoir agir sur ses taux d’intérêt et son propre taux de change afin d’ajuster sa compétitivité. En outre, contrairement à ce que l’on dit, l’euro n’a pas beaucoup contribué à l’essor des échanges entre Européens. Le Royaume-Uni, le Danemark, la Suisse, qui sont hors de la zone euro, sont-ils moins riches que nous? Est-ce que nous avons cessé de commercer avec eux parce qu’ils ont gardé leurs devises nationales? Bien sûr que non! 

Les traités européens réaffirment l’objectif d’une « union toujours plus étroite entre les peuples ». Cela vous conduit à croire que l’utopie fédéraliste est toujours vivante. Pourtant, plus aucun homme politique de premier rang n’ose désormais la défendre! 

C’est vrai. Mais la méthode Monnet a inévitablement, qu’on le veuille ou non, mis en place une machinerie qui exige un renforcement du pouvoir centralisateur. Une monnaie unique nécessite un contrôle budgétaire central et d’énormes transferts financiers pour répondre à la divergence des conjonctures économiques et, comme aux Etats- Unis, une mobilité du marché du travail à l’échelle du continent – ce qui est impossible compte tenu de notre diversité linguistique. Seuls les PDG et la main-d’oeuvre non qualifiée sont vraiment mobiles. Aux Etats-Unis, le pouvoir fédéral dépense environ 30 % du PIB. En Europe, il faudrait un niveau bien plus élevé pour compenser l’insuffisante mobilité et la rigidité du marché du travail. Ce serait absurde et irréalisable. Enfin, l’ouverture des frontières internes que nous connaissons aujourd’hui implique une politique unique sur l’immigration et le droit d’asile, une politique étrangère commune, un ministère européen de la Justice, une CIA et un FBI européens… L’ambition proclamée de l’UE suppose donc le passage à un Etat européen fédéral. 

Nos hommes politiques qui repoussent une telle perspective seraient donc inconscients ou refuseraient de dire la vérité? 

Oui, ils sont incompétents et superficiels, ou alors ils mentent. Probablement un mélange des deux. Je ne suis guère impressionné par le niveau intellectuel de la classe politique européenne. Rien ne les incite à faire preuve d’honnêteté sur ce sujet, car les électeurs rejetteraient un tel schéma fédéraliste. 

Dans le classement des plus riches, par PIB par habitant, les Néerlandais figurent au deuxième rang de la zone euro, derrière les Luxembourgeois. N’est-ce pas paradoxal d’entendre un Néerlandais en appeler à la fin de l’Union alors que les Pays-Bas ont été l’un des grands gagnants du marché unique? 

Je suis convaincu que d’autres formes de coopération européenne, fondées sur le libre-échange, permettraient d’obtenir une prospérité identique ou supérieure sans présenter le même profil de risque qu’aujourd’hui. Voilà pourquoi je souhaiterais que les Pays-Bas se retirent de l’UE. Car, si d’un point de vue formel notre pays possède toujours ce droit de retrait, et donc sa souveraineté, en pratique, la souveraineté matérielle a pratiquement disparu. 

En quoi l’Union européenne met-elle vos droits démocratiques en danger? 

C’est évident. Prenez les politiques d’immigration: elles sont très largement dictées par Bruxelles. A cause de l’accord sur l’ouverture de nos frontières, nous ne pouvons plus contrôler les flux en provenance des autres pays européens. Par ailleurs, Bruxelles fait pression sur les Etats pour les forcer à accepter des demandeurs d’asile. L’an dernier, notre gouvernement a ainsi été empêché d’expulser des demandeurs d’asile en provenance d’Afrique du Nord parce que cela contrevenait à la ligne européenne. Avec de 70 à 80 % des règles édictées à Bruxelles, l’UE supplante les Parlements nationaux et abolit la démocratie. Les Néerlandais, les Danois, les Français n’ont plus le dernier mot. On touche à l’absurde. Prenez l’exemple des nettoyeurs de fenêtres, qui ne sont désormais plus autorisés à travailler avec des échelles! Les panneaux de signalisation pour la natation, le volume des tondeuses à gazon, la taille des préservatifs… Voilà où conduit le micromanagement européen! Bruxelles est si éloigné des Parlements et des débats nationaux qu’il est devenu le paradis des groupes de lobby au service de multinationales. L’UE vient ainsi d’interdire les aspirateurs d’une puissance supérieure à 1800 watts. La mesure est présentée comme propice à l’environnement, mais son impact est négligeable. C’est surtout le résultat très efficace du lobbying de deux ou trois fabricants spécialisés dans des appareils à plus faible puissance qui ont fait cause commune avec des institutions européennes toujours désireuses d’accroître leur pouvoir. 

La montée en puissance du Parlement européen ne peut-elle combler ce « déficit démocratique » que les autorités de Bruxelles sont les premières à reconnaître et à regretter? 

Cette assemblée ne pourra jamais être un parlement démocratique, pour trois raisons. Parce que 500 millions d’électeurs sont inscrits, ses 751 élus sont trop nombreux; à cause des barrières linguistiques, ces membres ne peuvent ni réellement débattre entre eux ni être en relation avec les peuples des 28 Etats membres; cette assemblée est vide de substance car il n’existe pas d’opinion publique qu’elle pourrait représenter. Un parlement a un pouvoir démocratique seulement s’il représente un « nous collectif ». Or ce « nous » n’existe pas au niveau européen. 

Vous refusez même à la construction européenne le crédit d’avoir instauré une paix durable. Par provocation? 

Non. Je le crois vraiment. L’Union européenne est plus le résultat de la paix que sa cause. Les deux conflits mondiaux et les guerres les plus destructrices du XIXe siècle ont été menés au nom d’objectifs idéologiques, impérialistes, racistes, pas au nom de l’Etat-nation. 

L’autre menace qui pèserait sur l’Etat-nation, selon vous, c’est l’immigration de masse que connaît l’Europe depuis trois ou quatre décennies… 

… combinée au multiculturalisme, qui se définit comme le refus d’une culture dominante fondée sur des valeurs qui servent de références. 

Ce multiculturalisme, revendiqué dans des pays d’immigration choisie comme le Canada ou l’Australie, n’est-il pas en recul, ces dernières années, en Europe? 

Mais les chiffres de l’immigration sont à des niveaux records! L’idéologie du multiculturalisme, comme celle du fédéralisme européen, est peut-être aujourd’hui plus discrète mais dans la pratique toujours bien vivante. Ces deux mouvements contribuent à la poursuite de l’effacement de l’Etat-nation. C’est pourquoi, selon moi, les Européens ne doivent pas avoir peur de défendre leur identité nationale, quitte, bien sûr, à la redéfinir. 

A ce propos, vous évoquez l' »oïkophobie », cette haine de soi qui empêcherait de revendiquer le besoin d’une culture dominante. D’où vient ce sentiment? 

Peut-être que cette détestation de soi, si proprement européenne, trouve son origine dans le traumatisme de la Première Guerre mondiale, ce naufrage de notre civilisation qui s’est poursuivi avec la Seconde Guerre. De plus, la perte de la foi chrétienne sur notre continent n’a pas mis fin au sentiment de culpabilité hérité de cette culture mais nous a privés de tout repentir. L’absolution ne nous est plus possible. Un écrivain comme Michel Houellebecq a beaucoup écrit sur cette question. Le résultat, c’est que la culture européenne a du mal à affirmer ses principes et craint, si elle le fait, d’être taxée d’intolérance. Or, dans toute société, le meilleur moyen de s’ouvrir aux nouveaux venus est d’avoir confiance dans ses valeurs et dans leur partage. 

Rangez-vous l’islam importé parmi les menaces contre la démocratie européenne? 

La place de la charia au sein de l’islam et les difficultés de l’islam à accepter à côté de lui un espace séculier, condition de la démocratie, restent des questions ouvertes à un vaste débat, notamment sur le plan théologique. A la différence du christianisme, l’islam n’est pas une doctrine simplement morale, mais aussi politique. Tandis que Jésus a prêché le pacifisme et la rémission, Mahomet fut un guerrier qui soumit des contrées à son administration. Donc, oui, on peut être inquiet. Mais, comprenez-moi bien, mon plaidoyer en faveur de l’Etat-nation et de l’identité nationale repose sur ma foi dans les institutions libérales, la démocratie parlementaire et l’Etat de droit, fondé sur un jeu de valeurs communes. A la différence d’un Eric Zemmour, je ne suis pas animé par une quelconque mélancolie ou le regret de traditions en déshérence comme la famille ou le mariage hétérosexuel. Pour moi, le système démocratique est ouvert à toutes les traditions et aux différentes religions. Je ne suis pas un nationaliste nostalgique mais, sans cohésion sociale minimale, il ne peut y avoir d’Etat de droit. 

Quelles devraient être les frontières idéales de l’Union européenne? 

Pour moi, l’Union européenne est dépourvue de toute légitimité et doit être démantelée. Cette question n’est donc pas pertinente. 

Indispensables frontières. Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie, par Thierry Baudet. Editions du Toucan, 592p, 25€ 

 Robin Utrecht pour L’Express

Source : lexpress.fr

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