Mikhaïl Lessine aurait été «un canal informel clé de contact» entre Washington et Moscou
La mort mystérieuse de Mikhaïl Lessine en novembre 2015 laisse planer des doutes sur les raisons de sa présence aux Etats-Unis.

C’est ce qu’a confié une source proche des services de renseignements américains au Figaro, information inédite qui relance l’hypothèse d’un assassinat politique, alors que le médecin légiste de Washington annonce que l’ancien ministre est mort victime des suites de coups violents à la tête.

Plus de 4 mois après son mystérieux décès dans un hôtel du centre de Washington, le médecin légiste en chef de la capitale américaine a annoncé ce jeudi que l’ancien dirigeant russe Mikhaïl Lessine n’était pas mort d’une crise cardiaque mais des suites de traumatismes à la tête provoqués par un instrument contondant. Une nouvelle fracassante, qui contredit la version avancée par la chaîne russe à l’étranger Russia Today, qui s’était hâtée d’annoncer dès le lendemain de la découverte du corps, une «mort par crise cardiaque», invoquant une source «de la famille» du défunt.

Le médecin légiste de Washington qui a évoqué l’existence d’autres coups au torse, au cou, aux bras et aux jambes, n’a pas été jusqu’à dire qu’il concluait à un assassinat, mais l’hypothèse est désormais dans toutes les têtes. Une des questions qui se pose est de savoir pourquoi cette information est rendue publique aujourd’hui, alors que la présence de coups aussi importants a évidemment dû être constatée au moment de la découverte du corps. Selon le New York Times de vendredi, la mort de Lessine serait le résultat d’une altercation survenue dans la soirée précédent la découverte de son corps le 5 novembre, avant que l’ancien ministre de la presse de Vladimir Poutine ne rejoigne sa chambre. Le journal affirme que les caméras vidéo de l’hôtel le voient rentrer dans le hall de l’établissement les cheveux en bataille. A Moscou, les réactions sont, pour l’instant, très discrètes. «Nous n’avons reçu aucune information détaillée pour étudier cette situation», a déclaré le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, disant espérer plus de précisions de Washington.

Un «canal informel» à la fois ««sous Eltsine et sous Poutine»

Alors que la police poursuit son enquête et que le FBI reste muet sur l’affaire, l’autre question, brûlante, qui se pose, est évidemment de savoir s’il pourrait s’agir d’un assassinat politique, lié au rôle de premier plan qu’a joué Lessine au coeur du «réacteur» du pouvoir poutinien, jusqu’en 2015. Selon une source proche des services de renseignement américains qui s’est confiée au Figaro, Mikhaïl Lessine était «un canal informel clé» de contact entre l’administration américaine et le pouvoir russe, «sous Eltsine et aussi sous Poutine». Une circonstance qui provoque des «soupçons» au sein de la communauté du renseignement à Washington même si elle n’a pas encore tiré de «conclusions», confiait cette source il y a quelque temps.

L’ancien ministre, qui s’était exilé aux Etats-Unis depuis septembre, dans des circonstances encore peu claires, était-il prêt à donner aux Américains des informations explosives ou embarrassantes pour le Kremlin et a-t-il pu être victime d’une opération des services russes? Dès le lendemain de la mort de Lessine, le sujet donnait lieu à des spéculations dans la presse, mais il a évidemment été relancé par les rebondissements actuels. Mikhaïl Lessine avait été nommé à la tête du ministère de la presse, pour orchestrer la brutale mise au pas des médias sous Poutine. Grand orchestrateur d’une ère de censure et de pressions sur les journalistes, il était baptisé le «bulldozer». Il avait aussi été à l’origine de la création du projet de chaîne extérieure Russia Today, un bébé dont il était fier, malgré les accusations de chaîne de propagande qui n’ont cessé de fuser, côté occidental.

«Il en savait plus que la plupart sur la partie noire du système»

Après avoir quitté son poste et connu une traversée du désert, due à de troubles luttes entre les factions du Kremlin, il avait été nommé à la tête du puissant conglomérat Gazprom media, avant de quitter son poste début 2015. Selon les médias russes, Lessine s’était retrouvé en conflit avec Youri Kovaltchouk, l’un des principaux actionnaires de Gazprom et l’un des plus proches membres du cercle de Poutine, son ami intime depuis les années de Saint Pétersbourg. Selon les conjectures de certains journaux, Lessine se serait lui-même exilé en Amérique, pour échapper à ces conflits. «Il en savait plus que la plupart sur la partie noire du système», a commenté pour le New York Times la russologue Karen Dawisha, auteur d’un livre remarqué sur La Kleptocratie de Poutine.

En 2014, le sénateur Roger Wicker, un républicain du Mississipi, qui travaille depuis des années sur des affaires de corruption russe, avait demandé au Département de la Justice d’enquêter sur des soupçons de violation de la loi sur «les pratiques de corruption étrangères» par Lessine. Il avait évoqué les 28 millions de dollars de propriétés acquises par l’ex-ministre à Los Angeles, qui venaient s’ajouter à d’autres acquisitions en Europe et dans les Iles vierges britanniques. Lessine avait nié platement avoir acquis ces biens, soulignant qu’ils appartenaient à ses enfants installés à Los Angeles, où son fils est devenu un réalisateur à succès.

Le FBI ouvre une enquête

Dans un rapport, le sénateur Wicker avait aussi souligné les liens étroits de Lessine avec plusieurs personnalités russes se trouvant sous le coup des sanctions infligées au premier cercle de Poutine après l’annexion de la Crimée et l’invasion de l’Ukraine. Une enquête du FBI avait été ouverte. Lessine était-il à Washington pour négocier un arrangement avec le contre-espionnage américain, avant qu’il ne meurt dans des circonstances éminemment troublantes et mystérieuses? Avait-il entamé une négociation en échange des informations potentiellement explosives qu’il détenait sur les secrets du pouvoir russe? Représentait-il les intérêts d’une faction cherchant l’appui de Washington?

S’il était véritablement «un canal clé d’information», comme l’a appris le Figaro, le puzzle paraît soudain mieux s’emboîter. «Ce ne serait pas la première fois que quelqu’un posant un risque politique pour Poutine se retrouverait mort dans des circonstances inhabituelles», a noté le Daily Beast cette semaine. Information intéressante relevée par le Daily Beast, Lessine n’avait jamais été inscrit par le Congrès américain sur la liste Magnitski des personnalités russes ayant violé les droits de l’homme en Russie, malgré les requêtes insistantes de plusieurs groupes d’activistes. Pourquoi? Etait-ce parce qu’il représentait une source et un canal trop utile pour Washington, dans le contexte éminemment tendu des relations russo-américaines et de désaccords croissants entre clans du Kremlin? Le mystère reste épais.

lefigaro.fr

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