Les Rambos turcs bientôt (presque) prêts à lutter contre l’Etat Islamique

 

« 3.000 agents du Mossad sont à notre frontière! » était le titre du journal Yeni Akit, un quotidien islamiste turc le 1er juillet qui soutient fermement le Président de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, et ses entreprises politiques (aventurières).

Le journal a attribué l’histoire qu’il raconte à un « rapport des renseignements » turcs, auquel il dit avoir eu accès. Ce journal a aussi  prétendu que le « rapport des renseignements » sur lequel il fonde son récit, avait été présenté à « de hauts responsables de l’Etat ».

C’est plus probablement un montage ; même pas une mauvaise plaisanterie ; pas franchement drôle, c’est le genre de légende qu’on ferait mieux de balayer d’un revers de main. Mais tout le long de la frontière turque de 900 kms avec la Syrie, déchirée par la guerre,il y a de vraies mauvaises blagues et elles sont loin d’être toutes drôles.

L’an dernier, les Turcs sans conviction et les Américains sans aucune réserve, se sont réunis pour comprendre là où ils convergeaient et là où ils divergeaient, à propos de la guerre civile en Syrie. Les Américains percevaient l’Etat Islamique (Daesh) comme leur ennemi Numéro Un. Après avoir détruit les djihadistes, nous pourrions nous assoir autour d’une table et nous entretenir calmement de l’avenir de la Syrie, à commencer par le départ du Président syrien Bachar al Assad, qui est le point d’équilibre prioritaire de l’agenda d’Erdogan pour le Moyen-Orient. Au contraire, les Turcs auraient contribué à reculons à combattre Daesh, mais ils insistaient sur le fait que si on voulait ramner la paix en Syrie, Assad devait partir.

Après de longs mois de négociation, les deux alliés de l’OTAN ont signé en février un  accord qui consiste à entraîner et équiper des rebelles modérés qui devaient combattre, à la fois, Daesh et Assad. Des groupes de combattants appartenant à l’opposition seraient entraînés dans des camps d’entraînement militaire en Turquie, Jordanie, Arabie Saoudite et au Qatar. Ils seraient prêts à combattre et mettrez un terme à l’Etat Islamique. Le Pentagone a même identifié et sélectionné 1.200 combattants triés sur le volet. Ils pensaient alors que les alliés allaient, finalement, entraîner et équiper 5.000 combattants.

Puis, le programme a largement disparu du domaine public. Les responsables ont mentionne des préoccupations sécuritaires, afin de maintenir le secret sur la façon et le nombre de combattants qui étaient entraînés et de quels engins ils seraient équipés. En définitive, en août, les Rambos entraînés et armés par la Turquie et les Etats-Unis ont, à nouveau, attiré l’attention publique – même si ce n’est pas exactement à la façon de Rambo.

Le 13 juillet (ou dès le 12, selon des sources différentes), un aéropage de 54 combattants entraînés et équipés par la Turquie et les USA, et connus sous le nom militaire fantaisiste de « Division 30 », est secrètement entré sur le territoire syrien – puisqu’ils sont destinés à montrer la voie aux autres qui devraient combattre Daesh et (plus tard, sans doute), Assad. Peu de temps après leur entrée en Syrie, le Front al-Nusra, une fililale d’Al Qaïda,  a kidnappé le chef de groupe, Nedim al Hassan, en même temps que 17 autres combattants, dans le nord syrien. Le lendemain, le groupe Al Nusra attaquait les quartiers-généraux de cette « Division » à Alep, tuant 5 combattants et en blessant 16. Au cours de la même attaque, le Front Al Nusra a re-kidnappé 8 autres hommes du groupes. Les sept combattants restants ont trouvé refuge in extrémis dans une ville du nord de la Syrie contrôlée par les Kurdes.

Le front djihadiste a saisi tous les fusils d’assaut et tout l’équipement de la fameuse « Division 30 », et il a ensuite diffusé une vidéo montrant ses otages qui étaient censés combattre l’Etat Islamique.  Dans cette vidéo,l’un des captifs s’adresse à la caméra pour avouer avoir été recruté par les Américains, grâce à des intermédiaires, afin de suivre un entraînement en Turquie durant un mois et demi. Il dit que chacun des soldats entraînés à reçu un fusil d’assaut M-16 et une somme en liquide, et qu’il a été envoyé combattre le Front al Nusra en Syrie. Un membre du Front déclaré ensuite que son groupe « coupe les mains de l’Occident et des Américains en Syrie » en capturant leurs combattants.

L’Armée Syrienne Libre, soutenue par la Turquie dans l’espoir que qu’elle contribue, pour Ankara à renverser Assad, est, à présent, en pourparlers avec le Front Al Nusra pour obtenir la libération des combattants capturés.

L’échec tragique de la « Division 30 », avant même de lancer le moindre combat met en lumière un ensemble de faits particulièrement dérangeants :

D’abord, bien que ce soit la première force officiellement entraînée conjointement par les Etats-Unis et la Turquie envoyée en Syrie, qui connaisse d’entrée de jeu cette fin tragique, ce n’est pas le premier groupe de combattants qui échoue à ce point. En novembre dernier, deux des principaux groupes rebelles (Harakat Hazm et le Front Révolutionnaire Syrien), qui recevaient des armes américaines pour combattre Assad et Daesh, se sont rendus au front al Nusra. On leur avait même offert des lance-roquettes Grad montés sur des camions et des missiles anti-tanks TOW. Apparemment, les groupes appuyés par les Etats-Unis et la Turquie connaissent de sérieuses carences dans le domaine militaire et les tactiques de combat, qui, aditionnés avec le soutien aérien allié, devraient les aider à prendre le contrôle de villes stratégiques. Parmi les dizaines de groupes différents qui luttent dans le nord de la Syrie, les Kurdes et diverses bandes djihadistes connaissent mieux qu’eux cette zone.

Jihadistes du Front al-Nusra (qu’on voit en train de parader ci-dessus) ont tué, capturé ou absorbé beaucoup de combattants rebelles en Syrie, alors qu’ils étaient spécialement entraînés et équipés par les U.S.A et la Turquie.

 

Deuxièmement, la fin dramatique de la « Division 30 » démontre qu’aussi bien les Etats-Unis que la Turquie font preuve de faiblesses en matière de renseignement humain et militaire, concernant la zone de guerre.

Troisièmement, sans la moindre opération terrestre crédible (et le risque d’y perdre un nombre important de soldats tombés au combat), il est difficile de combattre sérieusement les djihadistes. Pour une entreprise aussi déplaisante à mener, aussi bien les Etats-Unis et la Turquie sont aussi mal préparés et réticents l’un que l’autre – pour des raisons qu’on peut comprendre.

Quatrièmement, les dirigeants de Turquie, qui ne cachent pas leur obsession de la chute d’Assad, continuent de rêver éveillés. Le 3 août, Erdogan a déclarté que le Président russe Vladimir Poutine avait changé de posture concernant la crise constante en Syrie et semblait « bien plus positif » en parlant d’un avenir sans Assad. Erdogan a dit : « En réalité, je crois qu’il peut renoncer à Assad ». Il n’y a aucun moyen de vérifier à quel point cela a déclenché des rires au Kremlin. Mais nous savons que l’obsession turque au sujet d’Assad provoque un aveuglement stratégique et peut continuer d’affaibir une guerre alliée déjà difficile contre les djihadistes.

La « Division 30 » est un début tragicomique de la campagne militaire terrestre contre l’Etat Islamique et plusieurs autres groupes djihadistes. Mais cela risque de ne pas être le dernier du genre…

Par Burak Bekdil

Burak Bekdil, basé à Ankara, est éditorialiste turc au Hürriyet Daily et chercheur au Middle East Forum. Adaptation : Marc Brzustowski

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