La réunion trilatérale Israël-USA-Russie : motivations et conséquences

Zvi Magen

INSS Insight No. 1178, 23 juin 2019

 

La réunion des conseillers nationaux pour la sécurité des États-Unis, de la Russie et d’Israël, fin juin, constitue un accomplissement pour la politique israélienne, qui navigue entre les intérêts de Moscou et de Washington et est partie prenante au dialogue des superpuissances sur l’avenir de la Syrie et L’intervention iranienne dans ce pays.

Pour les États-Unis et la Russie, il s’agit d’une étape supplémentaire dans leurs efforts pour créer des liens plus étroits et pour centrer leur dialogue sur les questions en litige. Le choix d’Israël comme lieu de la réunion visait à souligner son rôle régional. Il est également possible que Washington et Moscou aient intérêt à exprimer leur soutien à Israël dans le contexte Syrien et de la présence de l’Iran. Israël a intérêt à être impliqué dans des discussions sur des questions régionales mais, ce faisant, il pourrait aussi contenir une part de risque. Ces discussions pourraient déboucher à des accords qui seraient essentiellement liés à un accord politique et la consolidation de la stabilité en Syrie, sans correspondre à aucun des intérêts israéliens dans un tel cadre.

Les conseillers nationaux pour la sécurité des États-Unis, de la Russie et d’Israël doivent se réunir en Israël à la fin du mois de juin. Cela marque un exploit pour la politique israélienne, qui a réussi à naviguer entre les intérêts de Moscou et de Washington et à participer au dialogue des superpuissances sur l’avenir de la Syrie et sur l’intervention iranienne dans ce pays. Pour les États-Unis et la Russie, il s’agit d’une étape supplémentaire dans leurs efforts pour créer des liens plus étroits et concentrer leur dialogue sur des questions en litige. Cet article vise à éliminer au moins une partie du brouillard qui s’épaissit autour de la réunion.

L’ordre du jour de cette réunion, dont le format est inhabituel, n’a pas encore été rendu public. Les médias internationaux ont suggéré qu’il s’agirait d’un débat sur un arrangement concernant la Syrie. Ce cadre impliquerait une discussion sur l’intervention continue de l’Iran dans ce pays. Mais on peut supposer que, compte tenu de l’amélioration du dialogue entre la Russie et les États-Unis, la réunion aura une valeur diplomatique intrinsèque en soi et qu’elle traitera également de questions globales inscrites à l’ordre du jour de chaque puissance.

L’intention (du moins des États-Unis et d’Israël) semble être de discuter de l’élaboration d’une politique commune à l’égard de la Syrie et de l’Iran. En ce qui concerne plus particulièrement la Syrie, on peut supposer qu’elle tentera de promouvoir un arrangement sur la base des négociations menées à Genève par les Nations unies, contrairement aux négociations tenues à Astana, auxquelles la Russie, l’Iran et la Turquie ont participé seuls. Ici, l’objectif serait de faire avancer les réformes politiques en Syrie. La Russie, pour sa part, exigerait l’accord des États-Unis sur le rôle officiel du président Bashar al-Assad et sur sa candidature à la prochaine élection présidentielle en Syrie. Compte tenu de l’aggravation de la crise entre l’Iran et les États-Unis dans la région du Golfe, les États-Unis attendent de la Russie qu’elle soutienne sa politique sur la question iranienne, en particulier en ce qui concerne l’imposition de sanctions destinées à faire revenir l’Iran à la table des négociations, conçues pour améliorer l’accord nucléaire et pour amener une réduction de l’influence iranienne – en Syrie, particulièrement et au Moyen-Orient en Général.

Il ne faut pas exclure que le pivot de la politique de la Russie au Moyen-Orient, exprimé dans son rapprochement et sa coopération étroite avec Israël après une vague de froid perceptible, ainsi que dans les tensions croissantes avec l’Iran et le régime d’Assad, soit principalement dû à sa tentative de se rapprocher des États-Unis. La réunion qui devrait avoir lieu en Israël en est apparemment une autre manifestation.

Les contacts réguliers entre les hauts responsables des deux côtés ont récemment mis en évidence le rapprochement croissant entre Washington et Moscou. Une rencontre entre le président Donald Trump et le président Vladimir Poutine est également prévue en marge du sommet du G20 à Tokyo. Néanmoins, il est encore trop tôt pour évaluer le succès de ce processus, notamment en raison de la pression interne exercée sur chaque président pour éviter les gestes susceptibles d’améliorer les relations.

Le président Trump se sent peut-être plus libre – à la suite de la publication du rapport de l’avocat spécial Mueller – du moins lorsqu’il s’agit de poursuivre le dialogue avec la Russie. Il semble également que le gouvernement Trump cherche actuellement à renforcer la volonté de la Russie de discuter du retrait des forces iraniennes de la Syrie, en coopération avec Israël, et même de prendre des mesures vis-à-vis de l’Iran, afin d’apaiser les tensions dans le Golfe et encourager l’Iran à accepter de nouvelles négociations sur l’accord nucléaire. L’intérêt de la Russie dans l’amélioration de ses relations avec les États-Unis est liée à sa volonté de mettre rapidement un terme à la crise syrienne tout en récupérant les bénéfices qu’elle a recueillis dans le pays, ainsi qu’à améliorer ses relations avec les pays occidentaux – notamment l’Europe – concernant la sphère post-soviétique, dans l’espoir que les sanctions imposées, suite à la crise de l’Ukraine,  soient levées.

Reste à savoir si l’espoir américain de conclure des accords avec la Russie se concrétisera. Il convient de rappeler que la Russie et l’Iran sont des partenaires de la guerre syrienne aux côtés du régime Assad, bien que, comme cela a déjà été dit, les lacunes dans leurs positions concernant le façonnement de l’avenir de la Syrie se soient creusées. Des tensions se sont également accrues entre eux récemment, à la lumière de la crise entre l’Iran et les États-Unis.

L’intention de la Russie de modifier le schéma de sa coopération avec l’Iran tout en se rapprochant de l’Occident et d’Israël semble avoir déjà été décidée il y a un an. Par exemple, lors du sommet d’Helsinki de juillet 2018 et de la conférence de Paris qui s’est tenue plus tard en novembre, la Russie a proposé aux États-Unis et à Israël d’imposer à l’Iran de quitter la Syrie. Il semble pourtant que la mise en œuvre du plan ait rencontré une résistance de la part d’acteurs influents en Russie, qui craignaient un rapprochement avec les États-Unis et un abandon de l’Iran et préféraient donc un affrontement permanent entre les superpuissances, l’Iran étant un partenaire anti-occidental. Néanmoins, il semble que le président Poutine ait récemment réussi à progresser sur ce dossier, malgré le fait que des braises d’opposition récalcitrante couvent encore. Il est donc trop tôt pour évaluer à quel point le leadership de la Russie est sérieux. Sa mise en œuvre est encore loin, du fait de l’opposition de l’Iran et du régime syrien.

Les dirigeants russes ont également déployé des efforts pour améliorer leurs relations avec Israël. Cet effort a été particulièrement remarquable compte tenu de l’opposition en Russie à changer de politique au Moyen-Orient. La crise entre les pays qui a suivi l’incident au cours duquel un avion de reconnaissance russe a été abattu au-dessus de la Syrie en septembre 2018 a été attisée par l’opposition. Il s’est terminé fin février 2019 lorsque, lors d’une réunion entre le président Poutine et le Premier ministre Netanyahu, la Russie a offert à Israël un nouveau cadre de coopération pour la création d’un accord en Syrie prévoyant le retrait des forces étrangères – principalement l’Iran – du territoire du pays. Il est possible que cette initiative ait pour but de faire progresser les accords entre Moscou et Washington.

Il semble que la Russie essaiera également d’encourager le départ des forces américaines de la Syrie, tout en exigeant qu’elles coordonnent leur sortie avec Moscou afin de prendre des dispositions pour combler le vide laissé par les Américains dans le nord-est du pays, entre : Le régime Assad, qui rcherche à prendre le contrôle et l’influence dans ce domaine. Les Iraniens, qui veulent contrôler la frontière irako-syrienne et les champs de minerais dans l’est de la Syrie; les Combattants kurdes dans le cadre des Forces démocratiques syriennes (SDF) ; et la Turquie, qui fera tout pour empêcher l’autonomie des Kurdes dans le nord.

En résumé, il semble que la rencontre russo-américano-israélienne prévue constitue une autre étape dans la relance du dialogue américano-russe, dont l’objectif principal est de traiter des questions cruciales pour les deux parties dans les sphères internationales. Dans le cadre de la réunion, une discussion est prévue pour la rédaction d’une politique commune concernant l’influence de la Syrie et de l’Iran sur le retrait des forces étrangères du territoire du pays, ainsi qu’une tentative de rassembler la volonté d’une action commune pour résoudre les défis de la région. En ce qui concerne plus spécifiquement la Syrie, les discussions porteront sur la stabilisation et un arrangement politique pour le pays, mais est-il douteux que les États-Unis soient disposés à coopérer avec la Russie en échange de la reconnaissance du régime Assad ou du financement de la reconstruction de la Syrie. Quant à l’Iran, les différents camps auront à cœur de forger un commun accord pour mettre un terme à cette crise avec lui.

Le choix d’Israël comme lieu de la réunion visait à souligner son rôle régional, compte tenu en particulier du fait que le rapprochement russo-américain n’a pas encore suscité un large soutien aux États-Unis ni en Russie. Il est possible que Washington et Moscou aient tous deux intérêt à exprimer leur soutien à Israël, face à la Syrie et à l’Iran. Israël, qui joue un rôle dans ce dialogue, a tout intérêt à être impliqué dans des discussions sur des problèmes régionaux liés à la Syrie et à l’Iran. Cependant, ce faisant, Israël pourrait également s’exposer à des risques, car les négociations pourraient déboucher sur des accords qui porteraient principalement sur un accord politique et le renforcement de la stabilité de la Syrie, sans prendre en compte les intérêts israéliens dans ce contexte.

Quoi qu’il en soit, la réunion en Israël des conseillers pour la sécurité nationale représente un exploit diplomatique pour Israël. Même si les participants ne parviennent pas à des accords concrets concernant l’avenir de la Syrie et le retrait des forces iraniennes du pays, le fait même de l’événement améliore le statut d’Israël et la possibilité qu’il puisse exercer une influence sur un futur arrangement en Syrie. La Russie a déjà promis de limiter les activités iraniennes et prend parfois des mesures remarquables pour prouver qu’elle tient ses promesses, notamment en redéployant les forces et les supplétifs pro-iraniens à l’écart de la frontière avec Israël.

Au cours de la réunion, le conseiller russe tentera de légitimer le maintien du régime Assad en Syrie et de reconnaître qu’il a remporté la guerre civile et reste irremplaçable, du moins pour les années à venir. Il convient donc qu’Israël exige, en contrepartie de la reconnaissance du régime d’Assad, la création d’un canal de liaison militaire avec le régime syrien, afin de coordonner les attentes : éviter les malentendus ; veiller à ce que le régime empêche les groupes terroristes et les séides iraniens d’intervenir sur les hauteurs du Golan; et pour empêcher l’escalade due à la lecture erronée des intentions et des actions de l’autre.

Série de publications: INSS Insight | Thèmes: Relations israélo-américaines , Russie , Entourage stratégique , Syrie

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