Il en a fait son mantra: «Un média libre est par définition irresponsable.» Au risque d’aller trop loin – et de décevoir ses supporteurs de la première heure -, Julian Assange, qui vit depuis bientôt 4 ans reclus à l’ambassade d’Équateur de Londres, défend bec et ongles l’idée d’une information sans filtre, débridée de toute forme de tabou.

Ce matin de juin 2016, à quelques jours des 4 ans de sa réclusion à l’ambassade d’Équateur de Londres, le fondateur de WikiLeaks, accusé d’espionnage par les États-Unis pour avoir organisé la fuite de documents militaires américains, reçoit une petite délégation du prix Albert Londres pour évoquer ses combats. À l’entrée de la bâtisse, située juste en face du grand magasin Harrods, le contrôle est tatillon. Il faut ouvrir le sac, se faire ausculter sa montre, déposer le téléphone portable sur une table avant de se laisser guider dans une salle de réunion nichée au rez-de-chaussée.

Le hackeur le plus célèbre du monde y pénètre par une autre porte. Visage blafard, blue-jean délavé, il offre une poignée de main molle, laissant apparaître de fines griffures infligées par son nouveau compagnon, un petit chaton tigré. «Un cadeau récemment envoyé par ma jeune famille», précise l’Australien de 45 ans, en caressant le félin qui saute allègrement de chaise en chaise: timide semblant de normalité dans cette prison dorée dont il ignore s’il sortira un jour. «La situation n’est pas facile ici dans l’ambassade, à ne pas voir la lumière du soleil depuis quatre ans», concède l’exilé politique. Mais celui par qui tant de scandales ont été révélés ne désarme pas.

Connecté nuit et jour à Internet, il poursuit sans remords la mission qu’il s’est donnée. «Je peux toujours travailler et diriger WikiLeaks. Regardez ce que nous avons accompli en dix ans d’existence. Aujourd’hui, WikiLeaks a une centaine d’employés, nous sommes entièrement financés par nos lecteurs, nous publions des millions de documents et, malgré tous les moyens coercitifs exercés par les 29 000 chargés de communication du Pentagone, la CIA et le FBI, nous n’avons jamais cessé d’opérer. Et WikiLeaks n’a aucun emprunt, aucune dette. Combien de médias indépendants peuvent en dire autant dans le monde aujourd’hui?» demande le responsable en chef de la publication de millions de documents classés confidentiel.

Pourtant, les méthodes de WikiLeaks sont de plus en plus contestées. Surtout ces dernières semaines où, de la publication de télégrammes diplomatiques du ministère saoudien des Affaires étrangères – révélant, par exemple, les informations privées d’un homme détenu pour «déviances sexuelles», comprendre homosexualité, dans un pays où cette orientation est passible de la peine de mort – à celle des courriels de Hillary Clinton, certains s’inquiètent des conséquences dévastatrices de telles fuites.

De quoi susciter, aussi, des soupçons de connivences dans la façon dont les informations sont révélées. Lors d’un récent reportage, le New York Times accusait ainsi Julian Assange de faire le jeu de Moscou et de Donald Trump en entachant la réputation de la candidate démocrate à deux mois de l’élection présidentielle américaine. Assange a annoncé la publication, avant le scrutin du 8 novembre, de nouveaux documents confidentiels sur Clinton, qui pourraient avoir un effet «important» sur l’élection.

Échaudés par son ambiguïté éditoriale et son obstination à vouloir tout «balancer», sans sélection préalable et analyse de contenu, de vieux alliés tels que le journaliste d’investigation Glenn Greenwald ou encore le lanceur d’alerte Edward Snowden commencent à prendre leurs distances avec le cyberactiviste.

«On peut dire que la source initiale a fait un excellent travail. De l’autre, la non-publication des documents sources me laisse nettement plus scep­tique»
Julian Assange, au sujet des Panama Papers

Assange, lui, s’accroche à ses convictions. Dans une récente interview accordée à CNN, il arguait qu’il ne faut pas «contaminer l’évidence». Pour lui, il faut tout publier au nom de la «transparence», de «l’indépendance» et de la «liberté d’informer». D’où son scepticisme à l’égard de la méthodologie des «Panama Papers», cette vaste enquête réalisée par une centaine de rédactions internationales ayant révélé un énorme scandale d’évasion fiscale. «D’un côté, on peut dire que la source initiale a fait un excellent travail, tout comme les deux journalistes à l’origine de l’affaire. De l’autre, la non-publication des documents sources me laisse nettement plus sceptique», confiait-il lors de cette rencontre printanière dans les bureaux londoniens de l’ambassade d’Équateur.

Avec, en filigrane, cette profonde méfiance envers toute forme de soutien financier américain. «Tout s’est fait sous l’égide de l’ICIJ (le Consortium international des journalistes d’investigation), basé à Washington, qui travaille avec de l’argent des fondations Ford, Rockefeller et Soros. Comment voulez-vous qu’ils soient réellement indépendants?

En matière de résultats, c’est flagrant: avec seulement 166 documents révélés, les “Panama Papers” sont une des plus petites fuites de l’histoire. Plus de 99,99 % des documents disponibles ont été censurés, ce n’est absolument pas l’approche que prône WikiLeaks», insistait-il.

Pour ses détracteurs, cette philosophie révèle un syndrome de la théorie du complot, voire une obsession anti-américaine. Pour Assange, elle n’est que l’illustration de sa bataille contre la censure. À l’heure de la démultiplication des lanceurs d’alerte et des plateformes dédiées aux nouvelles façons d’informer, le débat ouvert par ce hackeur provocateur ne fait que commencer.

Delphine minoui – Le Figaro

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André

La méthode WikiLeaks c’est d’utiliser des balances en faisant appel à la traitrise et à la délation. Bas instincts maquillés en recherche de la « justice », de la « vérité » et autre « transparence » à la noix. C’est une mentalité de délateurs.