Le grand prix pour The Zone of Interest de Jonathan Glazer, l’enfant terrible du cinéma britannique
Le quatrième long-métrage de ce réalisateur raconte l’horreur d’Auschwitz sans la montrer.
C’était notre palme d’or. Dans The Zone of Interest, Jonathan Glazer adapte à sa façon, implacable et glaçante, le roman de Martin Amis se déroulant à Auschwitz. Le film décrit la vie quotidienne d’une famille de nazis logée juste à côté du camp et indifférente à l’horreur. Au bout du jardin, la mort est signalée par des cris et des bruits industriels. La banalité du mal dans toute son horreur. Le réalisateur de 58 ans vient donc d’être récompensé par le Grand prix. Quatrième long-métrage d’une carrière commencée il y a vingt-trois ans, il s’agissait de la première venue du Britannique au festival de Cannes.
Jonathan Glazer cultive un sens du suspense et du marketing remarquable. Avant Cannes, on savait seulement que The Zone of Interest s’inspirait du roman de Martin Amis, qui vient de décéder. « On m’a proposé de passer un casting sans me dire pour quel film, nous racontait l’actrice Sandra Hüller à Cannes. Nous n’avons pas ce goût du secret en Allemagne donc il était évident qu’il s’agissait d’un réalisateur étranger. J’ai d’abord lu trois ou quatre pages sans savoir de quoi il retournait exactement. J’ai appris ensuite que Jonathan Glazer était derrière ce projet et qu’il parlait de la famille Höss. »
The Zone of Interest est une production A24, le studio américain derrière la crème du cinéma d’auteur ( Uncut Gems, Lady Bird de Greta Gerwig, First Cow, The Whale, Everything Everywhere All at Once). Contrairement aux usages, il n’a pas montré The Zone of Interest aux distributeurs avant Cannes. Bac Films l’a acheté plus d’un million d’euros à l’aveugle, sans lire le scénario ni voir le film, sur le nom et la réputation de son auteur. Une projection la veille de Cannes leur a permis de se rassurer sur l’investissement.
La première partie de la carrière de Jonathan Glazer a été consacrée à la réalisation de publicités (Levi’s) et de clips musicaux (Radiohead, Blur). Passé au cinéma en 2000, Jonathan Glazer ne raconte jamais des histoires simples. Sexy Beast, en 2000, mettait dos à dos deux gangsters dans l’ambiance tendue d’une villa de la côte espagnole. « J’avais aimé ses publicités et ses vidéo-clips pour lesquels il a reçu de nombreuses récompenses internationales, expliquait Ben Kinglsey, en 2001, qui incarnait l’un des deux personnages. Jonathan a du style, un univers bien à lui. »
Univers qui s’est étoffé en 2004 avec Birth. Un conte fantastique à la Rosemary’s Baby, coscénarisé par Jean-Claude Carrière, dans lequel Nicole Kidman croise le fantôme de son défunt mari réincarné en un petit garçon de dix ans… L’ambiguïté psychologique se mélangeait au surnaturel. En 2013, Jonathan Glazer marque les esprits avec Under the Skin, dévoilé à la Mostra de Venise, où Scarlett Johansson incarne un alien vengeur et sexy dans les rues d’Édimbourg. Entre ce film de genre très stylisé et The Zone of Interest, le réalisateur n’avait rien tourné, sinon une installation au festival Coachella en 2011 et un court-métrage hallucinatoire, en 2019, The Fall. Après son Grand prix, son prochain film devrait susciter une attente encore plus forte.
Un film sur la Shoah ou la banalité du mal
Auschwitz, vu de l’autre côté du mur: l’horreur de la Shoah tient au fait qu’elle a été perpétrée « non pas par des monstres, mais par des gens comme les autres », selon Jonathan Glazer, qui a présenté vendredi « The Zone of Interest » à Cannes.
Le réalisateur britannique fait son retour avec un quatrième long-métrage, portrait glaçant du commandant d’Auschwitz Rudolf Höss et sa famille, goûtant aux plaisirs de la vie dans leur maison jouxtant le camp de la mort.
Ce personnage –qui a réellement dirigé le camp pendant plus de trois ans et pris l’initiative d’en augmenter les capacités exterminatrices– tente dans le film, aux côtés de sa femme Hedwig, surnommée « la reine d’Auschwitz », de construire une vie de rêve dans cette maison, dotée d’un jardin fleuri et même d’une piscine, non loin d’une rivière où ils s’amusent parfois avec leurs enfants.
Contrairement à d’autres films sur la Shoah portant sur des actions héroïques ou de survie dans les camps de la mort, ce long-métrage se focalise sur des scènes de vie ordinaire qui rendent encore plus terrifiante la réalité de l’autre côté du mur: le bruit des tirs, celui de l’arrivée des convois de la mort, les cris de détenus.
Tout est deviné, rien n’est montré, sauf la fumée qui se dégage des chambres à gaz.
« Tout a été très bien calibré pour qu’on sente qu’elle est toujours là, cette machine monstrueuse », affirme Jonathan Glazer à l’AFP.
« Des gens ordinaires »
Comment des gens ont-ils pu être aussi impassibles face à l’horreur ?
S’inspirant du roman du même nom de son compatriote Martin Amis et ayant fait des recherches pendant deux ans, Jonathan Glazer s’est rendu compte que les gens derrière l’extermination « étaient juste un groupe de gens du type bourgeois, provincial, ambitieux, des gens ordinaires ».
Ils aiment « avoir une jolie maison, un joli jardin, des enfants en bonne santé, de l’air frais », explique le réalisateur, qui s’est documenté sur la manière de vivre des SS qui régissaient les camps, sur leurs habitudes, pour « comprendre » l’incompréhensible.
« Ca laisse à penser que l’horreur, c’est que ces gens soient non pas des monstres mais des gens comme les autres. Comment des gens comme les autres peuvent-ils agir de la sorte? » demande-t-il.
La « zone d’intérêt » était l’appellation utilisée par les nazis pour décrire la zone de 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration d’Auschwitz.
« Les Juifs, ils sont de l’autre côté », commente l’un des personnages du film. Des servantes allemandes utilisent des vêtements spoliés, tandis que les enfants du commandant examinent des dents en or.
Seule lueur d’humanité: la résistance incarnée par une fillette polonaise du coin qui, chaque nuit, va semer de la nourriture pour les détenus. Glazer s’est inspiré d’une femme de 90 ans qu’il a rencontrée et qui avait fait exactement la même chose.
Jonathan Glazer, dont le film « Under the Skin » (2013) sur une extra-terrestre venue sur Terre pour faire disparaître des hommes avait été salué par la critique, s’est intéressé au sujet de la Shoah bien avant le roman de Martin Amis, qui a toutefois été un « catalyseur ».
« J’ai grandi dans une famille juive, j’étais entouré de proches et d’amis juifs. On apprend cela dès notre plus jeune âge. C’est comme un livre que vous retirez d’une étagère avec une curiosité d’enfant… Vous commencez à regarder les images et vous vous dites: ils me ressemblent, ils ressemblent à mon oncle, à ma mère. Qui sont-ils? Pourquoi leur a-t-on fait ça? », dit-il.
Plus terrifiant encore pour lui est de se demander « comment se serait-on comporté à leur place? A quel point leur ressemble-t-on? »
JForum avec Le Figaro et AFP
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Bizarrement, cela me fait penser à ces gens qui ont ostraciser les résistants à la piqure pendant près de trois ans, qui ont suspendus de leur emplois certains de ces mêmes résistants pour faire pression sur eux de façon inique.
L’horreur, le cynisme de l’inconscience sont les mêmes partout, en tous temps, pour tout le monde Si le nombre de victimes est différent, les méthodes sont de même nature.
Je réfute d’avance toute critique sur le parallèle que je fais entre deux monstruosités, de même nature, si ce n’est de même ampleur.