Le dossier Lara Alqasem : une défaite de la démocratie

 

Par Manfred Gerstenfeld

 

Traiter de l’arrivée de Lara Alqasem aurait dû rester une question anecdotique. Malgré son visa d’étudiante valide, les autorités israéliennes étaient habilitées à décider si oui ou non Alqasem devait bénéficier de l’autorisation ‘entrer sur le territoire israélien. La décision de la Cour Suprême d’annuler celle du gouvernement a provoqué le débat faisant de son arrivée une étude de cas d’école important.

Lara Alqasem est une citoyenne américaine, petite-fille de Palestiniens. Elle s’est inscrite comme étudiante en MA sur les Droits de l’Homme à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Alqasem a détenu le poste de Présidente d’une branche des Etudiants pour la Justice en Palestine (SJP), un groupe extrémiste anti-israélien, entre 2016 et 2017, alors qu’elle était étudiante à l’Université de Floride. Elle s’est, alors, impliquée dans le boycott des produits israéliens,ainsi que dans d’autres activités anti-israéliennes[1].

 On a aussi appris que son père soutient BDS et a posté des contenus antisémites sur les réseaux sociaux[2]. On est en droit de se demander pourquoi Lara Alqasem n’a pas choisi de candidater pour étudier à l’étranger dans l’un des approximativement 190 pays contre lesquelles elle n’a pas fait d’incitation à la haine.

Tous les individus étrangers ne peuvent pas entrer dans n’importe quel état à leur guise. Le gouvernement d’un pays souverain se réserve le droit de décider à qui le permettre. Les pays impliqués dans des conflits en cours doivent être d’autant plus prudents que les autres. Durant la période de guerre froide, les Etats-Unis se sont montrés sélectifs dans leur choix d’accepter l’entrée de citoyens soviétiques – et de certains communistes tout autant. Le conflit palestino-israélien  ne peut même pas être défini comme une guerre « froide ». Par conséquent, les décisions concernant l’entrée des étrangers sont d’autant plus cruciales.

A l’arrivée d’Alqasem à l’aéroport Ben Gourion, elle a été provisoirement détenue en zone de rétention. Le Ministre de la Sécurité Publique, des Affaires Stratégiques et de l’Information, Gilad Erdan a proposé qu’elle puisse entrer en Israël, à condition de renoncer sans la moindre équivoque à tout soutien à BDS[3]. C’était une offre généreuse. Il n’aurait pas été déraisonnable d’exiger qu’elle entreprenne certains actes positifs au nom d’Israël, afin de contrer ses efforts passés visant à lui provoquer des dommages.

Alqasem a déposé une requête auprès d’un tribunal israélien afin d’entrer dans le pays. Elle a été rejetée. Elle a alors fait appel de la décision[4]. Le tribunal du district de Tel Aviv a suspendu l’interdiction et dit qu’il ne pouvait pas justifier d’intervenir dans le dossier et que la décision du gouvernement de la détenir était raisonnable[5]. Le jugement de la Cour reflétait la séparation des pouvoirs entre les branches exécutive et judiciaire.

Alqasem a ensuite fait à nouveau appel à la Cour Suprême. Cela a débouché sur une injonction empêchant l’Etat de l’expulser jusqu’à ce qu’elle statue sur sa demande, défiant la décision de lui refuser l’entrée[6]. La Cour Suprême a annulé le jugement et décidé que d’empêcher l’entrée de la requérante outrepassait les limites du raisonnable ».

La Cour Suprême a effectivement déclaré être compétente pour prendre la décision ultime concernant quels étrangers peuvent entrer dans le pays. En 1994, j’ai interviewé la contrôleuse de l’Etat de l’époque, Miriam Ben Porat, une Juge de la Cour Suprême à la retraite. Elle me disait alors : « Dans chaque génération, la Haute Cour doit… déterminer les limites de son intervention. Une considération majeure, ici doit rester que la confiance que place le public en elle ne doit pas être affectée[7]« .

C’est Aharon Barak, Président de la Cour Suprême, entre 1995 et 2006, qui prétendait que « tout est justiciable[8]« . Cette attitude a facilité le franchissement par la Cour de limite dans la séparation des pouvoirs. Ses successeurs  ont suivi cette approche. En 2017, l’Index de l’application des lois du Professeur Arie Ratner, de l’Université de Haïfa, démontrait que seulement 49% des citoyens israéliens avaient confiance en la cour suprême. En 2000, ce taux se situait à 80%[9]

Le jugement de la Cour Suprême dans le dossier Alqasem a débouché sur de fermes réactions de la part des Ministres israéliens. Le Ministre Erdan a déclaré : « Une fois encore, la Cour Suprême castre ce qui fait la substance de la législation à la Knesset et l’intention du législateur, et s’arroge une autorité qui est entre les mains de l’autorité exécutive ». Il a affirmé que la cour sous-estime la nature extrême et antisémite de l’organisation, dans laquelle Alqasem rtenait un rôle prédominant[10].

Erdan ajoutait : « Le tribunal a minimisé la nature extrémiste et antisémite du SJP, l’organisation où Alqasem tenait le poste de Présidente. En outre, la justice a ignoré essentiellement le fait qu’elle a effacé ses réseaux sociaux pour dissimuler ses activités avant d’arriver en Israël ».

Il a poursuivi : « Et alors que le tribunal a reconnu que « L’Etat est habilité, et en fait, obligé de se défendre. Il doit prendre des mesures contre les organisations qui appellent au boycott et contre leurs militants. Protéger la démocratie est une part fondamentale de ce qui fait la démocratie », leur décision de justice ouvre la porte aux activistes de BDS pour qu’ils entrent dans le pays simplement en s’inscrivant à un programme universitaire, en déclarant qu’ils ne soutiennent pas les boycotts à ce moment précis[11]« .

Le Ministre de l’Intérieur Aryeh Deri a déclaré : « La Cour Suprême a ignoré qu’elle avait effacé et caché ses activités sur les réseaux sociaux avant de venir en Israël et ouvert une trappe sur l’entrée en Israël, pour tous les activistes du boycott à travers le monde et pouvoir y plaider « qu’actuellement », ils ne soutiennent pas le boycott[12]« .

La Présidente de la Cour Suprême, Esther Hayut a réagi en disant que « les responsables publics, dont les représentants élus, ne parviennent pas à défendre le système judiciaire d’Israël, face à la critique des tribunaux qui frôle l’incitation[13]« .

Il n’y a pas de sondage sur cette question qui puisse dire si l’ingérence de la cour suprême à propos d’Alqasem, augmentera ou diminuera le peu de confiance choquant envers la cour. Augmenter ce pourcentage au-delà de 49% est important pour la démocratie et devrait être un sujet d’inquiétude pour la Cour. Cela pourrait aussi valoir la peine pour la Présidente de la Cour Suprême de préparer des plaques pour ses collègues où seraient gravés les paroles de la Juge Ben Porat, quant à la sagesse des Juges.

En définitive, j’ai suivi les appels étrangers ai boycott d’Israël depuis leurs débuts en 2002. Son infrastructure s’est bâtie à Durban, en Afrique du Sud, au cours de la Conférence Mondiale de l’Onu contre le racisme, en 2001. Un nombre considérable d’organisations non-gouvernementales (ONG) s’y sont rencontrées dans le cadre d’un forum adjacent qui s’est transformé en un spectacle de haine anti-israélienne. Comparer l’actuelle situation de boycott universitaire à ce que j’ai décrit dans mon livre de 2007, Academics against Israel and the Jews, [Les universitaires contre Israël et les Juifs], on peut constater les développements majeurs qui se sont déroulés depuis[14].

Les autorités israéliennes ont négligé cette question depuis bien trop longtemps. Le manque de réactions des universités du pays était encore pire. Ce n’est qu’au cours des années récentes que le gouvernement a commencé à répondre aux campagnes de BDS qui visent fondamentalement à diaboliser Israël. C’est dans l’intérêt de la démocratie du pays de ne pas entraver cet effort tardif.

Par Manfred Gerstenfeld

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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[1] www.washingtonpost.com/world/2018/10/08/israe

[2] www.jns.org/exposed-lara-alqasem-is-not-the-only-anti-israel-activist-in-her-family/

[3] www.jpost.com/Israel-News/Erdan-tells-US-student-to-repudiate-her-opinions-to-gain-entry-to-Israel-568977

[4] www.timesofisrael.com/at-tel-aviv-court-officials-insist-barred-us-student-still-supports-bds/

[5] www.haaretz.com/israel-news/.premium-israeli-court-rejects-appeal-by-u-s-student-detained-at-airport-1.6551651

[6] www.israelnationalnews.com/News/News.aspx/253371

[7] Manfred Gerstenfeld Israel’s New Future  (Jerusalem: Rubin Mass, 1994) p. 145.

[8] https://digitalcommons.law.utulsa.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2823&context=tlr

[9] www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-5011023,00.html

[10] www.haaretz.com/israel-news/.premium-israel-s-supreme-court-accepts-lara-alqasem-s-appeal-she-will-be-allowed-to-enter-1.6572135

[11] www.jns.org/israels-supreme-court-grants-students-appeal-lets-alqasem-enter-israel-to-study/

[12] www.haaretz.com/israel-news/.premium-israel-s-supreme-court-accepts-lara-alqasem-s-appeal-she-will-be-allowed-to-enter-1.6572135

[13] www.jpost.com/Israel-News/Hayut-Criticism-of-judges-by-politicians-borders-on-incitement-570096

[14] http://jcpa.org/book/academics-against-israel-and-the-jews/

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Haroun le Rachid

pour éviter le risque de bipolarisation droite-gauche qui est en train de croître, dans notre pays, il est IMPERATIF d’avoir une constitution qui fera plier la haute cour qui est gauchiste, avec en parallèle un conseil constitutionnel, le plus léger possible, qui devra être le dernier recours entre le législatif (les députés), la justice et le gouvernement du moment

Miraël

Vous avez parfaitement raison, il faut séparer le juge des lois du juge de l’exécutif.

דוב קרבי dov kravi

Le bagats se déconsidère de jour en jour.
La séparation des pouvoirs est une absolue nécessité en démocratie, et les juges ne sont ni élus ni fondés à empêcher l’exécutif d’agir en faveur de la sécurité.