La sagesse dans la Bible : la sagesse de Salomon (traduction par Jean-Yves Leloup (Albin Michel).

L’idée, la notion même de sagesse évoque quasi automatiquement la littérature biblique puisque nous parlons de certains des livres qui la composent (Job, Psaumes, Ecclésiaste, Proverbes) comme de la littérature sapientiale, c’est-à-dire un genre littéraire parfaitement identifié et labellisé comme tel. C’est dire.

Mais il faut aussi préciser que cette Sagesse de Salomon est un apocryphe grec qui, comme on vient de le noter, n’a pas été admis dans le canon traditionnel, la Tora.

Cette dernière compte vingt-quatre livres et est restée fermée à ce qui, selon les sages, n’a pas été dicté par l’esprit saint (ru’ah ha-qodesh). Cette littérature extérieure (sifrout hitsonit) n’en contient pas moins des œuvres exhalant une profonde sensibilité juive qui se sert de la langue grecque.

Et cela semble avoir été rédhibitoire, d’où le rejet de tous ces livres, qui furent pourtant repris par nos amis chrétiens et interprétés dans un sens très christianisant.

Tout en n’étant pas un philologue classique, je trouve la traduction française soignée et fluide, même si une large partie de ce volume est consacrée à des interprétations dont certaines se veulent ouvertement très christianisant es.

Ce n’est pas un reproche mais une simple remarque car vouloir lire dans ce livre grec, remontant au second siècle avant notre ère, des allusions plus ou moins claires à l’avènement de Jésus relève de l’apologétique. Mais revenons au texte lui-même car c’est la chose la plus importante.
Ce livre, La sagesse de Salomon se veut un hommage dithyrambique à la sagesse en général. On l’a attribué à Salomon car ce roi d’Israël passe, au gré du livre de Samuel et du livre des Rois pour l’incarnation même de la sagesse.

On y lit que lors d’un songe, Dieu demande à Salomon ce qu’il souhaite obtenir et le roi demande de la sagesse afin de bien gouverner le peuple d’Israël. Dieu décide alors de lui octroyer une grande sagesse mais aussi un grand nombre d’autres bienfaits (ha-Shem natan hokhma li-Shelomo).

Cette sagesse de Salomon eût mérité de figurer dans le canon biblique traditionnel car toute sa structure reflète une profonde religiosité juive et ne fait aucune concession de taille à la culture profane des Grecs. En réalité, l’auteur reprend tous les grands événements de l’histoire d’Israël, décrit Dieu comme l’acteur exclusif de cette même histoire et ne doute pas un seul instant de l’élection d’Israël comme peuple élu, choisi par le Créateur.

Assurément, un livre qui se consacre entièrement à la sagesse est amené à parler aussi de ses adversaires, de ses ennemis et de ceux qui choisissent la violence plutôt qu’une attitude conciliante et pacifique, respectueuse des valeurs de la Loi.

L’amour de la sagesse renvoie nécessairement à l’idéalisme. Il considère que Dieu est le créateur du bien lequel est le seul à avoir une existence substantielle, alors que le mal ne serait que l’absence de bien. C’est du néo-platonisme qui sera d’ailleurs repris bien plus tard par Maimonide lui-même dans son Guide des égarés.

Sommes nous ici bas dans le meilleur des mondes, œuvre de la création divine ? On pourrait le penser tant l’auteur dédouane la divinité de toute faute ou erreur pour nous livrer une image très idéalisée de notre existence sur terre.

Ainsi, l’eunuque ou la femme stérile seraient, selon lui, féconds spirituellement, à condition, précise t il, qu’aucun des deux ne commette d’acte contraire à la bonne moralité. Mais comment avaliser toute cette violence, toutes ces injustices, qui jalonnent nos vies ici-bas ?

Pour cela, l’auteur affirme que la mort ne signifie pas la fin de tout mais constitue une simple étape au terme de laquelle les âmes vertueuses seraient appelées à contempler la splendeur divine. Dans le talmud, on exprime à peu près la même idée mais avec d’autres termes : ha-tsaddiqkim néhénim mi-ziw ha-Shekhina (les Justes se grisentt de la contemplation de la Présence divine…).

Ce qui éloigne le dogme de la résurrection et promeut la théorie de l’immortalité de l’âme, notion essentiellement grecque, alors que le judaïsme rabbinique ne reprend pas à son compte la dichotomie corps / âme…

Pour décrire l’erreur des mécréants et des idolâtres, l’auteur de cette Sagesse de Salomon emprunte aux livres prophétiques, notamment à Isaïe. Il se gausse, comme le fit le prophète avant lui, de l’homme qui se dévoue et s’incline devant l’œuvre de ses mains : il vénère une idole qui ne peut ni marcher ni parler…

Voici cette phrase si bien ciselée (p 76) : cendres son cœur, boue son expérience, glaise sans souffle sa vie…

Une très bonne traduction et des rapprochements fort intéressants avec d’autres livres bibliques, mais aussi avec Levinas, Heidegger et quelques autres.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Joseph (Hermann, 2018)

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