Emmanuel Pierrat, La prison de verre. Sexe, argent et politique. Gallimard, 2023.

Non, vous ne vous êtes pas trompé, vous avez bien lu, c’est la prison de verre et non le plafond de verre… Il s’agit d’analyser sous toutes ses facettes la tyrannie de la transparence dont souffrent toutes les notoriétés, qu’elles soient de la politique, du monde du spectacle, des finances, du sport et de la culture en général, bref tout ce qui attire l’attention des opinions publiques et diffuse un parfum de scandale. L’auteur de cette enquête est juriste de formation, avocat chevronné qui compte parmi sa clientèle passée un nombre impressionnant de célébrités en tout genre. Il profite de tout ce qu’il a vécu et appris en défendant cette classe de plaideurs un peu particuliers. Pourquoi sont ils à part ? C’est là tout l’enjeu du livre. Ils estiment qu’on mêle injustement leur statut de personnalité connue à leur statut de simple citoyen qui comparaissent devant toutes les juridictions, qu’elles soient civiles ou pénales sans qu’une certaine presse ne s’en mêle…

Et cela donne une prison de verre. D’où le fameux proverbe : quand on habite une maison de verre, on ne devrait pas jeter de pierres. Dès que quelqu’un est connu, médiatisé ou fait l’objet d’une attention particulière, on exige de cette personne une moralité irréprochable alors que le citoyen lambda bénéficie d’un anonymat complet. La problématique qui s’offre à nous dans ce contexte n’est pas exclusivement judiciaire, même si le plus souvent, c’est la justice qui a le dernier mot car c’est elle qui condamne ou, au contraire, relaxe. Le débat est de nature philosophique ou plutôt éthico-philosophique. L’élu, le responsable local, le chef d’un parti politique, un capitaine d’industrie doit-il être d’une transparence absolue, translucide sans la moindre zone d’ombre ? C’est le problème des rapports entre le pouvoir sous toutes ses formes et la morale.

Pour détenir un mandat électoral ou occuper un poste important dans un grand ministère, peut-on exiger une tenue éthique irréprochable ? Quid des fondements éthiques ou politiques d’une telle exigence ? Pourquoi donc le fait d’exercer un mandat politique présuppose-t-il un passé sans tache ? On aura compris que l’idée qui gît au fondement de cette exigence est l’exemplarité. Quand par mon vote je désigne quelqu’un censé me représenter ou obtenir pour moi et mes concitoyens ce qu’il y a de mieux, je suppose ou j’attends de cette personne qu’elle soit efficace, fiable et de confiance. Si ce n’est pas le cas, je ne lui accorde pas mon suffrage.
On doit remonter à deux sources très anciennes dans la littérature mondiale qui ont pris la question à bras-le-corps mais sans l’avoir vraiment épuisée. Cette question de la place à accorder à l’éthique est très complexe car quand on porte une affaire devant les tribunaux, sauf s’il s’agit de juridictions ecclésiastiques ou religieuses, au sens large du terme ; le jugement sera rendu sur la base du droit et non de la morale. Et c’est là, une nouvelle fois, que se situe tout l’enjeu : peut-on commander d’être juste, de faire le bien, en gros, d’être le gardien de son frère ? Si on le fait, alors on se fonde sur un humus religieux et non pas sur le code civil ou le code pénal. La fraternité, l’amour du prochain, la solidarité humaine entre les générations, en général, nous sont dictés par un engagement éthique. Le jugement social est venu après coup. Bergson lui-même parlait dans un contexte plus large de deux sources de la morale et de la religion.

Tant les philosophies politiques de Platon et de son disciple infidèle Aristote, que celle instituée par la littérature biblique, la Torah et les Évangiles, tentent, chacune à se façon, de clarifier la question, avec des fortunes diverses. Mais les textes religieux de tout bord ont un point commun : donner un fondement, une motivation de nature religieuse à la législation gouvernant la cité. Un juriste de la classe de Carl Schmitt a évoqué dans sa Théologie politique l’origine religieuse de nos valeurs qu’on a laïcisées, sécularisées pour les adapter à la vie sociale. Dans La politique et dans La république, on nous explique que même une association de malfaiteurs a besoin de lois ou de règles pour pouvoir subsister et tenir leur alliance…

Gouverner les hommes est une tâche titanesque ; existe-t-il une source irréfragable, incontestable de l’autorité et de la justice sur terre ? Les penseurs religieux comme saint Augustin en ont parlé dans la Cité de Dieu, source non seulement de l’autorité mais aussi de la perfection. Et comme cette dernière n’est pas de ce monde, on s’est contenté d’une pâle imitation du modèle divin… Une nouvelle fois, la Révélation t la Raison se sont retrouvées face à face.

Je propose de dire un mot de l’éthique de Spinoza et du Traité théologico-politique qui, eux, tournent le dos à la révélation, notion religieuse qui ne fait pas l’affaire dans ce contexte.

Tous ces développements constituent l’arrière-plan idéologique de ce livre qui plaide pour une stricte égalité de tous devant la loi, qu’on soit ouvrier spécialisé chez Renault ou homme politique puissant , grand acteur de cinéma ou joueur de football ou de tennis, bref tout ce qui est en vue… C’est aussi une question ou la justice n’est pas la seule à intervenir, il y a surtout la presse qui en fait ses choux gras. Il suffit de lire ce livre si bien documenté pour s’en convaincre. Innombrables sont les affaires où des êtres éminents se sont vu accusé, justement ou injustement, de viol ou d’ attouchements sexuels. La fameuse scène avec la jeune femme à l’Opéra m’a coupé le souffle…

Tous les lecteurs friands de ce genre de nouvelles seront plus que bien servis en feuilletant ce livre, notamment le rapport , réel ou supposé, entre le pouvoir et la libido.

Jusqu’à une certain époque au cours de laquelle la justice et les juges étaient bien tenus, certains se croyaient au-dessus des lois : le viol parfois, le népotisme souvent, sans oublier les ministres fraudeurs du fisc, ( ?) les campagnes électorales mal financées, etc…

Un jour, les journalises ont posé vertement à François Mitterrand la question de savoir ce qu’il fallait exiger des personnes qui nous gouvernent ; orfèvre en la matière, le défunt président a répondu ceci : Mesdames et Messieurs les Français, les hommes politiques sont comme vous, ils vous ressemblent… Drôle de réponse, mais est-ce étonnant ? Orfèvre en matière de manipulation de masse, feu le président Mitterrand savait comment séduire les électorats… Je me demande par contre s’ il aurait été capable de se confronter aux fake news et aux réseaux sociaux d’aujourd’hui. On a une idée des rumeurs qui ont couru sur la nature exacte de l’actuel président de la République. En tout état de cause, la vie privée du premier personnage de l’État ne regarde que lui. Mais voila la presse, une bonne part de la population, donc de l’électorat pense autrement. Ce public là veut savoir à qui il a affaire. Est-ce vraiment son bon droit ou une ingérence inacceptable dans la vie privée  d’un individu? Les deux attitudes se laissent défendre…

Pourtant, le public qui veut tout savoir, empiète souvent sur un domaine réservé. J’ai appris tant de choses en lisant ce livre dont les parties sont inégales. Je n’avais encore jamais entendu parler des comportements indélicats de deux importants hommes politiques français, Gambetta et Raymond Poincaré , et cela ne les a pas empêchés de faire une belle carrière politique.

Que devons nous retenir de tout cela ? Je retiens, pour ma part, qu’il faut un minimum d’éthique quand on veut faire une carrière politique, même si, je le répète, la vie privée ne regarde que la personne concernée.

Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage:

 

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