L’arrivée hier ou avant hier d’une délégation polonaise en Israël semble dessiner une volonté de deux parties, polonaise et israélienne, de régler la polémique soulevée par une grande maladresse de la part du gouvernement polonais.

Ce n’est pas ainsi qu’il aurait fallu agir puisque l’intention des Polonais, si je comprends bien, n’était pas de réécrire l’histoire ni de masquer la grave responsabilité de certains citoyens polonais dans les crimes perpétrés par les Nazis et leurs sbires locaux sur le territoire national. Mais ce qui est fait est fait et aujourd’hui il convient de recoller les morceaux et de mettre un terme à tous les malentendus.

Examinons le sujet sans œillères ni à priori : les Polonais, nation historique mais dépourvue de géographie en raison de son intercalation entre deux puissances hégémoniques (l’Allemagne et la grande Russie) qui ont de tout temps pesé sur son avenir et menacé son indépendance, ont mal vécu une expression récurrente depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : les camps de la mort en Pologne ou, encore pire, polonais.

Ceci donnait l’impression que l’Etat polonais en personne, en tant que personne morale, était responsable de l’ouverture de ces camps de la mort, alors que ce sont les Nazis qui ont jeté leur dévolu sur ce territoire qu’ils contrôlaient  presque totalement.

Certains objectent que ce n’est pas par hasard que les Nazis ont jeté leur dévolu sur la Pologne, ils l’ont fait, nous dit-on, en connaissance de cause : la haine antisémite du peuple polonais (dans son ensemble ?), leur aurait assuré une participation active d’au moins une frange, non négligeable de la population locale.

Et dans cette hypothèse, ils ne se sont pas trompés. Je le rappelle sans verser d’huile sur le feu puisque de bonnes relations entre Varsovie et Jérusalem existent et puisque la Pologne entretient des relations plutôt amicales avec l’Etat juif.

Mais il faut bien reconnaître qu’il y a des précédents historiques qui documentent de manière indéniable des faits antisémites gravissimes depuis les massacres du sinistre chef (Hetman) cosaque Chmielicki qui, vers le milieu du XVIIe siècle, organisait de sanglants pogromes jusqu’ç un passé assez récent.

Donc depuis le Moyen Age jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une frange de la population polonaise s’est illustrée dans une attitude peu favorable à ses compatriotes de religion juive. Et je m’exprime par euphémisme.

J’ai déjà eu l’occasion, ici même, de m’en référer aux Mémoires de Salomon Maimon (  Paris, Univers poche, Agora) qui vécut entre 1752 et 1800, une période-charnière au cours de laquelle l’identité polonaise s’est nichée dans un catholicisme exclusif, désireux d’assimiler un monde juif local qui s’y refusait. D’où ce dissentiment à l’égard d’un groupe ethnique considéré comme un corps étranger, voire inassimilable. D’où l’expression : ce sont des étrangers, ils ne sont pas comme nous.

Mais voilà, il y eut aussi une vie culturelle juive très florissante dans le territoire polonais ; d’ailleurs, le Gaon de Vilna qui était un grand érudit et un homme cultivé considérait la langue polonaise comme une langue… sacrée, juste après l’hébreu. Evidemment, c’était la langue de son pays de naissance !

Le gouvernement polonais aurait don dû dire d’abord :

  1. qu’il regrettait les agissements criminels de sa population contre les citoyens juifs rescapés des camps et mis à mort par des gens animés d’une haine antisémite meurtrière.
  2. Que le pays, en ces années noires, était dirigé par les Nazis qui avaient recruté des criminels locaux pour les aider dans l’extermination des juifs
  3. Enfin qu’il souhaitait que l’on fasse le départ, qu’on établisse une distinction claire entre la position géographique des camps de la mort et la Pologne, elle-même, en tant que telle.

Mais il faut ajouter que certains descendants de ces mêmes juifs polonais assassinés par des Polonais catholiques, et qui résident en Israël et aux USA, rappellent ce fait. D’où la maladresse de la loi polonaise qui, je le répète, peut se comprendre.

J’ajoute que la Pologne, si elle ne veut pas se retrouver dans la position de la Suisse à propos des comptes bancaires en déshérence, devrait rectifier le tir. On se souvient que le gouvernement US avait fait plier ce pays en prenant des sanctions qui menaçaient de l’étouffer : je suis sûr et certain que les Polonais sautaient méditer cet exemple et n’iront pas jusque là : imagine t on qu’aucun avion polonais ne puisse ni décoller des USA ni y atterrir? Qu’aucune banque ne puisse y opérer ? Heureusement, le gouvernement d’Israël a refroidi de telles ardeurs qui pourraient abîmer les relations bilatérales.

Je voudrais ajouter un détail qui a son importance. Dans un traité de la Michna, parlant du chabbat, on lit cette phrase interdisant un certaine activité manuelle en ce jour sacré : La-Nereyn Polin… A la lumière d’une bougie, on n’accomplit pas cette activité.

Mais voilà, dans la symbolique religieuse, l’expression La-Ner ne signifie pas la lumière  d’une bougie, mais l’avènement messianique, les temps au cours desquels la lumière de la connaissance et de l’amour du prochain empliront notre monde. Et cette interprétation va encore plus loin, puisque POLIN est aussi la désignation de ce pays, la Pologne, en hébreu.

Ce qu’à Dieu ne plaise ; la phrase devient alors, changeant totalement de sens : A l’eépoque messianique, la Pologne ne sera plus là…

Ce n’est pas l’interprétation que je retiendrai, j’en préfère une autre, plus optimiste et plus généreuse : à l’époque messianique (et même avant, pourquoi pas ?) la Pologne sera régénérée, débarrassée de toute tentation antisémite. Elle se sera débarrassé de ses anciens démons …

Ce sera une Pologne nouvelle. Elle renouera alors avec l’âge d’or de la culture juive en Pologne. Et cette brouille appartiendra à un passé révolu.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

Le nouveau cycle de conférences, Aux racines de la culture européennese penche sur l’humus spirituel et les valeurs premières qui gisent au fondement de ce continent. Mais l’Europe n’est pas seulement un continent, c’est aussi et surtout une culture, axée autour de courants spirituels et d’écoles philosophiques, qui passent à juste Titre pour sa constitution théologico-politique ou éthique.

Les réflexions qui seront exposées dans la salle des mariages de la Mairie de notre arrondissement couvrent la critique biblique, la littérature éthique, la philosophie médiévale sous son triple aspect, gréco-arabe, chrétienne et juive au miroir des pères spirituels de l’Europe : Thomas d’Aquin, Maimonide, Averroès et Maître Eckhart.

Salle des Mariages Mairie du 16e Arrondissement – 71, avenue Henri Martin- 75016 Paris

Jeudi 11 janvier -19h
Hannah Arendt, égérie de Martin Heidegger?

Jeudi 8 février – 19h
Le Moïse de Sigmung Freud, selon Y. Yerushalmi

Jeudi 15 mars – 19h
Franz Rosenzweig, la philosophie et la Révélation: le problème de la Vérité

Jeudi 5 avril – 19h
Emmanuel Levinas et Moïse Mainonide

Jeudi 17 mai – 19h
L’historien Marc Bloch et Simone Veil face au Kaddish

Jeudi 7 juin – 19h
La langue judéo-arabe: plaidoyer pour une culture (presque) oubliée

 

 

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Jge france

La pologne ne changera jamais , ainsi que reste de l europe .
L etat Juif existe , le prix a payer est enorme , nous payons par le sang notre existence .
C est aux Juifs de s unir un peu plus , il n y a rien a demander aux autres .